L’homme qui mit fin à l’histoire – Ken Liu

L’homme qui mit fin à l’histoire de Ken Liu

Le Bélial, Heure-lumière

Le lecteur amateur de SF aura sans doute entendu parler de la sortie de ce livre, L’homme qui mit fin à l’Histoire, et de l’auteur sino-américain, Ken Liu. Quelques critiques plutôt très positives, voire enthousiastes, sont déjà sur le réseau. Il faut dire que ce petit joyau se lit d’une traite avec ses 106 pages.

Mon conseil  se limiterait à ceci : lisez-le! Ne consultez pas les chroniques, avis ou critiques (nonobstant la position de certains auteurs). Faites-vous votre propre idée, découvrez cette pépite vierge de toute idée ou de toute attente, la récompense n’en sera que plus jouissive.

Si vous souhaitez poursuivre, j’éviterais tout spoiler et axerais ma chronique sur la forme et ensuite le fond. Une sorte de compte à rebours pour vous décider à poursuivre cette lecture – Ou pas.

Dès la première page le roman de Ken Liu se démarque. En effet, nous découvrons un livre en forme de documentaire vidéo. Différents intervenants nous narrent les prémices puis les événements liés à la découverte d’une particule qui permet à un observateur de voyager dans le passé et d’assister aux événements d’alors. Une seule et unique fois.

Initialement, c’est le professeur à l’origine de la découverte des particules qui prend la parole, suivi d’un fondu-enchaîné à l’écran sur d’autres intervenants : un témoin, des juristes, des politiciens, des « observateurs », des universitaires ainsi que l’homme qui mit fin à l’Histoire.

S’enchaînent donc des exposés scientifiques, des témoignages, des interviews et des audiences publiques. Cette construction peut sembler hétéroclite et à contre-courant d’un récit de SF, hachant le rythme et du coup l’immersion du lecteur. Il n’en est rien, le tout s’articule avec harmonie, la trame et les ressorts de cette histoire progressant sensiblement à travers ces diverses formes d’expression. De plus, chaque point de vue est bref pour qu’aucune lassitude s’installe.

Quand au fond, une fois la lecture initiée,  l’intérêt, la forme et l’intelligence du récit nous happent jusqu’à la dernière page et au-delà.

Le quatrième de couverture indique la nature du récit : un voyage dans le passé récent à la découverte de l’unité nippone 731 lors de la seconde guerre mondiale. Ken Liu aborde alors de nombreuses thématiques liées à l’Histoire.

Une d’entre elles, et non des moindres, concerne la juridiction du passé. L’Histoire sino-japonaise de la première moitié du XX° siècle offre un terreau de premier choix pour illustrer les problématiques juridiques des découvertes historiques allié au cynisme des institutions nationales et internationales qui bradent, sous couvert de diplomatie, l’intégrité et l’humanité des héros et des victimes. L’approche n’est pas anodine car le ton est empreint d’une telle véracité qu’il ancre ce récit dans notre réalité.

Cette sensation est renforcée par la position des plus conservatrice des universitaires balayant finalement d’un revers méprisant toutes les promesses de cette innovation. Les motivations n’en sont pas moins l’originalité de la méthode mise en œuvre que leur propre égo et leur incapacité à appréhender des techniques novatrices qui ne sont pas issues de leurs expertise.

Il faut aussi évoquer les exactions commises au nom de la science, la place de la victime et du vécu personnel dans l’Histoire.

L’unité 731 n’a rien à envier au Docteur Mengele . Les atrocités commises par cette unité sont véridiques et ont été « admises » dans l’Histoire à l’aube du 21° millénaire!! Le roman de Ken Liu illustre aussi cette volonté de dissimuler ce pan de l’Histoire ainsi que le comportement peu glorieux et intéressé de certains pays « Alliés ». Peu de choses sont finalement nécessaires pour engendrer la négation des événements, une simple collusion d’intérêts et une piètre intégrité. C’est parfaitement lisible et tangible dans ce récit.

Or, ce qui est remarquable c’est que nous n’avons pas entre les mains un pamphlet de l’auteur dénonçant ces agissements, Ken Liu est beaucoup plus fin que cela et a visiblement fait la paix de son côté. Cela est  sensible dans la mise en scène des bourreaux et tortionnaires qui ont droit à la parole dans ce documentaire. L’équilibre est parfait, pas de charge vengeresse, pas d’appel à la commisération ou à un pardon inconditionnel. Une simple et étonnante mise en lumière du potentiel effarant que tout un chacun peut devenir ce tortionnaire…

Vous l’aurez compris, nous avons à faire à un magnifique appel au devoir de mémoire, un moyen efficace pour tenter de se prémunir , d’éviter les horreurs de toute forme de guerre. Cela peut sembler peu et vain au regard de notre actualité…

Élégant, sensible et d’une incroyable justesse, L’homme qui mit fin à l’Histoire possède tout ce que je recherche en SF : une thématique  forte, un récit captivant,  de l’émotion et le fameux « sense of wonder« . Ken Liu réussit le tour de force d’aborder un sujet finalement d’actualité et dérangeant, sans tomber dans la description froide et clinique, ni dans le voyeurisme morbide.

Indubitablement, mon livre de l’année 2016.

 Autres critiques :

Le Culte d’Apophis Mes Imaginaires Un papillon dans la Lune LorhkanLa bibliothèque d’Aelinel Xapur Boudicca (le Bibliocosme)Au pays des cave-trolls Orion

Challenge :

Un seul challenge.

Challenge Summer Short Stories of SFFF – saison 2

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42 réflexions sur “L’homme qui mit fin à l’histoire – Ken Liu

  1. Je crois que tout le monde est d’accord sur l’importance et la pertinence de ce texte. Il fera incontestablement partie de mes prochains achats (et je crois que cette phrase est valable pour tout ce que va publier Ken Liu qui est un auteur que j’admire déjà !).

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  2. […] proche du devoir de mémoire bien que personnel, pourrait s’apparenter à la novella de Ken Liu, L’Homme qui mit fin à l’Histoire. Les cheminements sont différents, les tons opposés avec, ici, une proposition empathique, alors […]

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