Servir Froid – Joe Abercrombie

Servir Froid de Joe Abercrombie

Bragelonne

Joe Abercrombie connaît un succès retentissant dans les littératures de l’imaginaire. Une réputation flatteuse s’associe peu à peu à son nom, à tel point qu’il me semblait anormal de ne pas découvrir une de ses œuvres.

Depuis quelque temps, les auteurs d’outre-Manche nous proposent des produits culturels séduisants et dotés d’une identité propre, british et impertinente. Les esthètes de la pensée et du mot n’adhéreraient pas forcément à cette opinion. Cependant, je suis emballée par nos amis britanniques depuis la fin du 20° siècle. J’ai été agréablement surprise par des séries telles que Whitechapel, The Fall ou Sherlock qui ne sont pas aussi formatées et industrielles que la plupart de leurs consœurs outre-Atlantique.

Au rayon librairie, nous connaissons — au moins de réputation — Banks, McDonald ou Abercrombie qui récoltent de nombreux lauriers. J’ai donc comblé ma lacune avec Servir Froid, une histoire de vengeance implacable. Capitaine Général des Mille Épées, Monza est balancée du haut d’une falaise, précédée de son frère. Laissée pour morte, handicapée, esseulée, elle remonte la pente à force de volonté. Le pavé de 650 pages nous invite à suivre l’assouvissement de ce désir avec force extravagance.

Ce roman possède d’énormes atouts pour séduire l’amateur de fantasy exigeant, et pourtant, je reste sur un sentiment mitigé.

Servir froid se classe en fantasy, en dark fantasy pour être plus précise. Les aspects magiques sont très discrets et ne se manifestent qu’une fois le récit bien entamé. L’univers de Joe Abercrombie s’ancre dans les domaines de l’imaginaire avec des références à une Italie du XV° siècle, ses familles puissantes à l’image des Borgia, ainsi que les différentes cités états jalouses de leur souveraineté et imbues de leur importance. L’auteur britannique l’assaisonne d’un zeste d’ambiance western (spaghetti), le lecteur découvre alors un mélange exotique grâce à ces influences issues d’un cinéma revigorant et assumé.

La violence froide et clinique qui anime tout le récit ainsi que l’acharnement de Monza évoquent les mises en scènes et scénarii de John Woo ou Johnnie To, ces figures incontournables du cinéma de Hong Kong. Bien que le médium diffère, ces deux types d’œuvres partagent de nombreux points communs, dont un héros engagé et enragé qui sème le chaos et le sang sur sa route et une équipe hétéroclite de marginaux qui font office d’autant de miroirs ou de prismes.

Mais nous avons également une nuance prononcée de western spaghetti, fleurant Le bon, la brute et le truand. Finalement, les films qui combinent assez bien ces deux facteurs ; l’obstination des protagonistes de Sergio Leone et le chemin de désespérance asiatique sont indéniablement ceux de Quentin Tarantino

En effet, lors de la lecture, je ne pouvais me défaire de la musique de Pulp Fiction, tout en ayant la sensation de suivre le chemin de croix de Black Manba (ou la Mariée) de Kill Bill. A l’image de Monza, l’héroïne s’engage dans une vengeance acharnée et sanglante indifférente aux sacrifices. Ce film absorbe et magnifie les influences citées plus haut. Servir Froid s’en rapproche par son côté ultra-violent, ses bains de sang et l’indifférence de la protagoniste quant à son sort.

Pour tout dire, je n’ai pas encore décidé si j’aimais ou pas ce film…

À la différence de Black Manba, Monza n’agit pas seule. Son but nécessite des moyens financiers qu’elle possède et des expertises qu’elle rassemble. Ainsi, un Maître empoisonneur arrogant, un bagnard psychopathe, un soldat en perdition et un mercenaire alcoolique l’accompagnent-ils pour une poignée de dollars de balances. 7 hommes à tuer pour 7 mercenaires qui ont le profil idéal de 12 salopards. Chacun mériterait un paragraphe tant l’auteur s’est fait plaisir en les mettant en scène.

Le récit alterne les points vue des différents personnages, nous plongeant dans leur intimité et leurs pensées. Cordial, notre bagnard est obsédé par les nombres et trouve une logique — une rectitude même — dans leurs actions lorsque celles-ci s’accordent avec ses dés. Il n’a de Cordial que le nom. L’évolution de Shivers, le soldat déchu est très intéressante, lui qui cherche à devenir un homme bon, s’engage dans une aventure qui va mettre ses résolutions à rude épreuve. Morveen, Maître empoisonneur de son état, est un personnage délicieux et à consommer sans modération. Relativement loyal, il ne cesse à la fois de geindre et de se vanter !

Cosca, l’ancien capitaine des Mille Épées est le plus séduisant du lot. Gouailleur, rusé et manipulateur, il cache son jeu jusqu’au dénouement ultime. Bonhomme et fort en gueule, il attire la sympathie et devine les humeurs et les motivations de sa patronne, Monza. Que dire d’elle ? Difficile de s’attacher à cette bourrique fermée et méfiante. Quelques indices, quelques hésitations et surtout les quelques flash-back nous donnent les clés de sa personnalité, mais l’auteur n’ouvrira le coffre que lors des derniers paragraphes.

L’enchaînement des péripéties accélère régulièrement le rythme du récit. Le lecteur ne s’ennuie jamais ! L’autre point fort de Joe Abercrombie sont les dialogues savoureux, percutants et bourrés d’humour.

Servir froid est une vengeance savamment orchestrée par Abercrombie, heureusement car Monza court de catastrophes en massacres. Malgré des atouts évidents et séduisants, je ne peux pas décider si j’ai apprécié le livre. Ma référence en matière de roman sur ce thème demeure Le comte de Monte-Cristo de Dumas, et il ne semble pas près d’être détrôné.

Autres critiques :

Boudicca

32 réflexions sur “Servir Froid – Joe Abercrombie

  1. J’avais bien aimé sa trilogie « La première loi », qui part sur des bases très classiques mais finit par sérieusement détourner pas mal de poncifs de la fantasy. Une belle découverte.

    J’ai ses trois autres one-shots (« Servir froid », « Les héros » et « Pays rouge », qui se déroulent dans le même univers que « La première loi ») dans les belles éditions de Bragelonne en grands formats reliés mais je ne les au pas encore lus. Mais je suis client de l’auteur donc j’y viendrai un jour ou l’autre.

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  2. Je crois être une lectrice exigeante, surtout en fantasy. J’aime le western, avec ou sans spaghettis, moins Tarantino. Par contre, aux « produits culturels », je préfère largement les romans qui ne sentent pas la mixtouille, j’ai la naïveté de croire encore au travail et au talent.
    Ceci dit il faut que je me plonge dans Abercrombie, il serait temps…

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    • Je pense également que tu es une lectrice exigeante ! 🙂
      J’ai mis « produits » pour éviter de multiples répétitions et car, il demeure quand même un motivation commerciale derrière toutça!
      Autrement en accord avec toi sur le talent et le travail. Abercrombie mérite un petit détour.

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  3. J’en garde pour ma part un bon souvenir alors que je n’avais par contre pas réussi à rentrer dans sa trilogie « La première loi ». Par contre j’ai adoré un autre de ses one-shot : Les héros 🙂

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  4. Je suis comme toi, ça fait des lustres que je me dis qu’il serait temps que je rattrape le train et que je lise Abercrombie comme tout le monde. Mais là est mon problème : chaque fois que j’ai besoin d’insérer un nouveau bouquin dans le programme de lecture, c’est ce bon vieux Joe qui en fait les frais, puisque je privilégie logiquement la nouveauté à des livres sortis depuis longtemps. Mais bon là, du coup, j’ai vraiment envie de le lire, tout de suite… comme 47 autres romans, en gros.

    Merci pour cette super critique 🙂

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    • Je comprends ton dilemme, je fais la même chose depuis quelques années avec un auteur d’une certaine renommée : Dan Simmons…
      Ensuite, je ne peux pas dire que j’ai adoré ce roman. Il y a des éléments qui m’ont énormément plu, d’autres qui m’ont agacée. Je n’apprécie guère le côté ultra-violent, ou les massacres qui accompagnent Monza.

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  5. Bon je suis embêtée, autant ça a l’air sympa, ça me donne envie de découvrir (enfin) l’auteur, cependant la référence à Tarantino me gêne beaucoup vu que j’ai du mal avec certains de ses films… A voir !

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    • La référence est faite pour cela, j’ai vraiment eu la sensation d’une vibre Tarentino dont je n’apprécie pas forcément les films – et c’est la raison pour laquelle, je n’ai pu adhérer entièrement au livre d’Abercrombie.

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  6. Je l’avais abandonné à la moitié, après avoir pourtant très fortement insisté. Rien à faire, pour moi c’est un navet, ce livre n’a aucun intérêt. Et pourtant, en général je me laisse facilement influencer par les critiques élogieuses, au point de ne jamais savoir à la fin si j’ai aimé ou non un livre.
    Celui-ci, c’est clair que non !

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    • Ah! au moins c’est clair. Et bien, je ne peux pas dire que je sois surprise. C’est pour cela que je n’ai pas hésité à faire un rapprochement avec Tarentino dont la plupart des films ne me séduisent pas. Servir Froid m’a fait penser à ce réalisateur car je pense effectivement qu’il ne plaira pas à tout le monde!

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