La Miséricorde de l’Ancillaire – Ann Leckie

La miséricorde de l’Ancillaire d’Ann Leckie

Les Chroniques du Radch, tome 3

Nouveaux Millénaires

Prix Locus 2016

La miséricorde de l’Ancillaire décrochait le prix Locus en 2016. Une performance remarquable puisqu’il a été nominé à l’Hugo ainsi qu’au Nebula et que les deux tomes précédents combinent deux Prix Hugo, un Nébula et deux Locus. Il y a de quoi laisser pantois devant la reconnaissance unanime de la profession. Pour autant, je ne comprends pas ce déferlement de prix (2 Hugo, 3 Locus, 1 Nebula, 2 Britsih Award…), et je ne suis toujours pas convaincue par le fond, manquant d’originalité, ni par la forme, alourdie par le choix de traduction.

Le lecteur qui poursuit cette chronique doit s’attendre à des révélations sur les tomes précédents.

Brecq est l’hôte ancillaire du Justice de Toren, le vaisseau de guerre détruit par la Maître du Radch, il y a vingt ans. Dans la Justice de l’Ancillaire, il/elle déclencha une guerre civile au sein de l’Empire entre les deux factions d’Anaandeer Mianaaï, littéralement.

Dans L’Épée de l’Ancillaire, Brecq/Justice de Toren fut envoyé par une Anaander dans le système Athoek afin de le protéger de l’autre Mianaaï. Le conflit s’est étendu et provoque la plus grande confusion dans l’Empire. La station et la planète sous la protection de Brecq s’engagent dans des frictions partisanes. Les tensions sont à leur comble quand le Justice de Toren, capitaine de flotte est victime d’une tentative de meurtre.

L’action de La Miséricorde de l’Ancillaire commence la semaine suivant le sauvetage de Brecq, la fin apparente du conflit sur la station d’Athoek et l’arrestation de complices sur la planète ainsi que les révélations de la nature IA du capitaine de flotte  devant son équipage humain.

Commençons par les choses fâcheuses…

Non seulement nous avons un style de narration peu courant, une explication des comportements basiques des protagonistes au cas où nous n’aurions pas compris et une traduction pour le moins acrobatique.

Mes reproches les plus mordants quant aux textes d’Ann Leckie s’axaient sur un rythme fluctuant et sur le choix de traduction. Dans La Miséricorde de l’Ancillaire, la prose vient compléter le podium. Le lecteur devra se familiariser avec une multitude de phrases sans sujet ni verbe, à la musique hachée. Nous avons parfois la sensation de lignes de programme informatique s’affichant sur un écran — ce qui est judicieux quand un protagoniste lit les interventions d’une IA, mais dont je doute du bien-fondé pour les autres occurrences. Les dialogues entre personnages manquent cruellement de fluidité, souvent entre deux phrases, l’auteur nous renseigne sur les motivations, les émotions, l’historique des liens entre les intervenants ou l’histoire du Radch. Nous parvenons à perdre le fil du dialogue tant le délayage est important (et les échanges « percutants » – ironie). Cela donne :

// » Oui, je le pensais » ai-je répondu. Les vaisseaux n’étaient pas des gens, pour les radchaaïs. Nous étions de l’équipement. Des armes. Des outils qui fonctionnaient comme on le leur ordonnait, quand nécessaire.

« J’y ai réfléchi, depuis que vous l’avez dit », a dit Seivarden. Non : a dit le Miséricorde de Kalr. « Et j’en ai conclu que je ne tenais pas à être capitaine. Mais je constate que l’idée que je puisse l’être me plaît. »

1 page complète d’introspection, puis la suite du dialogue :

« Trés bien », ai-je commenté, puis j’ai bu une gorgée de thé.

2 pages complètes de re-introspection, puis la suite du dialogue :

« Très bien », ai-je répété.

1 page de vous avez compris

« Y avait-il autre chose ? » (…) Puis : Non, capitaine de flotte, c’est tout. « Non, capitaine de flotte, c’est tout », a lu Seivarden. //

waouh !…… Remarquable, innovant, révolutionnaire… je suis émue.

La traduction, elle, n’a pas varié d’un iota. La lecture est toujours aussi pénible avant de  s’habituer à ces fautes d’accords et de genre volontaires. Le cerveau identifie des erreurs à la pelle, mais elles n’en sont pas. Voici en avant-première une mise en bouche :

Certains secteurs étant la grande prêtre d’Amaat.

toutes les citoyens.

En revanche, j’ai noté une amélioration au niveau du rythme — à moins que je m’y sois familiarisée après deux romans. Il est certes assez langoureux sur le premier tiers, puis s’accélère progressivement. Il y a même des scènes d’action ! Mais, ce n’est pas une réelle surprise, car nous étions restés auparavant avec tant de trames et d’éléments à conclure.

En effet, à l’issue de l’Épée de l’Ancillaire, nombres de portes et d’intrigues étaient en suspend :

  • Les Presgers et le Radch
  • Le Justice de Toren/Brecq et la Maître du Radch
  • Le conflit au sein de l’empire
  • Brecq/Seirvaden – *
  • Les conséquences des révélations sur la nature de Brecq et son équipage, son vaisseau – *
  • La porte Fantôme -*
  • le mystérieux commanditaire derrière le trafic d’êtres humains – *
  • Le sort de la station Athoek – *
  • Les conséquences de la grève sur la planète Athoek – *
  • Le procès de Queter – *

J’éviterai de faire durer le suspens : Ann Leckie ne répond pas à tout, et quand cela est le cas, pas forcément de la façon la plus idoine. Cependant, j’ai bien apprécié nombres de ses propositions et ouvertures. A ce point, j’hésite à dévoiler non pas l’importance et le contenu des révélations finales, mais à lister celles qui connaissent un épilogue.

Première chose, il n’y a pas à mon sens de Deus Ex Machina. Les conclusions aux événements se sont construites tout au long du récit et même des livres précédents. Rien n’est réglé définitivement au niveau du Radch (nous nous en doutions, vu l’étendue  de l’Empire et la complexité de Annaander Mianaaï) ni des Presgers, Ann Leckie laisse de nombreuses ouvertures pour de futurs romans et nouvelles.

La Miséricorde de l’Ancillaire — à l’image de la trilogie du Radch — s’articule de manière originale, car c’est sans doute dans ce tome où le développement de l’Empire est le plus soigné et recherché. Ainsi, les Presgers apparaissent-ils plus puissants, redoutables et exotiques. L’ambassadeur Zéiat se présente comme leur interface, son attitude surprenante et amusante renseigne le lecteur à la fois sur la supériorité des aliens et sur les différences civilisationnelles. Ce personnage attachant, tout de blanc vêtu, n’a rien d’humain et s’apparente fortement au Paidhi de Cherryh, du cycle The Foreigner. Son arrivée en début de roman permet d’inclure une dose d’humour absente jusqu’alors dans la trilogie.

Le mystère autour de la porte Fantôme est levé plutôt habilement. Le sort des personnages s’articule avec plus ou moins de bonheur (ou de facilité dans le cas de Queter…). J’avais beaucoup d’attentes suite à la révélation de la nature de Brecq devant son équipage, et d’autres êtres humains ou non. Ann Leckie sans être originale ne m’a pas déçue. Le roman possède une dimension plus intimiste que les tomes précédents, et explore enfin la psychée de l’IA Justice de Toren et des IA en général. Les interactions sont enfin satisfaisantes à ce niveau. De nombreux parallèles avec Banks sont naturels et évidents, tant Leckie semble s’être inspirée de l’auteur britannique.

La découverte d’un dernier protagoniste en début de roman, un ancillaire (qui accompagne un peu trop commodément Brecq) donne lieu à de scènes savoureuses avec Zéiat. Il permet également d’élargir la complexité des IA qui possèdent une bonne dose d’humour caustique.

Pour conclure, la forme m’est toujours aussi pénible surtout à l’entame du roman. Ceci dit, le fond prend de l’envergure, malgré une absence d’originalité. La filiation avec les auteurs Banks, Reynolds… est apparente sans qu’il s’agisse d’un outrageux plagiat. Enfin, la trame, le rythme, les révélations apportent leurs lots de satisfactions. Nous ne disposons pas d’un chef d’œuvre comme pourrait le laisser entendre le déferlement de prix, mais d’un honorable cycle (en construction) de SF.

Tomes précédents :

La Justice de l’Ancillaire

L’Epée de l’Ancillaire

Autres critiques :

18 réflexions sur “La Miséricorde de l’Ancillaire – Ann Leckie

  1. Voilà ce que j’appellerais une critique magistrale, même par rapport à tes standards habituels qui se placent déjà très haut. Bravo !

    Personnellement, je l’attaque sans doute demain soir, lundi au pire. Cependant, après un chef-d’oeuvre (Latium) et un très bon roman (Le problème à trois corps), je crains fort que le contraste en terme de plaisir de lecture ne soit violent.

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    • Merci Apo!
      Je pense bien que tu vas dégringoler de quelques niveaux alors! Ja vais pour ma part faire l’inverse, et je vais attaquer Latium après l’Ancillaire. Le contraste sera en ma faveur.

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    • Je te comprends. Le premier tome je m’y suis prise à deux fois avant de péniblement poursuivre. La lecture est affreusement pénible, il y a eu juste un je-ne-sais-quoi qui m’a poussée à persister. Habituellement, un livre comme cela me gonfle et le laisse tomber!
      Mais, on ne m’y reprendra pas souvent, car c’est quand même laborieux et lire en diagonale pour échapper aux « fautes », pffff…
      Il y a énormément de bons bouquins qui nous attendent! tu as raison.

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  2. J’avais commencé, puis laissé de côté le tome un.
    Comme quoi, ne jamais se fier aux couvertures – magnifiques – de ces romans ! Je sens qu’il ne quittera jamais ma PAL celui-ci. Et je ne suis pas mécontente que ce soit un service de presse que j’avais reçu et pas un livre que j’ai acheté moi-même !

    Aimé par 1 personne

    • Au cours de ma lecture (laborieuse) du premier tome, je me demandais combien d’entre nous irions jusqu’au bout. J’ai même été surprise d’aller jusqu’au bout. Du coup, cela ne me surprends pas qu’il ne quitte pas ta PAL! lol

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    • Je crois qu’il y a un paquet de lecteurs qui ont cesser avant la fin du premier tome. 🙂
      Je ne peux pas dire que je suis étonnée. Il n’y a pas que Xapur qui affirme qu’il y a plein d’autres choses à lire et du bon.
      J’en suis à tel point que je ne m’oblige pas à lire un livre qui me gonfle. Je ne pourrais pas dire la raison exacte qui m’a poussée à continuer cette trilogie alors que la lecture était des plus laborieuses. Peut être une forme de challenge?…
      J’ai noté le Liu Cixin moi aussi!

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