Dragon Déchu – Peter Hamilton

Dragon Déchu de Peter Hamilton

Bragelonne

Voici un roman qui à l’origine m’intimidait : un beau pavé (en fonction des formats 600 ou 950 pages) précédé d’une réputation plutôt flatteuse. Sur le papier, il a tout pour me séduire : une histoire ciselée, des personnages intéressants, des thématiques assumées, et un space opera ambitieux.

A l’orée de XXV° siècle, l’humanité s’est répandue dans l’univers grâce aux trous de vers, de manière modeste toutefois, son rayon d’action ne dépassant pas les cent années-lumières. Quelques exo-planètes ont été colonisées, l’organisation logistique et le financement ont été assurés par une poignées de compagnies privées. Une fois les colonies établies, autonomes et rentables, ces dernières exigent le reversement de dividendes technologiques. Ce n’est pas forcément du goût des nouveaux autochtones qui voient cela non comme une rétribution des risques et des investissements consentis, mais comme des actes de piratages… Lawrence Newton, un sergent à la solde de ZB (Zantiu-Braun), la plus puissante des compagnies, est expédié avec son peloton sur Thrallspring pour assurer le « maintien de l’ordre » lors d’une expédition…

Trop beau pour être vrai, la peur d’être déçue par l’auteur a repoussé sans cesse sa lecture. Puis, le pavé a été englouti en 3 jours!

Pourtant la première centaine de pages ne présageait en rien une telle gloutonnerie. Peter Hamilton prend le temps d’exposer cette civilisation humaine avec force de détails. Il nous explique le fonctionnement one-shot des portails, de la propulsion des vaisseaux stellaires très gourmande en énergie, l’organisation des grandes sociétés,… Cette phase peut sembler longue mais permet à l’auteur de nous construire un univers plein de saveurs, d’épices et d’odeurs. Nous ne sommes pas dans un roman de hard-sf même si les descriptions des technologies sont relativement détaillées. Les armures dermiques en sont un parfait exemple. L’auteur nous décrit leur fonctionnement une fois équipé, ainsi que leur maintien en condition. Ce n’est pas une innovation majeure, Heinlein les a utilisé bien avant lui dans Starship Troopers et Scalzi les met en scène à son tour dans son cycle du Vieil homme et la guerre. En revanche, la relation de l’homme avec cette appareillage hybride est captivante, intelligente et vraisemblable. Il faut souligner que ces armures dermiques deviennent un élément clé dans le récit tant par les prouesses qu’elles permettent que par leurs faiblesses en fonction de l’hostilité de l’environnement.

Outre la Terre, qui sera le lieu de courts séjours, nous sommes invités à partager le quotidien de 3 autres planètes colonisées par l’homme : Thrallspring, Santa Chico et Amethi. Alors que les deux premières ont une flore et une faune spécifiques ainsi qu’un biotope unique auquel l’être humain a du s’adapter, Amethi s’avère un véritable cailloux glacé en voie de terraformation. L’évolution de cette planète de glace est décrite lors des chapitres consacrés à l’adolescence de Newton. Les effets de la terraformation méritent amplement le temps qu’Hamilton y passe, d’autant qu’il est impossible de s’y ennuyer tant l’émotion et le récit y sont prenants.

L’impact de ces colonies sur l’histoire sera conséquent pour notre personnage principal : Lawrence Newton. Sa jeunesse  et les rapports conflictuels qu’il entretenait avec son paternel sont divulgués au fil de chapitres qui enrichissent l’histoire. En effet, ces passages nous dévoilent les fondations de sa personnalité, offrent un background solide à l’univers de Peter Hamilton tout en permettant de forger peu à peu un suspens alléchant.

A la désertique Amethi succède Santa Chico, synonyme d’énorme traumatisme pour notre héros, son escouade, et sa société ZB. Cette expérience sonnera le glas des expéditions de recouvrement, mais l’accepter et laisser le champ libre à ces nouvelles communautés exigent du discernement, du temps et surtout d’énormes baffes. Effectivement, il y a une forme d’impérialisme dans le déroulement des événements présentés même si la forme est sensiblement différente des douloureux faits historiques du XX° siècle. Le parallèle avec la guerre du Viet-Nâm qui a marqué les USA n’est pas anodin ni accidentel. Peter Hamilton construit son récit en enflammant les passions de part et d’autre pour parvenir à une confrontation qui y ressemble fort, notamment avec des embuscades dans les bois ou les menaces de représailles sur la population.

Les uns sont vus comme des oppresseurs et des pirates, les autres comme des terroristes. Cependant, il n’y a aucun manichéisme dans la présentation des enjeux et des parties avec Peter Hamilton – c’est une des forces du roman. Le lecteur aura tout loisir de pencher pour une faction ou une autre, si l’envie lui prend tant l’absence de « contraste » est savamment pesée. En revanche, j’ai noté une charge contre l’impérialisme politique et économique qu’une forte partie serait tentée d’exercer en profitant de son monopole et de sa puissance.

Cette recherche d’équilibre, sans manichéisme, se fait sentir également dans les choix sociétaux qui sont brossés : la société de consommation assumée, les communautés auto-suffisantes, le développement d’Amethi et sa lutte contre les éléments sur une planète vierge de tout écosystème, le village paisible du dragon sur Thrallsping,… un choix d’évolution biologique à Santa Chico qui découle de la parfaite symbiose entre le bipède et un biotope spécifique,… Des choix qui tiennent aussi bien de la mutation génétique que de l’adhésion à une philosophie de vie.

Oui, le roman est riche de thématiques. Peter Hamilton est un touche à tout puisque nous abordons l’homme « augmenté » par différentes techniques : manipulations génétiques, nanotechnologie, mutations génétiques, clonage, eugénismes, transhumanisme…. au point que parfois l’auteur emprunte un chemin qui aurait mérité de s’y appesantir pour explorer davantage cette route. Alors parfois, j’ai ressenti une certaine frustration au changement de destination.

Nous explorons des contrées diverses et variées qui offrent des bouffées d’exotisme langoureux ou vivifiant. Nous découvrons des procédés et des évolutions à dimensions humaines qui confèrent une crédibilité et une cohérence bienvenues : les expéditions par trous de ver, la propulsion par bonds des vaisseaux spatiaux, les communications, les logiciels dont l’énorme Apogée,…

A cela, il faut ajouter un rythme très bon, même si quelques expositions peuvent être un poil longuettes. Le suspens s’étoffe au fur et à mesure et nous avons droit à quelques rebondissements imprévus et inattendus. L’émotion est au rendez-vous que ce soit la frustration, l’animosité, l’amour, l’empathie, la colère,…. Et un final qui nous laisse pas tomber 😉 !

Quant aux protagonistes, pas de déception à signaler. Effectivement, quelques personnages sont avant tout présents pour faire avancer l’histoire, ont une utilité narrative et d’autres sont presque interchangeables. C’est le cas des membres de l’escouade de Lawrence qui ne se démarquent pas trop les uns des autres à l’exception de Hal. Les Simon m’ont fait furieusement penser aux M. Smith de Matrix, même s’ils possèdent des capacités et des traits de caractère les différenciant l’un de l’autre.

Restent Denise et Lawrence que beaucoup oppose, en premier lieu leur appartenance à deux factions antagonistes, chasseurs et proies à tour de rôle. Newton a grandi sur Amethi,  fan d’une série TV – qui ressemble fort à Star trek – il rêve d’exploration spatiale. Seules les grandes sociétés peuvent lui permettre d’atteindre ses étoiles. L’échec en font un homme un brin cynique, saupoudré d’une nuance d’amertume, qui reste loyal à ses hommes, déterminé et compétent.

Denise de son côté a tout de l’idéaliste anarchiste, sans côté fleur bleue; le sang et les exactions ne lui font pas peur. La douceur dont elle peut faire preuve est à l’aune de ses capacités de réflexion, car elle ne se laisse pas aveugler par sa cause. C’est un adversaire coriace!

Il reste le dragon…

Ainsi Dragon déchu est un roman prenant, intelligent qui vous prend dans ses filets peu à peu pour vous relâcher qu’une fois la lecture achevée. Cette aventure spatiale offre un voyage empli de sang et de fureur, d’espoir et d’exotisme. J’en ai pris plein les yeux, le cœur et les tripes et j’en redemande!

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Le livre :
  • Bragelonne
  • Traducteur : Nenad SAVIC
  • Date de parution : 25/04/2003
  • Numérique
  • 675 pages
  • (Grand format :  590 p)

29 réflexions sur “Dragon Déchu – Peter Hamilton

  1. Aaaah, content je suis ! Je suis un très grand fan de Peter Hamilton, et ça me fait plaisir de voir que tu as aimé. Comme le souligne très justement l’ami Fnitter, ce roman est une excellente porte d’entrée dans l’univers de l’auteur, tout simplement du fait que ses autres sagas font au minimum 2 tomes (de 500 pages environ, chacun !), et souvent beaucoup plus 😀
    Du coup, ce one-shot, franchement intéressant, est plus digeste, même s’il est loin d’atteindre les sommets des livres suivants d’Hamilton !

    Si tu as été impressionnée par le worldbuilding, j’ai hâte de voir tes impressions sur celui de l’Aube de la Nuit ou des sagas de Pandore / du Vide / des Fallers. Pour moi, Hamilton est un des auteurs les plus solides à ce niveau là. J’avais adoré les vaisseaux biotech (Faucons et Gerfauts) de l’Aube de la Nuit, ou les voyages interstellaires… en train (!) de Pandore. Et niveau personnages, c’est aussi un régal dans les autres cycles : de Paula Myo à Al Capone, d’Ozzie à édéard, c’est un vrai festival !

    Merci pour ton excellente critique !

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    • Je suis très heureuse de ma rencontre avec un de tes auteurs préférés. J’ai été effectivement séduite et impressionnée par le worldbuilding et le soin apporté aux protagonistes principaux. Comme je suis sensible à ces points, cela a fait un carton plein! Je vais voir ensuite l’Aube de la nuit dont le pitch et le contexte me tente énormément. Pas tout de suite, j’ai pas mal à lire!
      Merci de tes avis sur Peter Hamilton car ils ont été importants dans mon choix de lectures.

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      • Ahh non, je voulais dire que tu l’avais rédigée à chaud, j’avais cru comprendre dans ton Liebster que tu préférais laisser passer quelques temps pour digérer un livre avant d’en faire un post 🙂 Je voulais pas du tout sous-entendre qu’il avait été écrit à la va-vite haha je m’exprime mal !

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        • Oui, je l’ai rédigé à chaud. Enfin, une nuit me séparer de ma lecture. Mais comme je suis engagée dans la challenge 1000 pages en une semaine, je n’ai pas voulu prendre du retard.
          J’ai bien compris que tu ne me disais pas que je l’avais rédigé à la va vite. simplement que j’avais été rapide dans ma rédaction! ha!ha!ha! 😉

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  2. Ta critique me donne un bon coup de fouet pour me mettre enfin à la lecture de Peter Hamilton. J’ai plusieurs romans de lui sur ma PAL (la série « Pandore » avec ses quatre gros tomes, et ce « Dragon déchu », acheté il y a bien longtemps dans l’édition en grand format à 10 euros), mais je n’ai toujours pas franchi le pas alors que je suis sûr que ça me plairait.
    Mais c’est vrai que la taille de ces romans est un peu effrayante… 😀

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    • Je te comprends tout à fait. C’est justement la taille des romans qui a freiné mes débuts. Comme ils sont conséquents, j’avais un peu peur de m’y lancer. Chose faite avec Dragon déchu qui sans être exceptionnel m’a bien plu et je regrette pas de l’avoir lu. Loin de là.

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  3. En pleine Aube de la Nuit, ton billet prend évidemment une dimension toute particulière, et fait résonner une multitude d’échos 🙂
    Cet auteur m’épate pour tellement de raisons que je ne vais pas toutes les citer ici *_*
    Mais en revanche, je peux t’affirmer que je découvrirai ce Dragon là aussi 🙂
    Quand on a chopé le virus Hamilton, c’est mort !!! 😀

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