Les Chevaux Célestes – Guy Gavriel Kay

Les Chevaux Célestes de Guy Gavriel Kay

L’Atalante

« Le monde vous offre parfois du poison dans une coupe incrustée de pierreries, ou alors des présents stupéfiants. Il n’est pas toujours facile de distinguer les deux. » – GG Kay

 

Ce sont les phrases clés de ce roman. Et pour cause, Shen Tai se voit offrir 250 Chevaux Célestes. Ils sont mythiques, convoités et idolâtrés. 250 est un chiffre exorbitant, l’Empire Kitai dans son ensemble n’en possède pas l’équivalent. Il y a de quoi bousculer l’équilibre des pouvoirs au sein de ce pays millénaire, de quoi composer des poèmes immortels. Telle est la nature de ce présent… en apparence.

« Il n’est pas toujours facile de distinguer les deux. »

Suite à l’avis enthousiaste d’Apophis, ce roman était une de mes priorités en ce début d’année 2017. Je l’ai ouvert avec un sentiment mêlant appréhension et convoitise. La joie est au rendez-vous, c’est un coup de cœur.

Les Chevaux Célestes de Kay sont un genre de fantasy que j’apprécie particulièrement.

Il s’agit en premier lieu d’une fantasy historique. L’aspect surnaturel est léger tout en s’avérant crucial. Il n’est pas question de sorts, d’incantations spectaculaires, de manipulations d’éléments ou de pouvoirs incommensurables. La magie imprégnant l’univers de Kay reste discrète et se base sur la religion traditionnelle de la Chine (Taoïsme, Bouddhisme et Confucianisme). Ainsi le monde des esprits fait-il partie intégrante de l’environnement que ce soit au Kuala Nor, à travers les mystérieuses femmes-renards, les dieux vénérés ou bien les chamans des plaines du nord.

Légèreté de l’aspect fantasy n’est pas synonyme d’insignifiance, bien au contraire. Suite au décès de son père, Tai  décide d’honorer sa mémoire lors de son deuil de deux ans. Il enterre les ossements épars au Kuala Nor, dans les montagnes au nord ouest du pays. La tâche est titanesque, pas moins de 100 000 guerriers y ont péri. C’est en ermite qu’il accompli ce labeur, infatigable fossoyeur accompagné, escorté, surveillé par les esprits des morts.

Cette partie est fondamentale pour la suite : elle permet d’ancrer le récit dans cette fantasy subtile que je viens d’évoquer et d’immerger le lecteur dans la culture asiatique du Kitai. J’ai été particulièrement sensible à l’exotisme, à la beauté et aux nuances  de cette ambiance. Tout un aspect historique vient charpenter Les Chevaux Célestes. Les recherches consenties offre un univers riche, envouteur et exotique à souhait. Kay nous projette dans une  Kitai qui n’a rien à envier à la Chine de la dynastie des Tang. L’auteur s’en est fortement inspiré et à plus d’un titre; us et coutumes, organisation sociale et politique en sont directement issus  ainsi que la révolte d’An Lushan en 755 (merci Wikipédia). Ce fut – et c’est la cas dans le roman –  une période bienheureuse pour l’empire, dangereuse pour les acteurs haut placé. La Route de la Soie a permis le développement du  commerce, de la richesse et  du rayonnement du pays à l’extérieur. La religion (ses courants principaux) a influencé la structure sociale et façonné une culture exotique à nos yeux d’européens. C’est aux côtés de Shen Tai que le lecteur est invité à traverser l’immense pays, à découvrir cette richesse hors du temps. C’est encore avec lui ou ses proches qu’il affrontera les dangers, les tensions, l’indécision et parfois de petites victoires.

Au-delà d’une fantasy historique, Guy Gavriel Kay nous propose une intrigue politique savamment orchestrée, dans laquelle s’imbrique avec habileté la problématique des Chevaux Célestes. Effectivement, nous sommes dans une région où le respect de l’apparat et le comportement idoine peuvent avoir des répercussions fatales. Un verre de vin trop chaud peut conduire à la mort! Alors 250 Chevaux Célestes apparaissent comme un présent somptueux… ou un cadeau diablement empoisonné.

La situation pourtant claire de notre protagoniste va basculer avec ce dernier. Cadet d’une famille estimée, sa voie semble tracée et prévisible puisque la direction de la famille échue entre les mains de son frère aîné, personnage ambitieux, cultivé, et intelligent. Shen Liu est devenu un mandarin de haut rang et un conseiller puissant à la cour de l’Empereur Céleste. 250 Chevaux Célestes balaient d’un revers de parchemin, une hiérarchie familiale si bien  établie, et fragilise ou renforce une position enviable dans ce nid de dragons pas très clairs.

Mais que dire du bouleversement à l’échelle d’un pays ? L’équilibre des pouvoirs est déstabilisé, les jeux et intrigues politiques prennent leur essor. L’assassinat politique est à l’ordre du jour tant l’influence de ce cadeau unique secoue l’empire jusqu’aux plus hautes sphères du gouvernement. Cette facette du roman est haletante; jusqu’au dernier moment nous sommes dans l’incapacité de savoir où et quand les couperets vont tomber, quelle sera la prochaine victime expiatoire…

La galerie de personnages met en valeur cet ensemble. Chacun d’entre eux revêt une personnalité toute en relief, avec de multiples nuances et des logiques qui n’appartiennent qu’à l’homme. Ici point de caricature, les protagonistes s’animent d’une vie propre, presque indépendante du lecteur. Aux premiers plans  -Shen Tai, Shen, Liun, Li Mei, Zhou, Wong, le Poète Immortel – sont superbement rendus par une plume à la hauteur de ce récit tout en équilibre et en nuances. Kay maîtrise parfaitement l’art de brosser un caractère en quelques phrases et mots soigneusement choisis. Même le soldat en charge d’un cheval a des traits distinctifs.

Magnifique récit de fantasy historique et politique, par bien des côtés ce roman se rapproche de la Trilogie de l’Empire de Feist & Wurst, essentiellement dans son approche des jeux de pouvoir,  de l’exotisme du cadre, et du soin apporté aux personnages. La magie diffère toutefois l’un de l’autre. Le suspens repose essentiellement sur les enjeux politiques, et les dangers qui guettent Tai , Wong et Li Mei. Cependant l’auteur nous gratifie de quelques combats à pied ou à cheval, avec une lame ou un arc, seul ou accompagné…

Cette somptueuse épopée asiatique possède de nombreux atouts pour séduire un public exigeant sur la qualité d’écriture, soucieux de  la cohérence de l’intrigue et avide de découvrir une fantasy dépaysante.  Les touches surnaturelles sont distillées avec brio, le récit est  accessible mêmes aux lecteurs réfractaires à la fantasy.

Sans feux d’artifices magiques.

Il y a sans doute des petits défauts, j’ai choisi de ne pas les voir.

Le Fleuve Céleste, la suite.

Autres critiques :

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Challenge Littérature de l’Imaginaire – 5° édition:

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Défi Lecture 2017 : #59 un livre comportant une carte

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Le Livre :

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Traduit par : Mikael Cabon
Illustrateur : Raphaël Defossez
Collection : La Dentelle du cygne
Nombre de pages : 656
Prix : 27,00 €
juin 2014

75 réflexions sur “Les Chevaux Célestes – Guy Gavriel Kay

  1. Merci pour le lien 🙂

    Tu as apprécié ce livre, j’en suis très content ! Tu vas lire la suite, du coup, je suppose ? Et j’ajoute que si tu as aimé celui-là, jette-toi sur Les lions d’Al-Rassan, il est deux fois meilleur, c’est te dire le niveau stratosphérique 😀

    (sinon, si tu trouvais cet avis-là enthousiaste, je ne sais même pas comment tu vas qualifier ma prochaine critique, j’en suis au point où je réfléchis à une catégorie supérieure à (roman) Culte d’Apophis 😀 ).

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    • Je t’en prie pour le lien! 😉
      Oui, je vais lire la suite, d’autant que le livre m’a été offert à Noël. J’ai les Lions d’Al-rassan également et je vais aussi le lire, je vais me faire un mois thématique « Orient-express » départ de Londres pour la Chine! Horaires à préciser! 😉

      APrès enthousiaste, il y a dithyrambique pour moi.
      Que lis-tu ?
      Je sens que je vais ouvrir mon porte-monnaie…

      Aimé par 2 personnes

      • Ah cool !

        La promesse du sang, de Brian McClellan : imagine un roman qui reprend le côté épique du Livre Malazéen des Glorieux défunts tout en utilisant un cadre inspiré par la Révolution Française, et plusieurs types de magie, dont un basé sur la poudre noire, avec des personnages d’une facture puissante, des intrigues politiques, des enquêtes, des batailles martiales et magiques, et tu auras une petite idée du chef-d’oeuvre que c’est. Critique à venir samedi, normalement.

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        • Celui-là tu auras du mal à me le vendre… il est dans ma PAL!
          En revanche, ce que tu en dis!!!! J’ai carrément envie de m’y précipité dessus. D’ailleurs je compte le mois prochain avec Les manteaux de gloire et les 1000 noms.

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    • C’est encourageant pour la suite, d’ailleurs si je la trouve aussi bonne, ce sera déjà un super moment de lecture. Si c’est mieux, j’en rêve.
      J’ai lu effectivement que les autres romans de l’auteur était plutôt très bons.

      Merci! 🙂

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      • Je n’ai pas d’attente particulière, si ce n’est celle de ne pas lire les sempiternelles fantasy interchangeables (pov’gosse + événement + quête + amour).
        J’ai lu un peu de fantasy dans une autre vie, mais c’est si loin.
        Et j’ai à mon actif les inévitables Janua Vera et Gagner la guerre

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        • Je pense que tu peux le tenter dans ce cas. Il y a une très belle ambiance, et cela est très loin des classiques à l’ennui univers médiéval avec le jeune paysan qui réalise la prophétie lambda de détruire le méchant tyran et qui sauve la princesse, la vache et la laitière…
          Il n’y a pas de quête ici!

          Oui, c’est vrai, c’est un peu de cette veine « historique » (et pas besoin de savoir grand chose sur la chine pour apprécier).

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  2. J’avais lu les trois premiers, il y a fort longtemps (Tigane, La chanson d’Arbonne et les lions d’Al-Rassan) re-création (et récréation) de la Florence de la Renaissance, de la Cour de Bourgogne et de la grande Andalousie arabe, j’avais adoré.
    Du coup je me demande bien pourquoi j’ai ensuite arrêté de lire ce grand auteur !
    Tu me donnes envie de m’y remettre.

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    • Tant mieux si je te donne envie de lire cet auteur à nouveau. Pour ma part, c’est une découverte, et je me suis régalée. C’est effectivement vraiment immersif – je l’ai lu en moins de 4 jours.
      Je lirai Le Fleuve Céleste et je compte ensuite attaquer Les Lions d’Al-Rassan.

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  3. Je confirme pour les « Lions d’el rassan », mais aussi « Tigane », très bien (Renaissance italienne) et surtout les 2 tomes de Sarance (Bysance…). En revanche, « Ysabel », bien qu’il se passe à Aix en Pce (où j’ai vécu 30 ans…) est très nul…(ou très raté…. et très mal traduit en plus…)

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  4. Donc en fait ça parle pas vraiment de chevaux ? Les jeux de pouvoirs ça me bottent pas trop (ouais j’ai tendance à trouver ça ennuyeux au possible), donc je pense pas que ça me plairait. Après, le côté asiatique a l’air assez intéressant tout de même …
    Kara

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    • Euh, comment dire ?
      Les chevuax sont à la fois le sujet central, mais nous n’en voyons que peu la couleur. Non, ce n’est pas un roman sur l’équitation, mais sur le levier politique (et leur capacité du coup à sauver quelques vies) qu’ils représentent.
      C’est aussi une fantasy historique avec une merveilleuse immersion dans un pseudo-Chine brossant l’ensemble de la société d’alors, des croyances aux jeux politiques.
      Le côté asiatique est superbement rendu ey c’est le point fort du roman.
      Pour ce qui est de l’intrigue politique – liée à cet aspect culturel – il faut voir si tu aimes Games of Thrones. Ici, c’est moins complexe, moins sanglant, moins violent, c’est plus subtil et surtout Tai cherche à sauver sa peau.

      Voilà, je ne peux guère faire mieux pour éclaicir tes réserves.

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  5. J’avais adopté ces Chevaux Célestes sur les précieux conseils du Bibliocosme ! Leur nombre m’a un peu effrayée, 250 mais c’est quand même un peu encombrant dans une bibliothèque, mais je ne suis plus à ça près ^_^
    Le problème, c’est qu’ils commencent à piaffer d’impatience, et je devrais leur mettre la bride sur le cou dès que possible 😉
    Merci pour ta chronique furieusement tentante 🙂

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    • Oui, ces chevaux sont impatients et fougueux. Ils sont non seulement encombrants, avec un tel nombre, mais virevoltent à tout va. Ils sont besoin de ta bride, mais aussi de pendre l’air. Tu ne peux pas y couper, il faut que tu les domptent et les montent!

      Merci à toi ! 🙂

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  6. Je n’ai pas encore eu l’occasion de lire de romans de Guy Gavriel Kay mais plus j’en entends parler, plus je me dis qu’il va falloir que je comble cette lacune ! Merci pour ta critique, elle donne très envie de se plonger dans ce livre 🙂

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  7. Sincèrement, je n’aurais pas voulu être à la place de Shen Tai… que faire de 250 chevaux sublimes ? J’avais un peu peur de m’aventurer dans ce roman-ci car je ne maitrise absolument pas ni l’époque ni l’Histoire de ce pays : et finalement, c’était sous-estimer la plume de GGK 😉 Je n’ai pas encore découvert la suite.

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  8. C’est grand, c’est beau, c’est fort.
    Et avec la nouvelle collection poche que vient de dévoiler L’Atalante, on peut peut-être s’attendre à retrouver du Kay sur les étals des libraires plus facilement, en tout cas je le souhaite.
    Maintenant il faut que je lise « Le fleuve céleste ».

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  9. […] Les Chevaux Célestes et Le Fleuve Céleste  proposent une immersion de toute beauté dans une Kitaï enivrante, réplique de la Chine des XIII° et XVI° siècle, alors qu’avec le présent roman, l’Espagne de la Reconquista est à l’honneur. Une autre caractéristique fondamentale de l’auteur canadien réside dans le soin apporté à cette retranscription historique et dans son travail de documentation en amont pour créer tout monde et une culture proches de la référence choisie. […]

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