Hypérion 1&2 – Dan Simmons

Hypérion de Dan Simmons

Les Cantos d’Hypérion, tome 1

Prix Locus, Prix Hugo

Il y a quelques temps, j’ai exprimé mon exaspération concernant le découpage d’Hypérion par les éditions Pocket. Une scission criminelle – séparant l’intrigue artificiellement et arbitrairement – qui laissait au lecteur un goût d’inachevé et de trahison (et d’être pris pour une vache à lait). C’est d’autant plus contraire à toute éthique qu’initialement le roman original en question n’est pas si volumineux.

Je vous propose donc une chronique complète du tome 1 et 2,  produit de notre édition bien française.

Hypérion narre le voyage au sens propre comme au figuré de sept pèlerins, choisis par les instances de l’Hégémonie pour formuler une supplique auprès du Gritche. Au cours de ce trajet, chacun va exposer les raisons de sa présence; des récits qui vont rythmer le roman de Dan Simmons.

Hypérion est une pulsation, bien plus qu’une pulsation cardiaque, bien plus complexe qu’un battement. Elle est une manifestation à la fois physique, émotionnelle, intellectuelle, visuelle et auditive.

Initialement cette pulsation s’apparente à une fragile lumière dans notre océan de perplexité, suffisante toutefois pour éclairer les premiers éléments du récit. Le lecteur découvre à ce commencement l’étrange et mystérieux Gritche. Puis, la pulsation s’intensifie, les pourtours de l’histoire d’Hypérion et de l’Hégémonie s’affinent tandis que la lumière franchit à chaque fois plus d’espace. Les informations s’enrichissent, l’univers gagne en profondeur et en densité, et le monde complexe créé par Dan Simmons déploie peu a peu des facettes toujours plus lumineuses.

Le lecteur se laisse d’abord appâter par la curiosité, avant que l’intérêt ne le ferre. Le roman gagne alors en force transformant l’appétence en avidité, les récits délivrant une trame et un univers de plus en plus palpitants.

A l’image des vies de nos pèlerins, leur voyage se corse. Le trajet sans histoire, se fait plus étrange pour virer vers des perspectives sacrificielles alors que la violence s’installe. Même le pèlerinage semble promis à un échec, compromettant l’avenir au-delà des seuls pèlerins. En effet, nous prenons conscience d’enjeux complexes et d’envergure… galactique.

Mon enthousiasme ne se réduit pas à la seule densité et complexité de l’univers, les sept pèlerins possèdent tous des tempéraments et une histoire qui attirent notre  attention mais bien souvent notre sollicitude (peut-être pas Martin Silenus, un peu trop amer). Sept hommes et femmes et autant de facettes diverses de l’être humain : Poète, soldat, politique, parent, amoureuse/amoureux, scientifique, prêtre, …et autant d’explorations de l’homme : spiritualité, espoir, colère, désir de vengeance, ressentiment peur, créativité, existentialisme et amour surtout. Car Hypérion pour moi, est en partie une histoire de l’amour divers et varié.

Les thématiques vont au-delà de ce sentiment profond et souvent absolu, les questions existentialistes sont à l’ordre du jour en corrélation avec des vues artistiques, spirituelles et philosophiques. La société humaine s’est répandue dans l’espace à travers l’Hégémonie; cette entité politique ressemble un peu au Léviathan de Hobbes, un monstre aux bases d’argile, en proie à des relations complexes avec les IA…

La construction surprenante de cet univers s’avère magistrale. Ces pulsations lumineuses et sonores en sont le socle. Ce sont des itérations d’un même motif (Hypérion, le Gritche) très semblables au  Boléro de Ravel qui reprend le même thème avec de la nouveauté et plus de richesse à chaque passage. L’auteur dévoile de nouvelles nuances à chacune des reprises, gagnant en intensité, en puissance, en émotion, en complexité mais aussi en compréhension pour le lecteur.

Notre mélodie de base concerne Hypérion et l’invincible Gritche, un être mercuriel maîtrisant le temps. Nous les découvrons lors du premier récit du père Hoyt. Puis, le Colonel Kassad parle de la guerre contre les extros, d’une relation intime et intense avec une inconnue, et du Gritche. Le poète Silenus a bien connu Le Roi Billy lorsqu’il a fondé une colonie sur Hypérion.  Planète sur laquelle l’artiste a écrit l’œuvre de sa vie, d’une puissance évocatrice sans commune mesure, tandis que le Gritche abattait les colons un par un… Le récit de Sol porte sur son combat familial contre le temps lui-même et accessoirement les fameux Tombeaux du Temps. Lamia la détective aborde le sujet des IA et de son histoire d’amour avec l’une d’entre elles. C’est l’occasion d’aborder leur implication officielle et officieuse dans l’Hégémonie. Enfin, le consul dévoile une histoire familiale prenante, émouvante ainsi que les coulisses du pourvoir; une histoire qui lie les éléments : le Gritche, les Tombeaux, l’Hégémonie, les extros, les IA en une bombe à retardement gigantesque et potentiellement dévastatrice.

Ces pèlerins ont des dimensions, des caractères et personnalités bien différentes qui transparaissent dans chaque histoire contée avec leur verve ou leur économie de mots, tous avec le font avec implication et émotion. Ce sont des blessés de la vie, torturés par leurs actes ou par leur impuissance; ils se présentent pour ce pèlerinage avec une revanche à prendre ou une espérance insensée.

Magistral.

J’aurais pu choisir une chronique plus classique en expliquant combien la construction est ingénieuse (elle l’est) en permettant d’introduire par strates un univers dense et complexe (il l’est), tout en facilitant l’incorporation du lecteur dans l’Hégémonie. Dans la même suite d’idée, j’aurais pu exposer la saveur de ce monde (elle est fabuleuse) qui touche à l’humain, la politique, la spiritualité, aux sciences et techniques, à l’art, à la guerre, au temps. Mais j’ai opté pour une approche autre, orientée vers mes ressentis et ma perception de ce roman culte.

Malgré tout, je pense que Hypérion ne peut pas plaire à tous les lecteurs. Déjà, le vaisseau arbre risque de surprendre plus d’un lecteur non averti (ou trop terre à terre), ensuite,  cette construction ingénieuse peut détourner le lecteur en recherche d’une trame plus linéaire, ou plus tournée vers l’action. En effet chaque itération exige  du conteur, une phase d’introduction et d’explication avant de s’achever avec de plus en plus de « force ».

Le roman en lui-même n’est pas exempt de défauts, mais ce sont des confettis perdus dans le vent au regard  de la saveur et de la qualité proposée par Dan Simmons.

Autres critiques :

Le culte d’Apophis Au pays des cavetrollsLes blablas de Tachan

Challenges :
Challenge Littérature de l’Imaginaire – 5° édition
d2_orig
Défi Lecture 2017 : #5
Les pavés 

67 réflexions sur “Hypérion 1&2 – Dan Simmons

  1. Vous allez arrêter tous là, à me faire culpabiliser pour ne pas encore avoir lu ce cycle ? 😀
    Non parce que j’aimerais bien m’y mettre (d’ailleurs j’ai les quatre tomes du cycle, non découpés et en format semi-poche, plus respectueux des romans VO (et des lecteurs aussi disons-le)), mais je n’ai pas assez de teeeeeeeemps… 😀

    En tout cas, je note que tu fais partie des convaincus (mais y a-t-il des non-convaincus ?). 😉

    Aimé par 3 personnes

  2. Je suis ravi que tu aies aimé ce grand roman, et je te félicite pour cette très belle critique 🙂

    J’espère que tu apprécieras la Chute d’hypérion, ainsi que Endymion / l’éveil d’Endymion qui dans le registre « amour », vont vertigineusement loin (tu comprendras une fois que tu auras lu le diptyque).

    Aimé par 1 personne

    • Aaaah! Chouette! Merci, je suis de mon côté ravie que tu l’apprécies. J’ai beaucoup aimé le roman et la deuxième partie m’a totalement convaincue et émerveillée. Merci de me l’avoir fortement recommandé.
      Je n’ai pas pu concevoir une critique « classique »…

      Tu es tellement cryptique sur Endymion!!! Je pense bien que la Chute sera un must !

      Aimé par 1 personne

  3. Je vais les relire aussi !
    Mais, à mon avis, Dan Simmons a eu aussi qques ratés, et je ne le vois plus rien faire paraître…
    Je n’ai pas pu finir les gros pavés Ilium et Olympos et Flashback est vraiment mauvais…Il faut que j’essaie les polars de Joe Kurtz…
    Encore bravo pour ces belles critiques…

    Aimé par 1 personne

  4. Je crois que je vais attendre un peu encore avant de me lancer. Il y a un « je ne sais quoi » qui me dit de passer mon tour.

    Mais ta critique tombe au bon moment. Je suis en cours de lecture de Au delà du gouffre. Dans la nouvelle L’ambassadeur, il y a un vaisseau alien en forme d’arbre. Hasard ou Hommage ? Et y a t-il des références qui m’auraient donc échapper ?

    Aimé par 1 personne

    • Écoute ton instinct! L’espèce canine est reconnue pour être dotée d’un sixième sens, alors faut lui faire confiance.

      Pour moi, c’est clairement un hommage. ET quand j’ai lu la nouvelle L’Ambassadeur, j’ai immédiatement pensé au vaisseau-arbre de Simmons.
      Pour Hypérion, c’est la seule référence que j’ai noté.

      j’ai hâte de lire ce que en penses!!!

      J’aime

      • J’en suis seulement au début de la partie 3, la nouvelle Les choses m’a fait prendre du retard. Bilan un peu mitigé pour l’instant, je ne suis décidément pas hard SF. C’est parfois un peu froid, clinique presque. Et la poésie scientifique me passe au-dessus de la tête.
        Mais les nouvelles avec des hommes, même augmentés, me plaisent, en particulier Le second avènement de Jasmine Fitzgerald qui a ma préférence pour l’instant.
        Bon, je m’arrête là sinon je vais finir par faire mon billet en commentaire sur ton blog et dans le mauvais sujet en plus !

        Aimé par 1 personne

        • J’avais l’espoir que tu aimes, mais d’un autre côté je comprends, j’ai du mal avec beaucoup d’auteurs de Hard-SF.
          Arrêtons là effectivement, je lirai ta critique « mitigée » je suppose sur ton blog. 🙂

          J’aime

    • Ha!ha!Ha!
      Pour tout te dire, j’avais fait une tentative de lecture il y a quelques temps de cela (quelques années) et le vaisseaux arbre m’avait sidérée -pas de manière positive – du coup j’avais laisser le bouquin de côté.

      Moi aussi, je suis parfois « terre à terre »! 😉

      Cette fois-ci je m’attendais au vaisseau arbre, et j’ai pu passer au-delà. Je comprends que cela puisse être refroidissant! Tout comme, je ne pense pas que les auteurs puissent séduire absolument tout le monde.

      Deux tentatives, cela ne passe pas, oui je crois que tu peux lui dire un « non » définitif! lol

      J’aime

  5. Ne t’arrête surtout pas là, et lis la suite avec Endymion. C’est une atmosphère très différente mais qui prolonge bien cet univers. Et le Gritche revient ! (Une des plus belles inventions en SF à mon avis. Sous ses dehors un peu bougon, voire taquin, le Gritche est d’une finesse conceptuelle tout à fait unique.)

    Aimé par 1 personne

  6. Tu as raison d’axer ta critique sur ton ressenti. Il y a déjà quantité de critiques vantant ses qualités littéraires. La seule pierre que nous pouvons apporter est celle de notre impression.

    Il se passe 274 ans entre les Cantos d’Hypérion et Les Voyages d’Endymion. Je trouve que c’est beaucoup mieux de laisser passer au moins un an.

    Ce que tout le monde ne sait pas c’est qu’il y a une suite à l’univers d’Hypérion. Une nouvelle : Les orphelins de l’Hélice. Là encore, elle se passe quelques années après l’opus précédant, donc on peut laisser passer un ou deux mois. Attention : à ne lire qu’après avoir fini le cycle d’Hypérion. Tu peux la télécharger gratuitement ici : http://medias.lemonde.fr/medias/obj_multi/helice.pdf

    Aimé par 1 personne

    • Merci! 🙂

      Il y a pas mal de romans que je souhaite lire cette année. Alors effectivement, je vais lire rapidement La Chute d’hyperion, puis laisser du temps avant d’embrayer avec la suite. Et je veux découvrir d’autres oeuvres de Dan Simmons.
      C’est une suggestion qui ma plaît beaucoup de laisser un an avant de lire Endymion.

      Un grand merci pour cette nouvelle, le lien, et le conseil. J’aurais ainsi les 3 « volets » Hypérion en 2017.
      Très sympa, merci. 🙂

      J’aime

  7. Très intéressante ta chronique ! J’avais beaucoup aimé la construction de ce roman (c’est sans doute pour ça que les suites m’ont moins convaincue, la construction est moins brillante dans mon souvenir).

    Aimé par 1 personne

    • Oho… C’est vrai que j’ai beaucoup aimé la construction du roman. Si c’est différent, j’attaquerai la suite avec moins d’attentes. J’éviterai l’écueil de la déception et de la comparaison ainsi.
      Merci! 🙂

      J’aime

  8. Ah… décidément il me tarde de lire ce cycle !
    Au passage je vois que tu es en train de lire Blind Lake. Voilà un des romans qui m’a le plus enthousiasmé ces dernières années. Je suis un fan de RC Wilson, et parmi ses romans Blind Lake fait partie de ceux que je préfère ! Hâte donc de voir ton ressenti sur ce bouquin.

    Aimé par 1 personne

Laisser un commentaire