La Flotte perdue

La Flotte Perdue

de Jack Campbell

« Il suffit d’ajouter « militaire » à un mot pour lui faire perdre sa signification. Ainsi la justice militaire n’est pas la justice, la musique militaire n’est pas la musique. » – Clémenceau

« N’interrompez jamais un ennemi qui est en train de faire une erreur. » – Napoléon

 

Je vous propose aujourd’hui un article assez délicat sur l’univers de La Flotte Perdue. Délicat est un qualificatif qui peut surprendre, mais que j’utilise sciemment, tant les séries de SF militaire ont mauvaises réputation dans notre hexagone.

J’ai toutefois envie de prendre ce risque, au sujet de cette saga sympathique et finalement pas si mal menée. Je vous invite donc à faire fi de vos réserves, de vos doutes, de votre incrédulité et de poursuivre la lecture.

J’ai rédigé cet article qui sera en présentation du récapitulatif des tomes lus, dans la partie « influences & auteurs ».

La Flotte perdue représente trois séries de SF militaire, La Flotte perdue proprement dite, Par delà la Frontière, Étoiles Perdues. Jack Campbell écrit cette saga depuis 2006, et le tout comporte 15 romans. Les trois peuvent se lire indépendamment.

L’auteur rédige son récit sous pseudonyme car il s’agit de John G. Hemry (né le 14 avril 1956), ancien officier de marine de l’US Navy. Il publie également de la Fantasy, et d’autres titres sous son patronyme.

Je conçois que les structures narratives et les ambiances proposées dans ce genre de romans ne séduisent pas l’ensemble des lecteurs. En premier lieu, la terminologie employée est spécifique, et souvent quelques connaissances militaires sont nécessaires pour pouvoir s’immerger dans l’histoire proposée. Effectivement le lecteur ne sachant pas faire la différence entre un adjudant, un major, un capitaine et un colonel aura du mal à saisir les conversations, et les dynamiques entre les personnages.

En second lieu, les valeurs exposées, nécessaires à la crédibilité de ce genre d’intrigues peut être vécu comme un message de pro-militariste même s’il en est rien. Et, si le lecteur choisit de le voir ainsi, la position de l’auteur alors ressentie peut heurter. Or, ce sont justement, des valeurs indispensables à un récit de SF militaire, elles en sont la clé de voute : discipline, loyauté, devoir, abnégation, hiérarchie, esprit de corps,…  Sans cela, ce n’est guère qu’une bande de mercenaires.

L’ambiance martiale a aussi toutes les chances de déplaire si fondamentalement le lecteur n’a aucune sympathie pour la chose militaire. Il ne verra alors qu’un récit généralement militariste. Ceci, n’est pas une critique de ma part, je conçois cela comme une question d’affinités. Bref, revenons, à la Flotte Perdue.

Cette saga relate une guerre interstellaire entre deux puissances galactiques humaines, de culture différente : l’Alliance et les Mondes Syndiqués. L’Alliance a réussi – grâce à un traître – à récupérer la Clé de l’Hypernet (code des portes des systèmes solaires ennemis). Le haut Commandement a donc décidé de lancer une opération militaire d’envergure en territoire ennemi afin d’éliminer leur Flotte et gagner une guerre qui dure depuis bien trop longtemps. En chemin, ils récupèrent (L’Alliance) un héros légendaire, la figure emblématique de la résistance et du courage, Black Jack Geary qui dérivait dans le néant dans sa capsule de sauvetage depuis un siècle.

Or, le traître en question n’en est pas un, et il s’agit d’un piège monumental destiné justement a attiré le loup dans la bergerie pour mieux lui faire sa fête et pour le coup d’anéantir la flotte de l’Alliance.

Pour faire court, le piège fonctionne plutôt bien, les officiers généraux de l’Alliance sont conviés à discuter les termes de leur rédition, puis sont assassinés promptement. Black Jack se retrouve à la tête de la Flotte de l’Alliance avec 300 vaisseaux en raison de son ancienneté dans le grade de Capitaine de Vaisseau… Forcément avec plus de 100 ans, difficile pour les autres de rivaliser… Il lui faut donc ramener tout le monde au bercail et traverser les lignes ennemies avec leur propre Flotte qui leur file le train.

Si vous avez suivi mes précédentes chroniques sur les deux premiers tomes, ou si vos connaissances en histoire militaire antique sont fournies, vous aurez reconnu de nombreuses similitudes avec la fameuse Retraite des 10 000, un périple à travers l’Asie mineure menée par Xénophon.

Plusieurs points m’ont séduite dans cette épopée. Effectivement, la retranscription  de cette terrible défaite dans un futur à l’échelle galactique ont largement éveillé ma curiosité. J’avoue même avoir salivé en me demandant comment Jack Campbell adapterait cet exploit militaire. Il s’en tire avec les honneurs car il parvient à rendre la difficulté du strategos d’alors à convaincre des troupes disparates, à les motiver, à les faire manœuvrer ensemble et gagner des combats lors de leur repli.

En lieu et place de Xénophon, l’auteur imagine la figure de Jack Geary « décongelé » un siècle après sa dernière bataille. Le conflit générationnel est important, et peu de choses sont encore communes avec les jeunes militaires. Xénophon, s’est également trouvé dans une situation délicate, il a fallu se faire élire, et convaincre les autres stratégos de la meilleure décision à prendre, alors que les unités n’avaient pas la même nationalité, les mêmes considérations, les mêmes objectifs,…

Ainsi, le leadership est-il un enjeu des premiers tomes, associé au décalage entre les générations, et le fameux sujet « c’était » mieux avant« . L’auteur traite également la question de la cohésion, des conditions nécessaires au travail d’équipe, des compromis et des compromissions, car à l’image des troupes sous Xénophon, la Flotte de l’Alliance n’est pas Une. Elle regroupe des petites unités de diverses républiques alliées, des capitaines de vaisseaux aux objectifs, motivations, égos et ambition très diverses.

Contrairement à pas mal de récits plus anciens, les deux « blocs » en conflit ne sont pas aussi politisés que lors de l’ère de la Guerre Froide. L’Alliance a bien des travers, Les Mondes Syndiqués n’ont rien de soviétiques, il s’agit plus exactement d’une dictature plutôt oligarchique (militaire/grandes entreprises). Et finalement, le lecteur se demande à la fin, si de retour au pays, Le Flotte Perdue aura le même accueil que Xénophon au pied des cités grecques : la peur et le bannissement.

En effet, à l’époque antique, une telle armée était impensable, les citoyens craignaient que la troupe se comporte comme les bandes armées l’avaient fait jusqu’alors avec une telle supériorité numérique : viol, pillages, meurtres. Pour Xénophon, il n’en a rien été, et c’est la différence entre justement une bande armée, et une armée disciplinée. D’ailleurs, c’est une notion fondamentale qui mérite réflexion : les ressorts nécessaires (de tout temps) qui font la différence entre un corps et un autre à force équivalente, supérieure à un monde civil.  La Flotte Perdue, représente toutes ces thématique en sus d’un récit de batailles spatiales, et d’une aventure à travers la galaxie.

J’achève ainsi la présentation de la saga, La Flotte Perdue, une retranscription d’un exploit militaire antique, avec l’adaptation à une ère moderne. Les thématiques traitées sont certes classiques et d’autres romans l’ont fait bien avant et parfois plus profondément, mais elles demeurent intéressantes. L’univers créé se concentre initialement sur des conflits humains au sein de cette flotte avant de s’étendre aux « blocs » en conflit, et même au-delà avec l’apparition d’un troisième larron…

Bien évidemment, je suis preneuse de toutes vos suggestions afin d’améliorer cette présentation.

 

51 réflexions sur “La Flotte perdue

  1. Pourquoi voudrais-tu l’améliorer ? Je la trouve très bien ainsi cette présentation !
    Autant l’avouer, je suis une brêle en terminologie et stratégie militaire…
    Pourtant, je ne ferme pas la porte à ce thème car ce qui m’intéresse avant tout dans une histoire, c’est l’humain ^_^
    Merci de t’être mise en quatre pour nous rédiger ce chouette billet 😉

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    • Ah! Merci! je suis vraiment ravie que tu le trouves chouette! Je ne voulais pas être trop dans regardez, c’est trop bien la SF militaire. 🙂
      Je t’en prie, je suis contente d’y être enfin parvenue! 😉

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  2. C’est une série que j’aime beaucoup pour l’instant, de par le coté stratégique qui prend le dessus dans certains tomes plus que dans d’autres ^^

    Il me reste à lire les deux derniers de la première série, je sais je suis assez lente mais quand ça me plait j’ai tendance à ralentir ma lecture vers la fin pour faire durer le plaisir. Mais mon objectif est de la terminé d’ici la fin de l’année quand même, histoire d’aller voir les suivantes ensuite ^^

    Belle présentation en tout cas, j’espère que ça donnera envie à certaines personnes d’essayer et qui sait faire de nouveaux adeptes ^^

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    • Merci! C’est génial de ne pas être la seule à aimer cette série, et femme de plus! 😉
      Oui, les ambiances sont plus ou moins stratégiques, humaines ou angoissantes.

      Mon objectif est de terminer cette année la première série.

      Merci pour le compliment, le but s’est effectivement de pousser d’autres lecteurs à lui donner sa chance. 🙂

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  3. C’est un très bon article, très complet et qui donne envie de lire les bouquins,pour une très bonne série…
    Il faudra un jour se débarrasser définitivement de ces idées post 68ardes et post modernes anti militaristes…

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    • Merci!
      Oui, c’est une bonne série qui souffre du qualificatif « militariste » comme toute série militaire en France. Dommage.
      C’est même antérieur à 68, Clémenceau le notait déjà au début du XX°…

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  4. Merci pour cet article, enrichissant. C’est sympa de découvrir ton « érudition » militaire. J’ai toujours regardé du coin de l’œil le cycle de la flotte perdue.
    Les couvertures m’appelées dans les rayonnages. Grand joueur d’Eve Online a l’époque, je rêvais de lire une bonne saga de SF militaire remplie de batailles. Je suis passé à côté au final.
    Rien à redire, merci pour les citations aussi, celle de Clémenceau est vraiment classe.

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  5. Hum pas pour moi je pense. Si les livres traitant de guerres antiques, médiévales, renaissance etc m’intéressent, les transcriptions modernes me laissent elle plutôt sur le carreau (trooop de films /livres de guerres lus avec mon frère/père m’ont franchement déçue ^^;)

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  6. Avec ce début d’article qui explique les spécificités de la SF militaire, je réalise que je suis un habitué du genre sans vraiment le savoir. Il faut avouer qu’avec tout ce que j’ai lu (et que je relis régulièrement) de Star Wars, c’est flagrant ; certaines séries étant vraiment portées sur le sujet (typiquement la série X-Wing) et d’autres l’incluent au milieu de tout le reste. Finalement, je n’avais jamais vu ça comme étant du récit militaire, ça faisait juste partie du contexte qui me paraissait normal et cohérent. Et même s’il y a un vocabulaire dédié, un livre bien écrit a toujours, selon moi, de quoi aider le lecteur à intégrer les notions qu’il ne connait pas forcément. J’avoue que même si je n’ai jamais été porté sur « l’art militaire », avec tout ce que j’ai lu, je suis suffisamment à l’aise pour connaitre la hiérarchie des grades, les discussions de stratégie et tout le reste.
    M’enfin bon désolé, je parle un peu trop de moi.

    En tout cas une chronique très sympathique, à la fois pour l’introduction sur la SF militaire (qui m’a donc permis d’apprendre des choses ^^ ) et la critique du roman en lui-même (qui donne très envie). Merci ! 🙂

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    • Ton commentaire est très intéressant. Effectivement, Star Wars a une composante militaire indéniable. Pour les forces de l’Empire c’est flagrant, pour les Rebelles, sans doute un peu moins en raison de l’opposition frontale de philosophie et de la personnalité des chefs. Pour autant même la Rebellion est une force militaire avec ses généraux, les flottes de chasseurs, et ses soldats dont les Jedi sont émanations spéciales.

      C’est vrai que les romans apportent théoriquement leur lot d’explication quant au contexte et à certains détails. La SF militaire peut le faire, mais expliquer un organigramme, la hiérarchie des grades et les rapports de rang est sans doute très aride et pas vendeur. Du coup, pas mal de récits avec un public cible tiennent pour acquis des notions de base (grades, organigramme grossier, rapports hiérarchiques), pour les novices cela devient costaud même si bien souvent, il y a des glossaires et des annexes.
      EN fait, c’est comme en fantasy, l’auteur tient pour acquis les bases fondamentale d’un nain, elfe, dragon, troll ou gobelin. Ces êtres varient à la marge, et total novice serait un peu perdu initialement…

      Bref, un grand merci pour ton commentaire! 🙂

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      • La littérature Star Wars a cela de mieux que les films qu’elle s’étend sur une période bien plus grande. Cela permet d’avoir des conflits très différents de l’Empire contre les Rebelles. Il y a beaucoup de pouvoirs politiques en place, il y a même toute une série sur une invasion extra-galactique portée par une croisade religieuse. Il y a vraiment beaucoup de profondeur (en même temps, je ne suis pas objectif il est vrai ^^ ).
        En tout cas tu as raison, comme pour la fantasy (et même le space opera non militaire), dans la SF militaire (du moins ce que j’ai pu en lire car je suis beaucoup moins bien calé que toi sur le sujet) il y a des bases qui sont présentes sans vraiment être expliquées. Mais de mon point de vue, sur les ouvrages que j’ai lu, j’ai toujours trouvé que ça s’apprenait assez naturellement en s’immergeant dans le récit sans avoir à aller faire des recherches à côté. Et puis vu que l’autre jour tu présentais la saga Vorkosigan (que je compte bien démarrer prochainement), est-ce que l’aspect militaire y est présent également ? Ou bien peut-être est-ce uniquement dans certains « arcs » de cette saga ?

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        • Vorkosigan a tout un aspect militaire effectivement. Barrayar la planète d’origine des Vorkosigan est une monarchie militaire. Ce n’est pas à proprement parler une sf militaire, mais elle reste bien présente. 🙂

          Je ne connais Star Wars que par les films…. Tu commencerais pas quoi pour tester un roman ? 🙂

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          • Pour Star Wars, j’aurais pas mal de recommandations, je vais essayer de catégoriser ça. A mon sens, le mieux pour démarrer c’est la série X-Wing, ça se passe après l’Episode VI, c’est bourré de batailles spatiales et il y a forcément un aspect militaire présent, surtout le plus gros point c’est que ça fait partie des romans les plus drôles qui soient (et je ne parle pas uniquement de Star Wars). En plus ça ne demande rien d’autre que d’avoir vu la trilogie originale, tu peux sauter dessus sans rien savoir de plus. Le premier tome s’appelle X-Wing Rogue Squadron mais il se termine sur un cliffhanger donc il faut être prêt à lire la suite. La première partie se déroule sur 4 tomes. Ensuite il y a une deuxième série sur trois tomes. Les tomes 8 et 9 sont chacun une aventure séparée du reste (mais il faut avoir lu les précédents pour comprendre la situation). Et le dernier tome est bien trop à part et demande d’avoir lu beaucoup d’autres romans pour pouvoir suivre le récit. (Au passage, le neuvième tome est probablement mon préféré.)
            Il y a également l’incontournable trilogie écrite par Timothy Zahn. Là aussi ça se déroule après l’Episode VI et ça ne demande pas de connaître d’autres événements que ceux des films. Qualitativement c’est un cran au-dessus de la série X-Wing mais l’humour est beaucoup moins présent et l’aspect militaire est différent mais les personnages (surtout un certain amiral qui a un énorme don pour la stratégie) sont tellement bien écrits, là tu peux y aller les yeux fermés. Les trois tomes s’appellent Heir to the Empire, Dark Force Rising, et The Last Command.
            Après si tu veux quelque chose qui est totalement dans la SF militaire, il y a la série Republic Commando. C’est assez différent des romans habituels Star Wars mais ça se lit très bien et surtout si tu veux de la grosse SF militaire, tu trouveras pas mieux que cette série côté Star Wars. Le premier tome s’appelle Hard Contact (et pour le coup il se suffit à lui-même).
            Dans un autre registre, je me dois de citer le meilleur roman hors grosse saga : Darth Plagueis. Là c’est de la SF politique et ça se passe avant l’Episode I.

            Voilà pour mes recommandations si tu veux entrer dans la littérature Star Wars par rapport à ce qui devrait te plaire de ce que j’ai pu voir de tes goûts.

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  7. Très bon article et mise en perspective sur ce genre. Tu décrits bien les tenants et les aboutissants, les choses qui pourraient plaire ou déplaire. Très instructif en outre.
    Bon, la flotte perdue n’est pas pour moi, mais je sais maintenant pourquoi !

    Très bonne citation de Clémenceau, j’aime bien tes exergues.
    Mais partant de là, qu’en est-il de la SF militaire ?

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  8. J’aime beaucoup la citation de Clémenceau ! Et concernant ce genre, je pense que je vais commencer par « Le vieil homme et la guerre », histoire de garder ma pile à une taille raisonnable, et on verra ensuite 🙂 Mais tu le vends bien !

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  9. Avec toutes tes critiques, tu es en train de mettre face à moi-même : j’ai commencé plein de cycles, mais je n’ai pas fini beaucoup (La Compagnie Noir, La Flotte Perdue). Faut que je me ressaisisse ! 😀

    J’avais bien aimé le premier tome, malgré un univers un peu creux, pas très détaillé. Dans les lectures estivales, je pourrais bien caser un petit space-op’ écrit par Jack Campbell. 😉

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    • Oui, c’est toujours délicat les séries. C’est un des raisons pour lesquelles je n’ai pas commencé certains d’entre elles. Je verrai plus tard, bien plus tard.

      Pour le premier tome, l’univers est un poil basique d’apparence, mais intense, et il se densifie dans les tomes suivants.

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