Faërie – Raymond Feist

Un conte fééroce!

Bragelonne/Milady

Voici un conte de fée, revu et transformé de façon magistrale. Je ne prétends pas que nous ayons un chef d’œuvre, cependant Raymond Feist nous propose un roman à double lecture, voire davantage qui en sus d’émerveiller notre imaginaire en profite pour nous donner des sueurs froides.

Pourtant, les prémices sont calmes et paisibles, la famille Hasting s’installe dans la maison du vieux Kessler, loin des grandes cités, loin du stress, du strass et des paillettes.  La veille et belle ferme se trouve à proximité de la petite bourgade de Pittsville, à l’orée d’une forêt traversée par un cours d’eau.  Insidieusement, quelques incidents font voler en éclat cette vie bucolique et tranquille. Une atmosphère inquiétante remplace l’excitation de la découverte et l’angoisse se substitue aux joies premières.

En cause, des fées et autres créatures fantastiques. Contrairement à leur réputations ces êtres gracieux, ne sont pas forcément aimables et gentils…

En effet, ce conte fantastique s’invite en douce dans une vie de tous les jours relativement classique. Ce n’est que, peu à peu, en raison de quelques faits isolés qu’un début de paranoïa se distille sournoisement. Les événements semblent surtout anodins, sans aucun rapport avec une manifestation « merveilleuse« , seul le lecteur y décèle l’ombre des forces à l’œuvre. Puis, les  accidents deviennent sérieux et chaotiques,  alors l’angoisse étreint toute la famille à la gorge qui ne comprend pas ce qui se déroule sous ses yeux. Le lecteur profite des quelques moments de joie des Hastings et des péripéties des jumeaux Sean et Patrick pour souffler entre deux immersions dans les bois merveilleux des contrées de Pittsville

Le point d’orgue est atteint avec la découverte d’un trésor. Partagés entre l’anxiété et l’émerveillement les Hastings sont des plus perplexes tandis que nous devinons qu’un pas de plus est franchi vers un conte fé(é)roce et sombre. La deuxième partie débute et nous espérons que la lumière ce trouve bien au bout du chemin.

Si la première moitié fait la part belle au suspens, et alimente doucement monter la pression. La seconde nous plonge au coeur d’un univers captivant, envoûtant et effrayant.  Ce monde des fées et des elfes, de ce Petit Peuple aux pouvoirs impressionnants est loin, bien loin, des histoires qui ont pu bercer nos enfances.

Certes, les livres ou récits oraux ont toujours contenu une part de mystère et de frayeur, une fraction de noirceur pour faire briller le combat du bien, et mettre en lumière le héros. Dans Faërie, Raymond Feist déploie un arsenal fantastique qui réduit ces contes à un bonbon tout juste acidulé. Entre charme et frissons, nous arpentons la colline du Roi des elfes en compagnie des jumeaux et en sursautant à chaque étape, croisement ou bruit soudain. La tension du début, qui n’a cessé de croître, s’est muée en angoisse, mais d’un genre paradoxal car nous restons charmés par l’univers et ces créatures marquantss.

L’auteur n’est pas le premier à détourner les personnages classiques des contes de fées pour leur donner un rôle nettement plus sombre et ambivalent. Même la Reine des elfes ne se résume pas à un être de lumière et de bonté. Ce qui en fait la particularité c’est le dosage parfait qu’il parvient à distiller, un pont entre des personnages détournés, crus et noirs des romans d’horreur et les stéréotypes du registre merveilleux. Point de dichotomie entre le bien et le mal, entre la douceur et la brutalité, chaque créature possède ces caractéristiques à des degrés divers, ainsi toutes, même celles dotées d’une apparence lumineuse, paraissent étrangement effrayantes…

L’utilisation de nombreux clins d’œil et références s’inscrivent dans cette volonté de brouiller l’image lisse des fées, elfes et autres êtres fantastiques, de métamorphoser le conte en un récit ayant plus de coffre et de nuances. Ainsi cotoyons-nous au détour de quelques pages un personnage de John Flowes, un chemin digne du magicien d’Oz, Puck, une chose noire, une confrérie millénaire, la reine des fées, un chevalier, …

A bien des égards, je n’ai cessé de penser à Salem de Stephen King dont le texte est construit d’une manière similaire. Les événements se déroulant dans la ville titre prennent un tour de plus en plus préoccupant, et finalement inquiétant quand le héros se rend compte que les vampires existent, et n’ont pas d’intentions amicales… le savoir est une chose, régler ce détail est un défi bien plus relevé. Il en va de même avec Faërie.

D’ailleurs, les deux auteurs nous brossent un portrait de la vie quotidienne dans d’obscures villes de l’Amérique profonde très différents du cliché véhiculé par les médias. Les époques différent, tout comme les habitudes, cependant les romans se ressemblent quant à l’ambiance rendue.

En ce qui concerne les protagonistes humains, une première approche pourrait regretter qu’ils apparaissent trop lisses. Nous avons un couple à l’entente parfaite avec Phil et Gloria, Gabbie, une jeune femme qui a tout pour elle (riche, intelligente te séduisante) et enfin les jumeaux Sean et Patrick (prénoms qui renforcent le côté folklore irlandais). Il faut aussi compter sur une romance entre l’aînée de la famille et un jeune homme tout en charme et sans grand relief, Jack, qui vivent un véritable conte de fée. Certes, les Hastings sans problème ne font pas en soi un bon roman; la routine et l’harmonie familiale en général ne sont pas des sujets de romans.

Pourtant, dans le cadre de Faërie, c’est exactement cela qu’il faut afin de focaliser l’attention du lecteur sur l’aspect fantastique et capitaliser sur ce contraste marquant. Cette approche fonctionne parfaitement à mon goût, j’ai été happé par cette histoire magique et sombre. Il en va de même avec l’opposition romance digne d’un conte de fée, et le roman féérique proposé par Feist. Finalement les écarts sont tels que la juxtaposition de ces concepts ajoute à la saveur et aux frissons.

Et si vous vous posiez la question de savoir si ce merveilleux est adapté à un enfant, l’érotisme dégagé par certaines scènes écarte d’entrée cette hypothèse. Faërie est un roman fantastique (x2) à destination d’un lectorat qui n’a ni froid aux yeux, ni froid dans le dos facilement. Quelques passages sont du registre horrifique, et déglutir fait du bien à ces moments là!

Toutefois, c’est fort agréable, l’intrigue est servie par un style fluide et un rythme adapté, très bien rendu par une traduction impeccable.

Je tiens à remercier Apophis qui m’a fait découvrir ce roman, il y a déjà quelques temps!

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Challenge Printemps Elfique 2017

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Le livre :
  • Traducteur : Jean-Daniel BRÈQUE
  • Date de parution : 22/02/2007
  • Broché : 456 pages
  • Poche: 640 pages
  • Prix : 20.00 €
  • e-book : 5,99€ – sans DRM

60 réflexions sur “Faërie – Raymond Feist

  1. J’ai lu ce livre il y a quelques années et je l’avais pas mal aimé, bien que j’avoue m’être un peu ennuyé sur la première partie qui est assez lente.

    Par contre il y a un point sur lequel je ne suis pas totalement d’accord c’est sur le fait que les Fae (ou fée, peu importe) sont lumineux et gentils. Peut être dans l’image disney-ène mais en fait quand on remonte à leurs représentations originelles c’était des être qui faisaient peur par leur puissance et leur cruauté, surtout ils avaient la réputation d’être magnifique mais de totalement retourner l’esprit des humains, les entraînant contre leur gré de leur coté.
    Du coup ce livre est plus pour moi un retours au source qu’une vision détournée.

    D’ailleurs je dirais qu’a l’heure actuelle (je parle contemporain, des 20 dernières année quoi) 95% des livres sur les fae ont cette image totalement ambivalente de ces personnages, c’est quelque chose qu’on retrouve quasiment toujours.
    Donc je n’ai pas trouvé ce livre particulièrement original sur ce point, ce qui n’en enlève pas l’intérêt bien sur, surtout quand on considère qu’il a été écrit dans les années 80. (Du coup c’était peut etre original à l’époque, je ne sais pas vraiment)

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    • Mais, je suis totalement en accord avec toi. Effectivement, à la base les créatures de ce registres étaient vraiment ambivalente. Tu n’as qu’à voir ce qui est cru sur les lutins… Mais entre temps, Lord Dunsany et surtout Tolkien sont passés par là. La littrature SFFF a été marqué et dans l’imaginaire d’une grande partie des lecteurs les fées ressemblent à Clochette.

      Et je suis de nouveau d’accord avec toi sur ce « retour aux source qui s’est amorcé ». Mais le chemin est long pour effacer 50 ans de Sda et de Disney.

      Le livre n’est pas original en soi, je l’ai trouvé bien écris et bien dosé. J’ai beaucoup aimé, mais heureusement qu’il y a la deuxième partie car, la première est un poil longue.

      Merci de toutes ces précisions qui enrichissent l’article. 🙂

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  2. Merci pour cette très bonne critique et pour le clin d’œil 🙂

    Si je me souviens bien, c’est le premier livre électronique que j’ai lu : j’aurais pu tomber sur bien pire, j’étais ravi de ma bonne pioche. Je suis content qu’il t’ait plu, c’est un livre assez polarisant, qui est loin de faire l’unanimité (cf sur Babelio notamment, où il y a de grosses variations dans les notes). Je trouve d’ailleurs dommage que Feist ne soit pas sorti plus souvent de sa zone de confort médiévale-fantastique, je pense qu’il avait des choses plus intéressantes à proposer que 127 resucées de Pug.

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    • Merci! 🙂
      AH, mais il a de quoi surprendre avec le détournement des créatures « mineures ». Après celui-ci et la Trilogie de l’Empire, j’avoue que je suis embarrassée avec Feist. J’ai à la fois hâte de lire sa prose avec Pug, mais je la redoute aussi. ( j’ai acheté quelques tomes lors de la dernière ops Bragelonne…)

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  3. Je l’ai lu il y a très longtemps, j’en garde le souvenir d’une histoire qui exploitait bien le côté sombre de la féérie. Et y’avait des passages bien glauques aussi. Ca montre que Feist a écrit autre chose que Krondor ^^.

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    • L’ambiance est bien réussie. Il y a pas mal de livres dont il ne me reste qu’une sensation. C’est aussi pourquoi je tiens le blog, ainsi, j’ai une trace pour me rafraîchir la mémoire. (j’ai déjà utilisé ce recours pour un livre!) 😉

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  4. Quelle unanimité, ça fait plaisir à lire. 🙂
    Par contre, est-ce la couverture en image de tête ? car elle est magnifique et très animale mais elle me fait penser à cette illustration de Spider Woman par Milo Manara qui avait un bon arrière-goût sexiste.

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    • Effectivement, je ne m’attendais pas à ce qu’il y ait autant de retours positifs sur le roman, très différents de ce qu’il a écrit et avec un monde féérique qui varie.

      Non, l’image ne provient pas de la couverture ou de l’illustration du roman. J’ai mis du temps à trouver quelque chose qui tire vers le féérique, (et les fées) et qui donne une idée de ce monde fantastique.
      ‘Après, je ne l’ai pas trouvé sexiste, mais bon …

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    • Oui, et bientôt je te prendrais pour la Belle au Bois dormant. Ma fille petite n’avait pas compris son prénom elle confondait Aurore avec Horreur… Disney n’est finalement pas si loin de Feist! 😉

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    • J’ai lu Salem, il y a un an et demi et les similitudes m’ont frappée. Plus les commentaires avancent et moins je suis pressée de lire Krondor… La trilogie de l’Empire et Faërie m’ont enchantée, la marche est haute.
      Bon il te faut le lire toi aussi alors! 🙂

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  5. Toujours pas lu alors qu’il serait bien dans ce que j’aime (c’est la première fois que je le vois comparé à Salem, ça ravive ma curiosité du coup ^^).

    Je plussoie sur ce qui se disais plus haut : les faes n’ont souvent rien de sympathiques. Dans la plupart des vieux contes et folklores, ce sont vraiment des êtres « autres » (j’allais écrire « alien » 😉 incompréhensibles et donc dangereux. Leur côté mignon est en fait très récent

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    • Les ambiances des livres différent, l’un est clairement dans le registre angoisse/ horreur avec des vampires l’autre joue sur un fantastique inquiétant avec quelques scènes frôlant l’horrifique. Mais les petites villes, la douce montée de l’angoisse, les incidents parsemant le début avant que tout se déclare sont similaires.

      Oui, les faes ne sont pas que gentils, en fait ils étaient ambivalents, mais dans l’imaginaire collectif actuel ils sont devenus assez « insipides ». Heureusement nos littératures s’attachent à leur rendre leur saveur. 🙂

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    • Oui, c’est un excellent résumé! 🙂
      Je ne m’attendais pas à un truc horrifique alors sur ce point, je n’ai pas été déçue, et finalement j’ai bien aimé malgré une première partie un peu lambine à la fin. 🙂

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  6. Je m’étais promise (c’est une manie chez moi, les promesses difficiles à tenir ^^) de le lire en même temps que toi ! Disons qu’à quelques jours (semaines ?) prêts, il en sera ainsi, puisque ce sera ma prochaine lecture !
    Je reviendrai donc avec force d’arguments d’ici… ce sera la surprise !!!
    J’ai hâte en tout cas, tellement tu as parfaitement rempli le job de la critique tentatrice +++ 😉

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    • Ah, je suis impatiente de voir ce que tu en penses et d’échanger avec toi nos points de vue. Nous avons des ressentis généralement similaires, je serai surprise si ton avis était diamétralement opposé…

      Je suis un lutin malicieux, tenter est une passion! 😉

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  7. Merci pour cette participation à mon petit Challenge Printeps Elfique enfin validée après la fausse bonne idée de Berroukka….mdr….
    Il semblerait que j’ai oublié de venir par ici commenter, mais réparation faite aujourd’hui et lien mis à jour pour valider ta lecture!!!!!;)
    Ce livre!!!!Ca fait deux ans que je dois le lire! Je me dis, *allez, c’est ton challenge, lis le*, mais bon, force est de constater que je ne tiens pas mes prévisions, toute tentée par d’autres lectures lol. Et pourtant je suis sure qu’il a tout pour me plaire, et encore pus en voyant que tu évoques Stephen King….
    Bref, l’année prochaine je le lirai!!!!
    Belle chronique! Merci pour cette lecture elfique….
    Au plaisir, et j’espère te compter parmi nous encore pour la prochaine session …<3

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