Le nom du Vent – Patrick Rothfuss

Comme au premier jour.

Chronique du tueur de roi

Bragelonne

Le nom du Vent est un roman de fantasy qui fait beaucoup de bruit un peu partout dans le monde. A tel point que son souffle épique l’a déposé aux portes des maisons de production. Un parallèle peut être fait avec la saga d’Harry Potter tant sur le point cinématographique que sur le parcours du jeune orphelin prodige.

Malgré des critiques dithyrambiques soulignant l’originalité et l’aspect novateur du roman, je ne peux y souscrire.  En effet, la trame est déjà utilisée, les tueurs de rois se répandent allégrement, les chroniques sont légions et de nombreux livres ont déjà la paternité de quelques « trouvailles ».

Est-ce pour autant un mauvais roman, ou en suis-je ressortie dépitée ou déçue ? Pas le moins du monde, ne vous attendez donc pas à un cyclone colérique. J’ai aimé, et me suis immergée avec plaisir dans le pavé lourd de 850 pages (un indicateur : il a tenu 4 jours). Bref, rien de novateur ou de révolutionnaire, mais une belle et bonne histoire.

Kvothe est un personnage de légende, pourtant rien n’était écrit d’avance pour le jeune garçon privé de foyer suite aux meurtres de ses parents et de leur troupe par les mystérieux Chandrians. Ce parcours héroïque était loin d’être acquis surtout pour un enfant né dans le bonheur et l’harmonie. C’est dans l’adversité et la pauvreté qu’il révèle un caractère exceptionnel et une résilience à toute épreuve. Choniqueur obtient le récit de ces aventures lors de trois journées à l’auberge Des Pierres Levées tenue par notre héros, dissimulé sous le patronyme de Kove.

Ce premier jour s’articule autour du récit proprement dit et du quotidien du personnage principal, de son ami et élève Bast ainsi que du poète en charge de l’écriture de l’épopée.

Le tout se déroule dans le monde de Teremant, principalement en quatre lieux : l’Université, Imre, Tarbean, et l’auberge des Pierres Levées.  Ce n’est pas exactement un monde médiéval fantastique, car nous n’avons point de châteaux forts ou de chevaliers dignes de ce nom. Nous pourrions y souligner l’inspiration de la Rome et surtout de la Grèce antiques, vue l’importance des lieux de connaissance, la place prépondérante du savoir et la primauté des arts musicaux dans les divers pays des Quatre Coins de la Civilisation.

map nom du vent

Ce dernier élément est fondamental pour s’imprégner de l’ambiance particulière et peu courante du Nom du Vent. En effet,  bien des phases clés de la vie de Kvothe seront liées aux chants, aux poèmes, ou à la musique. Il est né et a vécu une partie de son enfance dans une troupe itinérante mêlant le théâtre, le cirque, et la sérénade dans une lignée empruntant à la rhapsodie. Plus tard, abandonné à son sort, c’est son luth qui lui permettra de se remettre de son engourdissement catatonique. Enfin c’est l’aède (barde tel que Homère) virtuose qui lui offrira les moyens de son ambition.

Par ailleurs, l’Université lieu de culture et dépositaire de savoirs millénaires accueille de nombreux étudiants d’horizons et d’origines divers contre des frais d’inscription variant en fonction des prédispositions de l’élève ou de la fortune familiale…

Ainsi de nombreux éléments participent-ils à cette sensation d’ambiance hellénique, bien que l’aspect purement antique ne soit pas si certain. Je vous rassure nous ne sommes pas dans une fantasy uniquement d’ambiance, la magie est bien présente. C’est d’ailleurs un des points les plus novateurs et réussis du roman.

Trois systèmes sont au programme. Le sympathisme est celui le plus utilisé et décrit dans ce premier tome. Il met en œuvre les lois de conservation de Lavoisier : rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme, avec des principes que je vous laisse découvrir pour ne pas gâcher la trouvaille. Nous avons ainsi une magie dont les bases presque scientifiques donnent une rationalité fort sympathique ( 😉 )!  J’ai adoré.

Nous trouvons la sylgadrie, qui correspond à une combinaison de glyphes et de runes; cette dénomination associée à ces signes tendent vers l’univers des nains et même des elfes, comme un petit hommage aux fondateurs de la fantasy (Hello M Tolkien). Il y a également un petit parfum d’Elantris de Brandon Sanderson là-dedans…

Enfin, il y a le Nom des choses (dont le Nom du vent), facette véritablement magique de l’univers (et dans tous les sens du terme). Cette thaumaturgie se base sur la connaissance de l’appellation véritable des choses et des personnes. D’ailleurs, l’auteur souligne le pouvoir détenu par la connaissance d’un prénom, une petite anecdote illustrant ce principe est finalement agréable et bien vue. En revanche, impossible pour moi de ne pas y retourver les récits d’Ursula Le Guin, et notamment le cycle de Terremer.  Les principes sont les mêmes, et les similitudes ne s’arrêtent pas en si bon chemin.

Le jeune Kvothe est un petit génie à l’image de l’Épervier, et le lecteur le sait promis à un avenir fameux et palpitant. Les cours à l’université révèlent un talent unique dans toutes les matières ainsi qu’une propension à faire La connerie qu’il aurait été judicieux d’éviter. Il enchaîne des cursus avec brio, passant les étapes avec une facilité déconcertante. Il se fait un ennemi intime, un noble hautain et méprisant, Ambrose. D’autres petits détails accentuent encore cette sensation telle que le massacre initial, le mentor, la place de la nature, la chasse/enquête sur des créatures, la victoire contre un dragon…. D’autres lecteurs pourraient y déceler une ressemblance avec justement Harry Potter, en sus de Le Guin.

kvothe

Cependant, le personnage reste fort sympathique, attachant et même captivant. Certes, nous avons un génie qui réussit dans de nombreux domaines, mais l’auteur a pris le soin de ne pas délivrer le magicien/gendre parfait. Kvothe possède un côté narcissique plus ou moins assumé, une dureté certaine,  ainsi qu’une part d’ombre qui en font tout le sel. Nous pourrions lui reprocher une maturité trop précoce, mais rien n’est surprenant au vu des événements passés.

Les autres personnages ne sont pas mis particulièrement en lumière, et tombent plus ou moins dans le stéréotype : les copains d’université, le mentor, Ambrose. Seule Denna sort vraiment du lot par son attitude déconcertante et ses choix de vie particuliers.

Question relation amoureuse, Kvothe manque de chance. D’ailleurs son histoire avec « La » femme est un peu trop alambiquée pour vraiment me séduire, et certains passages ou attitudes ont produit un « mweeh » audible de ma part. Le pavé fait tout de même 850 pages, et il aurait été bon de couper quelques tours de piste à cette valse à peine grisante. Ces longueurs ne sont pas les seules, quelques dizaines de pages dans l’entrée en matière alourdissent un peu trop le récit et le rythme, même si les considérations au sujet des silences sont poétiques.

Le rythme en pâtit légèrement, avec une impression d’une trame quelque peu hachée. Heureusement cela est compensé par un style fluide, imagé et prenant. Patrick Rothfuss fait preuve de beaucoup de pédagogie à la fois dans l’exposition des divers principes magiques, des personnages, des relations et son récit. Le lecteur n’éprouve absolument aucune difficulté à faire l’histoire sienne.

Belle traduction, toujours à souligner.

Lecture commune avec Tanuki no Monogatari, Maned Wolf et la sorcière aux cheveux de feu. Vous remarquerez que nous avons un avis fort similaire sur ce coup.

Autres critiques :

Déjeuner sous la pluieTanuki – Le petit monde d’Isa – Boudicca (Le Bibliocosme) – L’Ours InculteMa LecturothèqueLe culte d’Apophis

Challenges :
Challenge Littérature de l’Imaginaire – 5° édition
Défi Lecture 2017 : #3 – Lire un livre dont vous avez beaucoup entendu parler
Les pavés de LivreAddict
Le livre :
  • Illustrateur : Marc SIMONETTI
  • Traducteur : Colette CARRIÈRE
  • Date de parution : 20/11/2009
  • Prix : 25.00 €
  • 800 pages
  • e-book : 0,99€ sans DRM avec l’ops Bragelonne.

65 réflexions sur “Le nom du Vent – Patrick Rothfuss

  1. C’est très intéressant. D’après ta description, on dirait un mélange de Kay (pour l’aspect artistique), de Le Guin (pour pas mal de points), de K.J Parker (pour la magie très scientifique) et des auteurs les plus récents qui mêlent plusieurs systèmes de magie dans le même monde. J’ai vraiment hâte de lire ça, surtout que vous avez tous l’air d’accord sur la fluidité et l’intérêt de la chose.

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    • Oui, il y a un petit peu de Kay dans l’importance de la musique – qui reste quand même secondaire. Mais, ce n’est quand même pas à ce niveau. Disons que ce monde a du relief.
      Le Guin c’est la référence majeure dans mon esprit. Quand tu le liras, je ne doute pas que le Sorcier de Terremer te saute sur la couenne…
      J’ai bien aimé l’aspect scientifique de la magie, elle est pensée.
      Je pense qu’il te plaira mais pas au point d’être un coup de coeur.

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  2. Je l’ai sur ma liseuse. Comme c’est bientôt le dernier livre non lu dessus (hors nouvelles), je vais finir par m’y attaquer. Durant l’été sûrement, ça me parait plus propice, c’est une bonne période pour se fader un gros pavé de fantasy en général.

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    • Don’t worry, j’ai réussi à avoir la totalité de ton commentaire.
      Oui, pas aussi novateur que ce à quoi je m’attendais, mais bien fait et captivant. J’ai vraiment aimé… jusqu’à la fin et passons au deuxième jour! Arghfff j’ai pas le deuxième tome.

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  3. Je rejoins complétement ton avis sur tous les plans.
    Je m’attendais à plus d’originalité vu les avis des autres lecteurs + vu la très bonne surprise qu’avait était l’expérimental spin-off « Le musique du silence ».

    On reste sur une base assez convenue et fort longuette (beaucoup de redite et d’actions répétitives)… mais bon, cela mis à part, ça reste un bon roman avec une jolie plume qui se lit très bien malgré les termes et les concepts parfois barbares 🙂

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  4. « Le nom du Vent est un roman de fantasy qui fait beaucoup de bruit un peu partout dans le monde.  »

    Ma connexion avec le monde n’est pas toujours au point. C’est la première fois que j’en entend parler, merci :p

    Tu le vends bien, malgré tes quelques réserves ça donne envie de lire.

    Cependant, pour ma part je vais attendre d’avoir mon ressenti sur la Source des tempêtes de Nathalie Dau (sur lequel je rame), ça n’a pas grand chose à voir, mais je crois que j’ai de plus en plus de mal avec la fantasy et ces premiers tomes qui servent à poser un monde vu et revu. En fait, je pense que c’est l’aspect pédagogique justement qui me lasse. Il m’a fallu 100 pages pour me laisser prendre au jeu.

    Peut-être que dans le nom du vent le style est plus fluide ?

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    • LOL!
      Cela me fait aussi parfois cet effet avec des bouquin dont tout le monde parle et qui me sont inconnus… 😉 Et cela arrive de manière régulière.

      J’ai aussi Source des Tempêtes… à lire. Je suis assez impatiente de lire ton avis du coup. Je te rejoins sur cet aspect parfois un peu trop pédagogique.
      Franchement avec le nom de Vent, j’ai l’impression que l’on peut passer directement au moment ou le récit avec Chroniqueur débute, soit amputer le roman de près de 100 pages. Ce n’est pas inutile, mais il y a 60 pages de trop et qui n’apporte rien.
      Dans les points positifs, il y a le style de l’auteur, c’est très fluide. 🙂

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    • Merci!
      J’attends la tienne d’ailleurs. Je ne suis pas étonnée que nous ayons un ressenti globalement similaire. J’ai déjà eu l’occasion de le remarquer lors de chroniques que nous avions en commun.

      Oui, je l’ai acheté à 0,99€ lors des opérations Bragelonne. Cela a été l’occasion de faire une razzia… Le numérique a du bon quand même.

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      • La mienne est en construction ! 😉
        J’ai dû sauver mon ordinateur d’un blue screen of death ce weekend, j’ai pris un peu de retard…
        Oui c’est sûr, surtout vu le poids de la bête ! C’est le genre de livres qui me feraient hésiter à prendre une liseuse 😉

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        • Les gros lecteurs ne devraient pas hésiter. IL y a un mal (français?) qui tend à opposer le livre papier et le livre numérique, comme si la question ou relation était exclusive (hé! la mathématicienne), alors qu’elles sont tout à fait complémentaires.
          Le Nom du vent en est un exemple « lourd ».
          Sorry pour ton ordi.

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          • Oui, d’ailleurs si Le Nom du Vent était sorti uniquement en numérique, ils n’auraient pas eu besoin de couper le dernier tome en 2 (le vendeur Bragelonne du salon du livre m’a expliqué que la traduction du tome 3 avait rendu le livre tellement épais qu’ils étaient obligés de le sortir en deux fois) 😉
            Non, mes retenues sont bien plus pratiques : si j’ai une liseuse, avec catalogue en ligne et possibilité d’avoir immédiatement n’importe quel livre en un clic, ma pile à lire va exploser, et mon porte-monnaie avec 😉

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  5. Comme Samuel, les corbeaux n’ont pas encore rapporté la rumeur de ce livre jusque mon bled.
    Les références que tu cites donnent envie d’y jeter plus qu’un oeil, mais ton mweeh me fait craindre le pire. Les tourments amoureux à deux balles risquent de maltraiter ma liseuse.
    Ceci dit, je n’ai pas encore goûté au cycle de Terremer et tu me donnes très envie de m’y plonger.

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  6. Ce livre fait tellement parler de lui que c’est à la fois attirant et repoussant… Mais je vais quand même attendre que la suite sorte. J’ai déjà une saga en cours, sans fin (livre écrit, mais l’éditeur ne le sort pas) et c’est bien frustrant. Et puis qui sait, peut-être que quand je le lirai mes attentes seront redescendues d’un cran et que je pourrais plus appréciée ma lecture!

    Par contre, je ne connaissais pas Terremer et je me le note de suite!

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  7. Je note aussi même si tu n’es pas totalement convaincue (une nouvelle série, une !). J’ai aussi Terremer dans ma PAL numérique, je vais sans doute tester ce que j’ai déjà… 🙂

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  8. Je suis d’accord avec toi : un roman n’a pas besoin d’être original pour être apprécié 😉 Ah je n’ai pas fait le rapprochement entre Kvothe et Harry Potter. Cela reste à mes yeux une chouette histoire !

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    • Ah, mais le mien est nuancé. Je dis justement qu’il ne faut pas s’attendre à un roman et une histoire révolutionnaire, mais que cela reste sympathique quand même.
      Ceci dit, je te comprends, quand il y a nombre de retours positifs, je suis assez dubitative. 🙂

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  9. Pour moi c’était un énorme coup de coeur. Par contre j’ai remarqué que les réserves quant à la lenteur, les passages mous etc. ont été relevés par ceux le lisant en VF, mais pas par ceux qui le lisent en VO. Problème de traduction, peut-être ? En tout cas je n’ai pas du tout eu les mêmes impressions négatives que toi.

    Par contre le côté Terremer, je l’ai surtout vu comme un hommage, et c’est plus le style et le côté apprentissage qui sont bons à prendre dans ce livre. Maintenant il faut voir où l’auteur va nous emmener avec cette histoire !

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    • POur moi toute la mise en place avec Chroniqueur, dans la taverne aurait pu être abrégée. Tu te demandes vraiment où l’auteur veut t’amener et finalement cela apporte peu à l’histoire et l’ambiance globale. Le style et la fluidité de l’auteur rendent ces parties tout à fait « digeste » et agréable, mais cela reste un peu longuet.

      Après, une longueur et un petit soucis de rythme ne sont pas forcément une impression « négative » , surtout lorsque je ne note que ces quelques points mon bons. D’ailleurs, dans mon introduction je précise d’entrée que j’ai beaucoup aimé ce bouquin. 😉

      Idem, pour la similitude avec Terremer, pas forcément vu comme un hommage de ma part, ni comme un plagiat, plus comme une inspiration. Là encore, ce n’est pas dans ma perception un point de vue négatif.

      J’ai construit ma critique en fonction de mon ressenti et de la réputation du roman qui véhicule une idée de novateur, d’original, de révolutionnaire presque. Et ce n’est pas le cas. Il y a pas mal de choses déjà vues et utilisées. N’empêche, que cela reste un bon roman et que j’ai passé un excellent moment en sa compagnie.
      Il me tarde de lire la suite. 🙂

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