Les Chronolithes – Robert Charles Wilson

Ou l’effet Feedback

Denoël – Lunes d’encre

Prix John Wood Campbell Memorial 2002

 

Dans un futur proche, Scott se dispute avec sa femme. Le jeune homme est un américain expatrié vivant en Thaïlande, un peu à la dérive, profitant de la vie au jour le jour, sans avoir complètement assumé son statut de père de famille.

Cette dispute matrimoniale est la dernière d’une série mettant son couple à l’épreuve. C’est d’ailleurs la dernière du genre car ayant décidé de se prendre une nuit sabbatique, il ne reverra pas de sitôt sa petite famille. En effet, a proximité de Chumphon un objet immense est apparu. Soudainement. Il se rend sur place en compagnie de leur voisin pour découvrir les proportions énormes du monument. D’une centaine de mètre de haut, érigé dans une matière inconnue, un peu comme du verre foncé ou une pierre magnifiquement polie, ce monolithe en impose.

Son arrivée s’est en outre accompagnée de phénomènes locaux particuliers : une forte baisse de la température, un cyclone, du brouillard et de la neige. Le plus étrange est l’inscription que l’on découvre à sa base.

Le texte est rédigé en Thaï et en anglais, porte la mention « Kuin » et une date future. Dans 20 ans et 3 mois, exactement.

Scott se trouve ainsi mêlé à une histoire qui le dépasse. Effectivement, les autorités ne sont pas nées de la dernière pluie et ont dépêché des renforts pour boucler la zone. Les deux voisins échouent ainsi en cellule pendant quelques jours et subissent les interrogatoires de rigueur en raison de leur présence dans la zone interdite. A son retour, Scott découvre une maison vide;  il ne lui reste qu’à rentrer aux USA et tenter de recoller les morceaux, si ce n’est avec sa femme, au moins avec sa fille.

Conscient de ses manquements et de ses négligences premières en tant que mari et père, Scott tient à se racheter et à assumer (enfin) ses responsabilités. C’est sans compter sur l’apparition de nouveaux monolithes, plus imposants et dévastateurs que le premier.

Sa vie bascule de nouveau lorsqu’il est coopté pour faire partie de l’équipe de recherche sur ces monuments, objets d’adoration ou de haine qui plongent le monde dans une crise économique puis politique majeure.

Cet effet est recherché car chacun porte une date projetée dans 20 ans et 3 mois systématiquement, comme un monument dédié à une grande victoire, comme le compte à rebours annonçant la fin du monde…

J’insiste quelque peu sur l’environnement familial du protagoniste principal, Scott Warden car RC Wilson maîtrise ses personnages comme peu d’auteurs.  Le cocon familial et le parcours personnel de ceux-ci sont systématiquement fouillés et charpentés avec soin. J’avais déjà apprécié cette qualité lors de la lecture de Blind Lake. L’humanité et la vraisemblance qui se dégageaient alors m’avaient séduite, compensant largement une trame intéressante mais finalement pas aussi explosive qu’attendue.  Dans Les Chronolithes, ils sont aussi réussis, que ce soit  Scott, Sue, ou Ash. Loin d’être des héros, ou des acteurs directs des événements, il s’agit simplement de personnes lambda présentes au moment clé. Du coup, cette exploration des personnes ancre ce récit de SF dans notre réalité, et renforce son impact.

D’autant plus que l’humanité est déjà familiarisée avec des chronolithes. Ces monuments aux proportions gigantesques, témoignages de puissance, démontrant l’ambition de s’affranchir à l’emprise du temps et de l’oubli existent depuis des millénaires. Nous avons les pyramides d’Egypte ou celles des mayas, les temples d’Angkor (à moindre échelle), nous avions aussi un Bouddha gigantesque,… Tous ont pénétré notre présent malgré les siècles qui nous séparent de leur édification, laissant une trace et une fascination indélébile dans la conscience collective.  Ok, ils voyagent dans le temps « normalement« , à la différences des Chronolithes de RC Wilson qui circulent à rebours du temps.

Malgré tout, l’impression laissée à l’humanité reste tout autant marquante voire davantage, et pour cause. La symbolique est tout aussi forte que pour les pyramides, ou autres arcs de triomphe : affichage d’une suprématie et reconnaissance d’une domination.

L’impact  des pierres de Kuin est en sus dévastateur. C’est l’effet feedback, ou le retour d’amplification. L’idée m’a énormément séduite car l’angoisse s’installe peu à peu dans le roman, et quand de grandes villes « accueillent » leur géant de pierre, le symbole est d’autant plus frappant que l’humanité se trouve désarmée face au futur. Angoisse et désarroi sont au diapason, les marchés s’effondrent, les économies se fragilisent.  l’homme n’a que des pieds d’argile, incapable de lutter et de donner un coup de tatane aux fesses à la prochaine génération, celle de dans 20 ans et 3 mois.

Le roman alterne donc avec un aspect intimiste, avec ce journal tenu par Scott à la première personne, le thriller scientifique et les prémices d’une dystopie annoncée.

L’explication scientifique sous-jacente à cette technologie n’est jamais bien établie (comme dans Blind Lake) mais l’approche est suffisamment rationnelle pour que cela n’en soit pas gênant. L’auteur entoure d’ailleurs cette prouesse d’un terreau mathématique fouillé – sans tomber dans la hard-sf – pour faire germer et entretenir l’aspect thriller scientifique, le tout avec une belle habileté. J’ai été captivée et séduite par l’ensemble même si un des ressorts du livre se « devine » à mi-roman.

Il en va de même avec la fuite en avant économique et la réaction des divers pays face à cette menace future, le roman ne baigne pas dans un univers post-apocalyptique, mais la civilité laisse peu à peu la place à un monde plus rude et sans beaucoup d’espoir, si ce n’est le recours à Kuin…. Il est quand même balaise le type en parvenant à forger son culte avant d’avoir du duvet sur la lèvre!

Les Chronolithes offre un thriller scientifique condensé, prenant et angoissant dans un univers se vouant peu à peu à la paranoïa et au repli. Les événements sont vécus à travers les yeux de Scott, donnant à l’ensemble un relief intimiste, attachant et angoissant. Un beau roman de SF comme je les aime avec du cœur, des tripes et des neurones.

Nominé au prix Hugo

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Challenge: Robert, je t’aime !

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Le livre :
  • 329 pages
  • 23 avril 2003
  • 20,30€

47 réflexions sur “Les Chronolithes – Robert Charles Wilson

  1. J’ai beaucoup aimé ce livre, et je trouve que ta critique (comme celle de notre ami canin) en parle fort bien. L’explication scientifique n’est certes pas détaillée (ce n’est clairement pas un livre de Hard-SF), mais je l’avais trouvée très élégante. J’ai hâte de voir ce que tu vas penser de BIOS, qui est, avec Spin, le RCW qui m’a le plus marqué.

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        • Parfait! tu vas surtout te régaler avec plein de livres, et alléger le poids des gros bouquins.
          Je parle en connaissance de cause, je lis Le Fleuve Céleste lourd de ses 700 pages. Beau livre, mais difficile à manipuler…

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          • Tu m’étonnes, le Nom du Vent est encore un souvenir cuisant dans ma mémoire de ce côté-là 😉
            Je vais y aller timidement je pense, j’aime encore trop sortir d’une librairie avec des sacs remplis de livres, mais effectivement je pourrais privilégier la liseuse pour les grands formats ou des lectures plus « par curiosité » en profitant des offres 🙂

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            • Tu vas vite trouver un équilibre. Je suis à 5O% numérique finalement. La liseuse n’a pas étouffer ma lecture de livres papiers.

              Je suis devenue plus curieuse et « téméraire » dans mes choix avec l’e-bbok surtout lors d’offres ou de promos. Je ne pense pas que j’aurai acquis Le Nom du Vent par exemple. ET maintenant, à 1€ je trouve que ce fut une sacrée affaire… sans s’encombrer de tout ce poids.
              Après lecture, je peux aussi te dire que je n’aurais pas été satisfaite de donner 35€.

              Je réserve le papier pour les belles éditions, les auteurs que je veux absolument (Poul Anderson), les livres que je juge incontournable. Il m’est d’ailleurs arrivé d’acquérir la version papier après le numérique.

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              • Oui, je pense qu’avec le temps je vais fonctionner un peu comme toi 🙂
                Bon, Le Nom du Vent est 25€ en France (ce qui reste cher!) mais en Suisse on a encore un problème supplémentaire, les libraires passent par des diffuseurs qui se prennent une marge et du coup on arrive à 1.5 voire 2x le prix français alors que juste avec le taux de change on devrait avoir quasiment le même prix… Bref, ce Nom du Vent m’a coûté très cher 😉

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  2. Et bien, quelle surprise cette chronique wilsonienne. Je ne savais pas que tu le lisais. Les chronolithes est un monument littéraire. Ta critique donne envie aux lecteurs de s’y plonger, la parole de l’auteur va se propager.
    Je suis très content de voir que tu as apprécié cette lecture. Spin t’ouvre les bras désormais.

    Dans le même esprit humaniste et de l’arrivée d’un événement extra-ordinaire, je ne peux que te conseiller de t’attarder sur Les dames blanches de Bordage. Livre au titre équivoque mais au contenu très wilsonien. Allez, un peu de pub encore (merci pour le lien déjà) http://lechiencritique.blogspot.com/2016/05/les-dames-blanches.html

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    • Ben disons, que je n’ai pas eu le temps de le mettre dans les images des livres en cours. Il n’a duré que 36 heures, vu que je l’ai dévoré.
      J’ai adoré Les chronolithes. IL y a Spin, Bios, Les affinités et Julian dans mes choix (voire Darwinia et Mystérium).

      Je vais jeter un coup d’oeil à ces Dames blanches!

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      • Je comprends mieux.
        Tous tes choix sont bons.
        Pour Mystérium, attention si tu te le procure en poche (400 p.). La version grand format (736 p.) contient en outre les textes : La Cabane de l’aiguilleur et six nouvelles dont Julian qui donnera le roman du même nom. Je pense que la version poche ne contient que le roman Mysterium.

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        • Pour Mystérium c’est la version poche, uniquement avec le roman.

          Mais si j’avais fait davantage attention la version grand format m’aurait bien botté.
          Merci beaucoup de cette précision. 🙂

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    • Je garde Spin pour l’apothéose… du moins dans un premier temps, je me fais donc une immersion wilsonienne avec quelques titres de bon cru dont ces chronolithes qui valent le détour!

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  3. Encore une très bonne chronique mais j’avoue que je reste dubitative et j’ai du mal à mettre le doigts sur ce qui coince. Les relations familiales du protagoniste peut être ?
    Bref, je ne pense pas le lire à moins de tomber dessus en temps de grosse disette 😉

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  4. J’avais bien aimé ce roman également. Toutefois, ayant lu le cycle de Spin avant, les Chronolithes m’avait un peu déçu en comparaison. Je crois me souvenir que certains éléments de recettes étaient un peu trop similaires.
    Mais Wilson ne ratant jamais ses textes ^^ (c’est mon auteur favori, au point que j’en perds un peu mon objectivité) , j’avais tout de même pris du plaisir à lire celui-là. Tout à fait d’accord avec toi pour dire que ses personnages sont toujours très bien conçus.
    Le nouveau Wilson vient de sortir (« La cité du futur »), mais mon libraire était en rupture de stock. Je vais devoir patienter jusqu’à début juillet ! Dur… ^^
    C’est un excellent point d’avoir lu Blindlake (c’est un des meilleurs). Je te conseille aussi vivement Les Affinités et le cycle de Spin (en trois tomes).
    A bientôt

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    • Merci!
      C’est effectivement mon deuxième Wilson et j’en suis encore plus enchantée. Je garde Spin pas pour tout de suite, je veux éviter justement cette impression négative.

      Je compte lire Les affinités…

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