Aux comptoirs du cosmos – Poul Anderson

Space, spices  and species

La Hanse Galactique 2

Le Bélial

 

Ce deuxième tome de La Hanse Galactique regroupe cinq nouvelles se déroulant à la même période de la Civilisation technique, la société future imaginée par Poul Anderson. De taille diverse, elles sont d’une qualité égale, emballantes et procurent un goût de reviens-y. Le tout est précédé d’un avant propos de JD Bréque, le traducteur et un des principaux moteurs de la promotion de l’auteur américain au Bélial.

Dire que le tout m’a franchement enthousiasmé est un euphémisme…

La Roue triangulaire

Cette première nouvelle ouvre le recueil et permet de faire la connaissance avec un deuxième personnage emblématique de la Ligue Polesotechnique, David Falkayn. Il est encore un jeune apprenti auprès d’un Maître, qui partage des ressemblances avec certains Jedi par son calme, son implication dans cet apprentissage et surtout dans sa vision des choses.

Un vaisseau de la ligue des liqueurs et épices dirigée par Van Rijn se trouve bloqué sur la planète Ivanhoé. Tellurique, tempéré, ce corps céleste offre abondance de faune et de flore, mais malheureusement nocive pour l’être humain coincé sur place avec des vivres comptés. Ils ne sont pas sans ressources : un comptoir est installé sur place avec l’accord des indigènes « léonides ». Or la distance qui sépare leur astronef de la principale et lourde pièce de rechange reste un problème majeur. Il faut la transporter, alors que l’utilisation de la roue ou tout objet sphérique est prohibée dans cette contrée!….

Outre le soin consacré à l’élaboration d’un monde exotique et cohérent, Poul Anderson nous offre l’aperçu d’un écosystème séduisant et féroce, et surtout parvient à rendre crédible cette société qui ignore l’utilisation de la roue.

Qui n’a pas imaginer la vie de nos ancêtres sans cette découverte capitale ? L’auteur y répond avec son habileté habituelle, son économie de mots et de déblayages. Nous découvrons un peuple en proie à des restrictions et des interdictions religieuses, limité techniquement et aussi par conséquent psychologiquement ainsi que culturellement. Nous pourrons également savourer l’érudition de l’auteur sur l’aspect religieux d’Ivanhoé et du coup, le travail de sape de Maître.

La prose tout en finesse ne s’encombre pas de fioriture, elle reste toujours aussi rythmée et poétique. La traduction soignée lui rend justice.

Un petit bémol concerne le contexte du récit, c’est la deuxième fois qu’un personnage doit résoudre un problème alimentaire en autant de tome.

La nouvelle est précédée d’un délicieux interlude, avec quelques trouvailles question lois ébouriffantes (Loi de Murphy : Tout ce qui peut aller de travers ira de travers – La révélation de Sturgeon: Quatre-vingt-dix pourcent de n’importe quoi ne vaut rien,…)

Un Soleil Invisible

Nous suivons David Falkyan sur son affectation à Garstay, un monde tout aussi nouveau et différent que le premier avec des créatures assez étranges et un peu inquiétantes, de prime abord. Cette fois-ci ce sont les intérêts de la Ligue qui sont menacés dans cette nouvelle. Le peuple de Garstay, les Kroaka ont connu une diaspora dans les étoiles proches. Or l’investissement colossal et leurs limites techniques s’opposèrent au maintien du contact avec les diverses colonies. De nombreuses furent oubliées et mêmes perdues.

L’ambition de ce peuple se résume à une unification, et celle-ci est partiellement réalisée grâce aux démarches de la Ligue Polesotechnique et notamment à la volonté d’établir des comptoirs de Van Rijn.

Le hic survient quand Utah Horn ( 🙂 ) surgit de nulle part avec des vaisseaux de guerre en promettant la réunification complète des frères Kroaka et leur libération des mains des humains cupides.

Cette nouvelle est dans la plus pur esprit de Dominic Flandry, David Falkyan ne partage pas uniquement ses initiales avec l’autre héros (crépusculaire) de Poul Anderson. Tous les deux font preuve d’ingéniosité, de témérité, de charme et de sang froid dans l’adversité. Ce texte tout en ruse, baigne dans une veine espionnage un poil vintage, typique du futur agent terrien.

La lecture est fort savoureuse, et il est difficile de ne pas apprécier la manière dont Poul Anderson construit sa nouvelle tout en utilisant des données scientifiques, et les ressorts des romans d’espoinnage. La lecture au second degré est tout autant agréable avec ce doigt pointé sur l’utilisation de la force – notamment militaire – pour parvenir à ses fins. La solution non violente offerte est d’autant plus jubilatoire.

Une fois encore, je tiens à souligner le travail du traducteur : Enfin, j’ai toujours voulu être un fringant aventurier. Mais des fringues, j’ai besoin d’en changer tellement que je transpire. 

Esaü

Le ton est un peu plus sombre dans cette troisième nouvelle. Il s’agit d’un entretien entre Emil Dalmany et Van Rijn. Le premier, facteur (c’est le titre des négociants de la Ligue) sur Soliman fait part de sa lourde déception suite à sa relève de fonction. Il estime avoir gérer la crise main de maître.

Soliman est une planète subjovienne appropriée aux vies à base d’hydrogène, de méthane et d’ammoniac, pas du tout pour les être oxygénés! D’ailleurs, l’exploitation du Bluejack est à peine rentable pour Van Rijn. Ce composé est vendu principalement aux Baburites occupant une autre planète voisine.  Ils ont atteint une technologie spatiale depuis peu et robotique depuis peu, grâce à la compagnie des liqueurs et épices. Sans doute pas aussi évolué que les humains technologiquement, ils n’en sont pas moins intelligents pour autant.  Leur angle d’attaque est magistral : saboter les intérêts économiques de la compagnie. Ainsi, s’installent-ils sur Soliman et récoltent-ils le bluejacK au nez et à la barbe  de leur fournisseur, anéantissant les bénéfices dudit fournisseur….

Van Rijn fait presque office de figurant dans cette nouvelle. Dalmany ne possède pas le charisme de son patron, ni le charme d’un David Falkyan. Elle paraît du coup un peu plus terne en comparaison.

Ce texte démontre que les auteurs de SF demeurent en phase avec leur société. Ils baignent dans des mondes imaginaires mais ne sont pas aveugles face aux travers et les réalités humaines, ils en sont de féroces critiques; ici Poul Anderson charge l’impérialisme économique à travers une nouvelle bien construite.

Cache-Cache

Van Rijn! Voilà un personnage qui défrise radicalement le prude et l’amateur de jeunes et joli(e)s éphèbes, bien fait(e)s et sans reproche! Nous le retrouvons tel qu’au premier volume Le Prince-Marchand : truculent, le verbe haut, la diatribe facile, la cupidité à fleur de peau. Même l’anti-héros moderne rivalise difficilement avec un tempérament aussi exceptionnel et charismatique. Il prend tout simplement trop de place pour le commun des personnages et des héros. Quelle jouissance de le lire!

Confronté à des perspectives les plus noires, notre bonhomme ne sombre pas dans l’apathie, mais trouve une fois encore les ressorts pour défier le sort, cherchant à échapper aux poursuivant à travers le chas d’une aiguille cosmique. Du grand Van Rijn à l’œuvre qui fait la part belle à l’observation et la déduction à la manière d’un Sherlock Holmes  – ou comme lors d’une résolution d’énigme mathématique (sans chapeau). Sous ses dehors rustres et soiffards, cette grande gueule trouve une solution grâce à son intelligence.

La chute n’est pas surprenante en soi, car l’auteur n’en fait pas mystère, mais elle demeure savoureuse par l’ingéniosité déployée par les uns et les autres, et un goût pour la non-violence. Un régal.

L’ethnicité sans peine.

Cette courte et dernière nouvelle dénote un peu du reste. Nous n’avons aucun des intervenants précédents. Ching raconte comment il a été désigné pour participer au Festival de l’Homme en raison de son origine ethnique. C’est son « recteur » Snyder qui le lui impose avec un petit chantage universitaire….  Adzel, un extra-terrestre remarquable -encore un ! – lui donne la clé de la réussite. Il ressemble à un dragon, et forcément est amateur de culture asiatique et adepte du bouddhisme.

Aucune peine à comprendre les sous-entendus racistes de Snyder et de ne pas se délecter de sa réaction en rencontrant l’excellent Adzel.

****

En conclusion

Impossible de ne pas apprécier la prose de Poul Anderson faite d’élégance, de précision et d’un sens du timing remarquable, elle est très poétique en soi. Outre sa plume tout en finesse, l’auteur possède une réelle capacité à émerveiller avec des univers cohérents et des personnages inoubliables.  Cette association s’illustre notamment dans les nouvelles présentes dans ce recueil qui forme un tout délicieux. Il ne faut négliger l’intelligence du propos, ni les thématiques de fond abordées avec cette légère dérision qui en font tout le charme.

Je n’ai qu’un seul reproche, il n’y en a pas assez!

Je vous recommande chaudement l’avis de l’ami Apophis : Aux comptoirs du cosmos.

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Le livre :
  • 261 pages
  • Le Bélial

31 réflexions sur “Aux comptoirs du cosmos – Poul Anderson

  1. Excellente critique (merci pour le lien) ! Je partage entièrement ton avis, ce cycle est un régal, que ce soit dans l’écriture ou la façon de régler les problèmes. Je suis à vrai dire franchement étonné de ne pas voir plus de critiques dessus.

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    • Merci ! 🙂
      De rien pour le lien.
      Oui, je suis très surprise de ne pas voir davantage de critiques, surtout que je l’ai lu bein après toi, et je m’attendais à voir d’autres avis.

      C’est bien dommage tant la qualité est à souligner.

      Aimé par 1 personne

    • Oui, c’est ce que je fais, je me donne 4 achats cet été (juillet et Août) et si je maintien ce rythme cela me conduira à un bon -10 pour ma PAL!
      Autrement, cette série est une petite pépite de fun, et d’aventure. A découvrir! 🙂

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  2. L’humble traducteur, qui s’est arraché pas mal de cheveux pour rendre en français un jeu de mots intraduisible de Poul Anderson, vous remercie de vos compliments.
    Pour info: j’attaque cet automne la traduction du tome 3, « Les Coureurs d’étoiles », à paraître en principe au printemps 2018.

    Aimé par 2 personnes

    • L’humble traducteur a fait un superbe boulot pour rendre le rythme et la plume de Poul Anderson. Je me suis rendu compte qu’il y avait effectivement des parties qui ont du être coton (dont celle que je cite, où là j’ai été bluffé!).

      C’est une bonne nouvelle!

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    • Effectivement traduit directement, cela perd toute saveur. Mais, je me doutais que l’expression avait été travaillé car je ne connais aucun équivalent à fringues qui soit proche de daring ou dashing… Merci pour la précision (et pour cette traduction ). 🙂

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  3. Nous sommes d’accord, c’est vraiment excellent ! Ravi d’apprendre que la traduction est en cours, il est important de souligner le travail réalisé pour nous permettre de lire ces textes formidables.

    J’ai été moins convaincu que toi concernant Esaü, je l’ai trouvé un peu naïve et la solution facile, mais je suis peut-être passé à côté, tu me mets le doute 🙂

    Je vous rejoins (avec Apo) sur le fait que ce cycle est peu commenté et que c’est injuste ! :p

    Aimé par 2 personnes

    • Pour Essaü j’ai surtout beaucoup apprécié la façon dont les Baburites ont digéré les us et coutumes de la Ligue pour mieux la retourner contre elle, les neutralisant pour le coup. J’ai trouvé cela fort ironique, et en même temps plein de sens. Ceci dit, cela n’est pas la meilleure du recueil et je ne pense pas que tu sois passé à côté.

      Oui, c’est injuste que le cycle soit si peu chroniqué ou critiqué. D’ailleurs, je ne sais pas pour toi, j’ai non seulement peu de commentaires, mais très peu de vues sur mon article alors qu’il s’agit d’une nouveauté….

      C’est donc une excellente chose que tu critiques toit aussi, faut faire un peu de promo pour un si bon recueil!

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