Les Cent Mille Royaumes – N.K. Jemisin

Ou les Guerres divines

Trilogie de l’héritage, tome 1

« Mon nom est Yeine et j’ai dix-neuf ans. Je suis membre du peuple darrène, au nord des Cent Mille royaumes. Une barbare. Il y a un mois, ma mère a été assassinée. Elle était l’héritière des Arameris, la plus puissante famille du monde. Ce matin, j’ai reçu un message de l’empereur, mon grand-père : une invitation à venir séjourner à Ciel, le palais familial. Plus qu’une invitation, un ordre.
Je veux découvrir pourquoi ma mère est morte. Même si on ne revient jamais de Ciel.« 

La lecture du résumé éditeur ne parvient qu’à peine à titiller ma curiosité, mais l’attribution du prix Locus m’a convaincue de lui donner sa chance. Et finalement, c’est une bonne surprise!

Sous les dehors assez classiques d’une fantasy axée sur une histoire de vengeance, se cache, un projet assez ambitieux et un pari globalement réussi.

Les Cent Mille Royaumes nous offre un croisade personnelle, une intrigue de cour, de la magie d’essence divine, des personnages marquants pour une fantasy mythologique. Ce premier tome lance les bases d’un trilogie assez ambitieuse dans la mise en place d’un panthéon divin solide et captivant, sans doute le point fort du roman.

Les Araméris, avec à leur tête le grand-père de Yeine, gouverne d’une main de fer les 100 000 royaumes, ils tiennent leur légitimité de Itempas, le Dieu de l’ordre, de la rectitude,…qui a gagné guerre l’opposant à Nahadoth et leur sœur, Enefa.  Le monde est donc dirigé suivant les principes du vainqueur, les perdants ont été asservi à la famille régnante actuelle pour services rendus, ils sont leurs armes et leurs esclaves à la fois. Mais quelle folie de placer autant de pouvoir entre les mains humaines! C’est également le propos  du roman.

J’étais assez partagée sur les influences de N.K. Jemisin. Son origine africaine, la présence de mots à consonance africaine et le nom des divinités poussent à conclure qu’elle a puisé dans les mythes de ce continent. Et de nombreux rapprochements peuvent correspondre étayant cette déduction.

Cependant les dieux principaux du roman m’évoquent le panthéon hindou. N.K. Jemisin nous présente toute une cosmologie proche du Brahman : à l’origine n’existe que le seul Maëlstrom dénué de toute vie, avant la naissance d’une trinité de Dieux primordiaux. Dans la mythologie africaine, les divinités sont liées à l’eau, et ce n’est pas le cas ici. L’équivalent d’Enefa, est  la déesse de l’aube et du crépuscule, alors que dans Les Cent Mille Royaume il s’agit plutôt de celle de le vie  à l’image de Brahmâ, la force créatrice. Itempas représente la rectitude mais surtout la force conservatrice et ordonnée de l’univers, tel Vishnou. Enfin, Nahadoth est à l’image du chaos, et difficilement plus proche de Shiva aux mille visages, sa force « destructrice », porteuse de changement.

Ces trois Dieux représentent les trois aspects inséparables de l’univers pour NK Jesimin, source de l’harmonie tout comme Brahmâ, Visnu et Shiva, le trimunti, de la cosmologie hindoue qui enseigne que le principe de toute vie et de tout progrès réside dans les différences et les contraintes. Même Seith, le dieu enfant trouve un alter-égo avec Kârttikya. Je pourrais également signaler les quelques points de convergences entre ce roman et le fameux texte la Mahabharata, puisqu’il s’agit d’une lutte dynastique ayant pour enjeu le trône. Or comme, il y a beaucoup de romans se basant sur les jeux de trônes,….

Les concepts demeurent proches et il est difficile de trancher, sans doute peut-on associer les deux sources d’influence hindoue et africaine, ce qui ne fait que renforcer la richesse du panthéon construit.  D’ailleurs,  le roman de l’auteur américaine prend une saveur autre en liant son panthéon à la richesse mythologique de notre monde et le dégustant ainsi.

C’est peu à peu que tout cela se dévoile. A travers les épreuves de Yeine, nous découvrons les principes fondamentaux de la religion exclusive de cette étrange contrée, soumise au pouvoir des Araméris. Métisse, elle est dédaignée par sa cousine et son cousin, Scimita, une parfaite sa***, et Relad. Son grand-père ne voit en elle qu’un outil alors même qu’il la nomme au rang d’héritière….

Malgré son jeune âge, Yeine est ennu de la Darène,  rôle qui consiste à le diriger. Elle a été formée pour cela, ainsi, ce n’est pas une ingénue mièvre et sans aucune ressource qui débarque à Ciel. Or, La jeune femme n’est pas préparée à ce qu’il attend dans ce repère de vipères toutes plus malsaines les unes que les autres. Montesquieu pensait que « le pouvoir corrompt, le pouvoir absolu corrompt absolument« . Nous en avons un bel exemple à cette cour, et notre protagoniste principale en fait les frais.

Certes, Yeine n’obéit pas aux canons de la fantasy actuelle, ou l’héroïne est l’élément moteur de son destin, engagée dans l’action. Ici, il est vrai qu’elle donne l’impression de réagir aux événements et parfois de subir son destin, loin de ce que le lecteur peut attendre. Pourtant, le choix de l’auteur sonne juste et le procédé qui consiste à découvrir Ciel et ses machinations en même temps que le personnage lui donne plus de percussion.

Les cousins, héritiers en titre sont assez opposés, et plutôt caricaturaux, une larve d’homme et une harpie. Mais ce sont les dieux les véritables protagonistes dans cette histoire. Avec un Naha versatile, changeant et charismatique au possible ainsi que Seidh toujours touchant, affectueux et parfois cruel tel l’éternel enfant qu’il représente. Comme dit plus haut, ils sont la force principale de ce récit.

L’intrigue de cour, si elle est bien construite, n’en est pas pour autant originale ou novatrice. La protagoniste centrale est « conviée » à s’installer à Ciel, une cité où elle devra démontrer de grandes capacités de résistance. Son grand-père la méprise, sa cousine lui voue une haine féroce, son cousin s’avère totalement indifférent. Son double héritage daréne et araméris y est une entrave, et elle est considéré avec dédain par les autres membres de la famille, les sang-purs. L’hostilité et au mieux l’indifférence s’affichent partout. La particularité agréable de ce récit réside dans le tempérament de Yeine qui débarque, certes, vierge d’expérience similaire, mais qui n’est ni une nunuche, ni une provinciale niaise. Elle possédé déjà des compétences liées à l’exerce du pouvoir. Ensuite, elle ne devient pas comme par magie le leader des domestiques en s’attirant la sympathie de petites gens. Ses seuls alliés sont les dieux, qui ont leur propre agenda…

Je ne comparerais pas à La Trilogie de l’Empire, mais il y a des similitudes entre les deux œuvres, avec un environnement exotique, une jeune femme projetée dans un panier de crabes, et leur faculté à faire face avec plus ou moins de bonheur.

La structure du récit peut surprendre (et déplaire) car elle n’est pas linéaire. Yeine relate les événements à compter de son voyage vers Ciel. Si l’intrigue principale est développée de manière chronologique – ou presque – s’insèrent des éléments autres qui brouillent les cartes et permettent d’entretenir le suspens et de dévoiler des clés essentielles à la compréhension de l’univers et de la trame. Ainsi, avons-nous des flashbacks, de courts développements sur le panthéon divin, des réflexions personnelles, ainsi que des monologues internes très importants (initialement ils peuvent perturber, mais nous en comprenons l’intérêt et la substance vers le fin du récit).

La magie a deux pendants : la puissance de l’univers à travers les dieux et les runes/glyphes utilisés par les scribes pour les sceaux et autres formes plus martiales. Ils s’agit du langage divin qui nécessite de longues études avant de le maîtriser un tant soi peu.

Au final, je suis plutôt convaincue par ce premier tome et l’attribution du prix Locus ne me semble pas volé, surtout que cette fantasy n’est pas dénuée de fond.  En effet, difficile de ne pas percevoir une critique dans l’attitude suprémaciste des Araméris, ou avec la présentation de centaines de pays chapeautés par une organisation supranationale souvent attentiste. D’autres sujets plus délicats y sont abordés comme l’inceste, le viol, l’abus,….

Toutefois, il y a quelques défauts (de jeunesse) avec des antagonistes manquant de subtilité, une intrigue classique, une attirance physique de Yeine pour Nahadith qui fait un peu girly (rein à voir avec de la romance!), et quelques scènes de sexe superflues. Il y a un déséquilibre entre la cohérence et la densité du panthéon présent, et l’intrigue de cour plus mesurée.

 

En résumé, un roman qui m’a conquise par la richesse et la solidité du panthéon divin d’inspiration africaine et hindoue, qui m’a surprise avec ses jeux de pouvoir et une chute de bon aloi.  Du coup, les défauts et la classicisme de son intrigue sont assez secondaires. Je le déconseille toutefois aux lecteurs en recherche d’une fantasy plus traditionnelle avec l’utilisation de sorts spectaculaires, ceux qui souhaitent lire une intrigue linéaire dénuée de complexité, les prudes qui ne supportent pas la moindre scène un tantinet cochonne, ou enfin à ceux qui sont allergiques à quelques soupçons girly.

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25 réflexions sur “Les Cent Mille Royaumes – N.K. Jemisin

  1. Une héroïne ni nunuche ni niaise, ça démarre pas mal 😉 Après, j’hésite à me lancer dans des sagas vu toutes celles que j’ai en attente (coucou, Vorkosigan ! Haha) alors j’attendrai de lire ton avis sur les suivants avant de me décider 🙂

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  2. Très intéressante analyse sur les sources mythologiques. Ce cycle a plutôt bonne réputation, je vois qu’elle n’est pas usurpée. Du coup tu vas lire la cinquième saison, qui sort dans quelques semaines, et qui, de Gromovar à Elbakin, fait l’unanimité (sur la VO) ?
    Merci pour cette critique qui, comme d’habitude, est agréable à lire et propose une analyse en profondeur du livre.

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    • Merci Apophis! 🙂
      J’ai voulu effectivement recentré un peu sur les sources mythologiques car j’ai lu quelques critiques VO et VF qui mentionnaient que le système magique c’était n’importe quoi, tout comme les divinités. Vraisemblablement toute cette partie n’avait pas été apprécié à sa juste valeur. Du coup, la réputation n’est pas usurpée, ce n’est pas un chef d’œuvre mais au-dessus du tout venant en fantasy.

      Hé bien, finalement, oui je vais lire la 5° saison, car l’auteur m’a bien plu, ce que tu avais lu aussi même si c’était perfectible. Alors, je vais me lancer oui!

      Chouette, j’aime bien quand il y a matière a développer ce que j’ai apprécié et pourquoi. 🙂

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  3. Oh, je l’avais repéré il y a longtemps mais il est désespérément resté dans ma wishlist, ce que je suis en train de regretter du coup 😉 J’avais envie d’autre chose que de fantasy classique ^^
    Bon, je me lancerai dans cette lecture un jour ou l’autre, c’est sûr !

    Merci pour ton avis détaillé 🙂

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  4. J’avais bien aimé cette mythologie à l’époque de ma lecture et du coup je suis contente de ne pas avoir l’impression d’être la seule 😛 (vu le nombre de critiques négatives ou mitigées que je vois passer)
    J’ai vraiment super hâte d’être en septembre pour que la 5ième Saison sorte, celui ci je l’attends avec vraiment beaucoup d’impatience =)

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    • Non, tu n’es pas la seule! 🙂
      Je remarque que nos goûts et impressions sont assez proches, alors je ne suis pas surprise que cela t’aies plue également.

      Oui, j’attends aussi la 5° saison!

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  5. J’avais bien aimé aussi et si le reste de la série prend une direction plutôt inattendue le tout est quand même d’un bon niveau 🙂 Je n’y aurais pas pensé mais je suis aussi d’accord avec ton parallèle avec La trilogie de l’empire.

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