Portal of Thousand Worlds de Dave Duncan

Chine éternelle, Chine magique, Chine fatale

Lecture VO

Je suis peu familière des œuvres de Dave Duncan, n’ayant lu que L’insigne du Chancelier à sa sortie, un roman de fantasy mouvementé et au demeurant fort agréable, qu’il me faudra relire pour boucler le cycle. Un jour.

Un trilogie pour me remettre en selle avec cet auteur ne m’enchantait guère quand j’ai découvert ce roman se déroulant dans un pays aux parfums exotiques et à la culture évocatrice.

The Good Land – Chine – vit depuis des siècles sur un cycle alternant menaces et périodes de prospérité, baignant dans des traditions invariables et raffinées, dominée par la présence de l’imposant Portail entre les Mondes, le Portal of Thousand Worlds.

Cette contrée – The Good Land – est dirigée par un Empereur depuis le Cœur du Monde (Heart of the World), un homme qui ne se dévoile que rarement à la foule hormis lors de quelques occasions sacrées, et encore devant une assemblée triée sur le volet. Seuls ses conseillers et quelques mandarins parmi les rangs les plus élevés le côtoient de manière régulière, ainsi que les eunuques qui gèrent ses appartements et les contingences matérielles…

Dans la période qui nous occupe – une Chine médiévale – c’est la mère de ce dernier qui tient réellement les rennes du pouvoir en attendant la fin de la régence. Ce « Dragon » a passé un bon coup de balai autour de la famille royale pour avoir les coudées franches et éviter de se faire damer le pion par la concurrence familiale. Les intrigues politiques et de palais font partie intégrante du récit… sans en être le seul levier.

La régente s’est débarrassée des gêneurs grâce à une facilité propre à ce monde : The Grey Helpers. Nous pourrions la qualifier de « Guilde d’assassins » même si cette dénomination est assez réductrice tant cet ordre s’insère parfaitement dans les rouages de la société. Ce sont des moines guerriers auxquels sont dévolues les tâches ingrates – ou considérées comme telles : ils ont en charge les morts, les enterrements, la protection ou l’enrichissement de  leur »mécènes », les nettoyages,…

Pour résumer, leurs fonctions consistent à faciliter le passage des personnes d’un monde à l’autre.

« I Helped him advance on the staircase of worlds » (« je l’ai aidé à franchir l’escalier entre les mondes »).

Ce peuple chinois pense vivre dans le 4° monde, l’âme des défunts rejoignant le monde suivant et ainsi de suite; cette disposition d’esprit s’avère importante à la fois pour la construction d’une spiritualité d’inspiration chinoise et enrichir cette atmosphère d’une aura exotique. Le Portail présent sur The Good Land est loin d’être étranger à cette philosophie/spiritualité, surtout qu’il s’est déjà ouvert comme l’atteste des textes anciens.

Chacune de ces ouvertures fut précédée de signes que je ne vous dévoilerai pas, bien que dès le début du roman, le lecteur se doute qu’il ne va pas rester inerte… Sachez que la Mère Dragon devient particulièrement nerveuse alors qu’une rébellion éclate aux confins de l’Empire.

Dave Duncan s’est fortement inspiré de la Chine du XVIII° lorsqu’il a développé son univers, conférent ainsi à sa Chine un parfum d’intemporalité et d’éternité. L’impression dégagée associée à ce mystérieux artefact donne une aura onirique à l’ensemble, presque ésotérique. Ce texte a été pensé et écrit avec beaucoup de soin pour conter des luttes de pouvoir, l’histoire de petits et de grands ainsi que le cours d’une éternité, le tout teinté d’un parfum unique.

Nous avons d’une part une dynastie sur le déclin qui lance toutes ses forces dans les batailles et de l’autre un révolutionnaire  – Bamboo – qui séduit à tour de bras les paysans, pauvres et laissés-pour-compte. Au centre de l’échiquier, l’Ordre Gris avide de maîtrise cherche à tirer bénéfice du moindre feu de bois.

Seul un énergumène semble étranger à ces enjeux politique et nationaux, le Premier Né (The First Born) aussi connu sous les noms de Urfather, the Man of Thousand Lives, Sunligth dont les motivations nous échappent initialement et pendant un bon moment.

Bien entendu, le lecteur comprend rapidement que l’ensemble des trames, intrigues et enjeux va trouver son exposition – ou explosion – finale lorsque le Portail s’ouvrira, s’il s’ouvre. 😉 . Ainsi, tous – lecteur compris – sont-ils dans l’attente plus ou moins angoissée de cet événement, le « climax » du roman.

Tout ce travail d’échafaudage est bien construit, et le lecteur sent la tension gravir son propre escalier alors que les semaines passent, puis les mois. Nous ne suivons pas une aventure centrée sur un combat une bataille ou un affrontement entre un bon et les méchants. D’ailleurs, il serait difficile de désigner un « bon camp » dans ce roman tant les uns et les autres piochent dans l’arsenal à leur disposition : manipulations, empoisonnements, meurtres, désinformations, chantage,…. Enfin presque tous, Sunlight est un personnage à part, figure spirituelle à l’aura pleine d’humour et de sagesse.

Car la question qui se pose : qui sera sur le trône à la fin de cette aventure ?

Si cette interrogation entrouvre un débat au sujet de la ressemblance avec Games of Throne de Martin, répondons-y immédiatement. Effectivement Portal of Thousand Wolrds est un roman de dark fantasy  politique dans lequel les intrigues de palais et les luttent politiques/de pouvoir sont centrales. Ce « jeu » affiche lui aussi un taux de létalité assez élevé.

La similitude s’arrête là. L’ambiance est totalement différente, elle s’enracine dans une  Chine, où mêmes les passes d’armes (au sens propre comme au figuré) baignent dans le raffinement (et la duplicité). Je recommande spécialement le combat entre Silky et un dragon dans une arène… Il n’y a pas de passages aussi brutaux et sanglants que dans GoT (même s’il y a un viol) et je n’ai eu pas de sensation de violence gratuite ou de tentative d’appâter le chaland avec du sexe et du « grim ». Et enfin, il s’agit d’un roman qui n’aura pas de suite, c’est un one-shot. La fin est une vraie fin.

Le roman se développant autour des intrigues politiques, il convient de s’appesantir sur les quelques personnages clés de ce roman, surtout que sa construction s’axe autour des points de vues d’une poignée d’entre eux.

Le récit s’articule sur trois niveaux qui vont s’influencer de manière plus ou moins directe.

Le premier se concentre sur une trajectoire personnelle et influence au final que de manière ténue l’intrigue principale.

Nous rencontrons initialement le futur Silky (Soyeux), un nom fantastique pour un assassin… Un enfant pauvre qui va intégrer l’Ordre Gris avant de décrocher son premier contrat. Son commanditaire est Jade Harmony menacé de faillite. The Grey Helpers protégeant leurs « mécènes » dans leur intégrité physique et leur santé financière, notre jeune ami va devoir trouver des solutions plus ou moins définitives pour requinquer le bonhomme. Ce premier contact nous permet de faire connaissance avec cette organisation et de prendre en compte leur infiltration dans toutes les strates de la société chinoise. Silky s’avère un personnage aux multiples facettes, doté d’une pointe de cynisme sans tomber dans les travers du stéréotype, car Duncan a apporté un soin particulier au traitement de ce personnage. L’homme est habile, compétent, méprise son patron et se révèle suffisamment intelligent pour le manipuler.  Le bénéficiaire principal de son travail de l’ombre est une question qui se posera car le jeune homme n’est pas dénué d’ambition.

Son point de vue, même en retrait de l’intrigue centrale concernant les luttes de pouvoir, nous amène dans la Chine populaire, et nous dépeint une partie d’un tableau plus vaste. Cette évolution personnelle, charpente la Chine de Duncan, en nous présentant les répercussions des décisions de l’échelon central, deuxième strate de cette épopée asiatique.

En effet, c’est au cœur de l’Empire, au niveau d’une nation, que se joue cette deuxième partition .

Le lecteur côtoie évidemment la Mére-Dragon, mère de l’Empereur, régente de l’Empire. Elle est la « plaque tournante » de l’intrigue politique et de l’avenir de cette Chine. Nous vivons à travers elle son incertitude, son angoisse quant à l’avenir et l’ouverture du Portail qui sonnerait son glas. Son caractère réserve peu de surprise. Sans être stéréotypée, le lecteur ne découvre pas une protagoniste qui sorte du lot, toutefois, l’auteur prend le temps de la développer et nous ne tombons pas dans la routine à son contact. Le tigresse a du tempérament.

Afin de renforcer son arsenal défensif, elle a fait appel aux Grey Helpers et se voit « doter » d’une arme puissante en la personne de Horse (oui, Cheval!).

Ce moine Gris a une mission bien spécifique pour contrer les ennemis de l’Empire, et surtout la rébellion naissante. Alors qu’initialement la Régente ne le voit que comme un outil commode, elle va développer une affection presque maternelle pour l’assassin. Leurs dialogues sont subtils et souvent savoureux!

Horse – dont la mission sera tue (oui, trop facile! ) – est sans doute mon personnage préféré de l’histoire. Nous vivrons à travers son regard l’autre côté des intrigues de palais et de pouvoir,  sachant qu’il ne s’agit pas de n’importe quel homme ou outil. C’est un moine gris très habile, cultivé (comme tous) et compétent. Alors que ses collègues se dédient entièrement à leur mission, Horse va développer une conscience… nous dirons civile. Si le procédé est assez courant dans les anti-héros, Duncan n’utilise pas franchement de cette ficelle narrative, il l’emprunte, la tort pour mieux la retourner. A vous de le découvrir.

L’arc narratif consacré à la rébellion s’incarne à travers Valor Man qui se fait embarquer dans l’aventure lors d’une démonstration de force et invulnérabilité des membres de Bamboo Banner. Il s’agit d’un homme qui idéalise le mouvement, flatté pour son choix, inconscient des manipulations. Leur chef cherche à renverser le trône impérial au profit de lui-même. L’encadrement se montrant particulièrement convaincant et efficace, la troupe s’épanouit rapidement, devenant un menace sérieuse pour l’Empereur.

Enfin, un troisième arc narratif s’opère à un niveau « supérieur » sans être déconnecté de la trame politique car son influence sur les décisions impériales sont immanquables.  Sur ordre impérial, Sunligth a été arrêté pour répondre à quelques questions au sujet du Portail. Or ce dernier ne veut s’adresser qu’au seul Empereur, lequel bien entendu refuse. Le Premier Né, comme ses différents titres le démontrent, est un être particulier. Déjà ses traits sont différents des autres hommes, et reconnaissables par la plupart des habitants depuis des siècles. Son aura n’échappe à personne et malgré la jeunesse apparente de sa physionomie présente, la sagesse transpire par les pores de sa peau. Un culte lui est voué car il semble réapparaître dans ce même mode systématiquement. Le passage du temps a ici une influence sur cette « religion », tant la perception dans la population est affectée par son érosion. Les messages des philosophes initiaux étant souvent déformés, parfois oubliés.

Malgré ses responsabilités, le jeune homme n’en est pas moins dépourvu d’humour et s’amuse d »un rien. Nous découvrons son objectif au fil des chapitres, sachant qu’il n’est pas étranger à l’accroissement de tension à l’imminence de l’ouverture du portail. Sunlight est lié à une forte thématique spirituelle, pour véhiculer plus encore à la fois cette ambiance culturellement marquée et l’idée de Chine éternelle.

Ce personnage est sans aucun doute le plus positif et le plus solaire (et le plus drôle) de toute cette histoire, avec une dimension qui transcende les luttes de pouvoir. Et comme le pouvoir le redoute…

L’écriture est fort plaisante, même si le choix des noms des personnages surprend initialement (sans doute pour ne pas perdre une cible occidentale) et donne une petite impression de décalage avant de s’accoutumer. Il y a beaucoup d’humour malgré le ton sombre du récit, notamment avec Sunlight, mais aussi Silky qui a beaucoup d’esprit. Il y a quelques scènes coquines car la séduction et la manipulation par le sexe ne sont pas étrangères aux tentatives de contrôle, et une petite histoire romantique qui s’intègre bien à l’ensemble.

Le rythme n’est pas rapide – sans être ennuyeux – et adapté à l’introduction des différents personnages et trames. Il s’accélère fortement sur la fin du roman, une fin qui risque de surprendre car elle n’appartient ni aux canons du genre, ni à ceux de la littérature occidentale en général. Si une fois le livre refermé, la surprise se débattait avec le doute un court instant, je l’ai trouvée tout à fait appropriée à l’histoire et à l’ambiance.

Ce roman n’emballera pas tous les lecteurs. En effet, si vous cherchez un récit très rythmé, à l’action pétaradante et aux sorts spectaculaires, vous risquez d’être fort marri. La magie existe – comme les dragons – mais demeure très discrète et peu utilisée. De même le texte s’accommode mal des attentes épiques, même s’il s’agit d’une trame aux dimensions d’un pays, nombre d’événements se résolvent dans les couloirs feutrés. Les combats sont assez expéditifs (les moines connaissent leur affaire), à l’exception notable de l’affrontement entre Silky et un dragon pas commode ( 😉 ). Ce n’est pas du Gemmel.

En revanche, vous pourriez être enchanté par cette Chine intemporelle et ce récit qui fonctionne sur trois niveaux ; personnel, national et spirituel pour brosser un tableau à la saveur asiatique.

Ce livre est pour vous si :
  • vous aimez la fantasy politique
  • vous êtes fan de Chine
  • vous avez aimé La Trilogie de l’Empire
je vous le déconseille si
  • vous recherchez de la fantasy colorée et spectaculaire
  • vous n’avez pas d’affinités avec les personnages tout en nuance de gris
  • vous êtes allergique aux scènes coquines
Niveau de langue et traduction

Un peu de confusion possible initialement en raison des noms des protagonistes, puis abordable. Un éventuelle traduction ne semble pas à l’ordre du jour, ce n’est pas dans la ligne éditoriale des maisons de ma connaissance.


16 réflexions sur “Portal of Thousand Worlds de Dave Duncan

  1. J’ai adoré les quatre romans émanant de cet auteur que j’ai eu l’occasion de lire, et vu ce que tu décris, il n’y a aucune raison que je n’apprécie pas celui-là. Vendu, donc ! Merci pour ta critique 😉

    Pour la trad’, vu que Bragelonne a traduit assez largement Duncan dans le passé, l’espoir reste permis mais faible, à mon avis. La fantasy asiatique se vend notoirement mal en France.

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    • Si tu aimes cet auteur, tu devrais apprécier cette fois-ci. Rien de révolutionnaire au niveau de l’intrigue. Elle est vraiment bien construite mais reste relativement classique. En revanche, l’ambiance est fort réussie, l’Ordre Gris une petite trouvaille, et les 3 niveaux de l’histoire bien pensé. Bref, un bon roman.

      Je crains qu’il faille compter sur une version VO.

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  2. Je ne suis pas un connaisseur de fantasy, encore moins de fantasy politique, mais en lisant ta chronique, j’ai l’impression que la trame ne révolutionne pas le genre. A part le changement de décor, cela reste dans le tout venant.
    Je réinsiste, ne connaissant pas le genre, il se peut que je passe à côté de nuances qui ont un réel intérêt pour le lecteur.

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    • Disons qu’en fantasy ce n’est pas si courant. Et d’autre part, les intrigues au final se recoupent toutes plus ou moins dans l’immense majorité des romans.
      Le plus c’est la prise en compte de 3 niveaux : personne, royaume, spiritiuel.

      Mais, dans le cas de ce roman, je ne pense pas que ce soit le genre de livre qui t’emballe beaucoup. 😉

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  3. J’avais lu L’insigne du chancelier également, qui ne m’a pas laissé un souvenir impérissable.
    J’aime bien l’histoire de celui-ci, mais s’il est en anglais, ce sera éventuellement dans un jour très très lointain !

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