Spin – Robert Charles Wilson

Quels tours de main !

Denoël – Lunes d’encre

Prix Hugo 2006, Grand prix de l’Imaginaire 2007

« Alors, cela fait de nous des frères d’eau? » – Spin

(en référence à En Terre étrangère)

Spin est un roman de SF qui se révèle fidèle à sa réputation tout en honorant le prix Hugo décerné en 2006. Dense sur le fond, très abordable dans la forme, ce récit illustre avec brio le potentiel à la fois spéculatif et romanesque de notre genre.

Pour commencer, Robert Charles Wilson choisit un entrée en matière percutante : la Terre se trouve soudainement englobée dans une mystérieuse sphère.

« Une nuit d’octobre, Tyler Dupree, douze ans, et ses deux meilleurs amis, Jason et Diane Lawton, quatorze ans, assistent à la disparition soudaine des étoiles. Bientôt, l’humanité s’aperçoit que la Terre est entourée d’une barrière à l’extérieur de laquelle le temps s’écoule des millions de fois plus vite. La lune a disparu, le soleil est un simulacre, les satellites artificiels sont retombés sur terre. Mais le plus grave, c’est qu’à la vitesse à laquelle vieillit désormais le véritable soleil, l’humanité n’a plus que quelques décennies à vivre... »

Tout amateur de sensations fortes ou de littérature de l’imaginaire ne peut échapper à un petit cri intérieur qui tient aussi bien du couinement aigu de surprise que de la jubilation presque animale avec une telle perspective (ou son absence dans le cas présent).

Beaucoup de retours agrémentent le net et la blogosphère avec son panel d’analyses pointues – ou pas, emportées – ou pas, alléchantes bien souvent.

Je pourrais brosser un résumé plus approfondi sur l’histoire de Spin, vous dire combien elle est chiadée, pensée dans ces moindres détails. Je pourrais aussi tenter d’expliquer combien l’articulation de l’intrigue apporte son lot de tensions et de révélations à point nommé, entretenant l’intérêt toujours plus aiguisé du lecteur. Je pourrais enfin vous indiquer que cette partition du temps à l’intérieur de la sphère et à l’extérieur de la sphère est un concept jouissif en soi avec toutes les extrapolations offertes sur la destinée funeste de la Terre. J’aurais pu, mais j’ai choisis une approche autre.

Spin est tout cela.

Spin est aussi une question de choix. Que ferions-nous à l’annonce d’une nouvelle fatale ? Que ferions-nous en tant qu’individu et espèce devant notre propre finitude de notre vivant ?

Spin s’apparente à un mouvement de rotation intense appliqué à un entonnoir, se concentrant sur des destins individuels et collectifs alors que quelques dizaines d’années séparent l’espèce humaine de sa fin programmée.

Robert Charles Wilson parle avec affection de l’homme, il nous dépeint toujours des portraits aussi vrais que nature, fertiles dans leurs réactions, contradictoires dans leurs sentiments; des êtres complexes qui retiennent l’attention, et qui permettent de s’immerger en compagnie de personnages cohérents et vraisemblables. C’est également le cas ici, avec essentiellement trois amis d’enfance que la fameuse nuit d’octobre impacte de manière diverse.

Le monde ne sombre pas dans la chaos, après tout, les étoiles et la Lune ont certes disparues cette nuit-là, mais le soleil s’est bien levé, lui.  La planète a retenu son souffle, suspendue dans l’expectative. Puis le soupir est expulsé avec plus ou moins de force. Et comme le note R.C. Wilson, la cosmologie fait partie des sciences « orphelines ». Aussi, l’homme continue-t-il son bonhomme de chemin jusqu’à ce que le jour soit fait sur l’événement en question, le Spin. En effet, très vite -et même très, très vite – les scientifiques constatent un gradient temporel différent entre l’intérieur de l’enveloppe et l’extérieur. Et il ne s’agit pas d’une paille : une seconde équivaut à 3,6 ans…. En faisant le calcul, il apparaît donc que le Soleil se transformera en géante rouge dans 4 milliard d’années dehors, soit 4 décennies dedans….

« Ces petites charges pouvaient passer des semaines voire des mois derrière la barrière du Spin à mesurer la distance de la Lune ou le volume du Soleil, l’une et l’autre en augmentation, mais retomberaient sur Terre l’après-midi même, flacons enchantés renfermant plus de temps qu’ils ne pouvaient en contenir. » (C’est beau, non ?)

Les comportements sont paradoxalement calmes : la population est partagée entre le déni, la résignation, incrédule, éteinte, et souvent sous perfusion continue d’anti-« tout ».

L’entonnoir se rétrécissant, Wilson se concentre sur un trio, Diane et Jason, les jumeaux, ainsi que Tyler, amoureux de la jeune fille, leur ami le plus proche.

Si Jason se réfugie dans la science et cherche une explication rationnelle au Spin, Diane emprunte une voie spirituelle, appréhendant cette mise à l’Épreuve, comme une profession de foi.  Le frère apparait très vite comme un homme de la situation, génie de son temps, flirtant avec la mégalomanie. La sœur  beaucoup plus sensible et  angoissée, comme en témoignent ses nombres coups de fils à Tyler se distingue par son apparente fragilité. J’aime l’ironie de la situation au sein de cette fratrie. La jeune femme se réfugiant dans la religion dans un choix qui semble diamétralement opposé à celui de Jason, alors que celui-ci se pose quasiment en figure messianique, cherchant à résoudre, lui, le mystère du Spin – et si possible d’enrayer la machine.

« Elle voulait que St-Chien soit lui-même tout entier, non la somme de parties terrifiantes, non un fugace épiphénomène évolutionnaire dans la vie d’une étoile agonisante. »

« Sa vie manquait de suffisamment d’amour et d’affection : chaque exemple de ceux-ci devait se voir recensé et gardé en réserve au paradis, thésaurisé pour s’opposer à l’hiver de l’univers. »

Deux cheminements divergents, deux approches presque opposées et aux extrémités du ventre mou qui adopte commodément la politique de l’autruche. Si je ne vois rien, cela n’existe pas! Pourtant, cette ignorance toute relative, n’est pas le troisième et dernier recours de l’esprit humain qui s’étale de la théorie du complot à la farce cosmique (il y a bien un « s« ). Beaucoup de comportements sont à l’image de Tyler, qui oublie de vivre, spectateur de la fin du monde.

L’attitude de notre narrateur est loin d’être celle de celui qui subit les événements, la nuance apportée par Wilson est primordiale. Ce protagoniste, certes paralysé en son for intérieur, ne reste pas prostré, punching-ball humain offert à notre future géante Rouge. Non, cette nuit d’octobre quelque chose s’est purement et simplement éteint. Voilà comment l’auteur vous pousse à vous interroger sur cette hypothèse. Et, j’avoue être impressionnée par la justesse des tableaux humains dépeints.

D’autres thématiques accompagnent cette question existentielle. Cependant ce qui m’a séduit – outre ce tableau d »une humanité face à la fatalité – est l’intrigue liée au Spin, avec son ouverture vers l’espace et le frisson des possibilités offertes.

A court terme, mis a part la recrudescence de la fréquentation des lieux de cultes, plus ou moins anciens, plus ou moins modifiés, plus ou moins exotiques, la vie apparaît inchangée. Les enfants grandissent, poursuivent leurs études et parviennent à l’âge adulte. La question de la maturité est une autre affaire…

Les enjeux tournent autour du pouvoir, avec des petits conflits politiques qui éclatent et émaillent le récit. Initialement, un homme sort du lot avec un opportunisme de hyène, il s’agit du père de Jason, ED. Grâce à sa technologie et sa compagnie, il permet à la société de conserver les communications, la TV et les réseaux. En conséquence, peu de choses ont évolué dans le quotidien de tout un chacun, mis à part l’absence notable de la Lune et des étoiles… Ed, parvient même à infléchir la politique gouvernementale et crée une fondation chargée d’étudier le Spin. Mais, voilà, le fils se lève dans l’ombre du père… et le contrôle échappe un peu à tout le monde, surtout que des avancées et des prouesses soulèvent peu à peu le voile du Spin. Quant aux êtres responsables du ce dernier et leurs motivations… disons que l’auteur emprunte une voie inattendue et alléchante.

En outre, nous assistons à la terraformation de Mars qui vaut le détour, aux premiers vols spatiaux, les premiers échanges, la rencontre du troisième « type »,…

Malgré tout, je ne pense pas que Spin plaira à tous les lecteurs. Déjà, le rythme est lent, loin d’être synonyme d’ennui (ok ?!) ne convient pas à tous. Ensuite,  la narration à la première personne (relatée par Tyler), alterne entre le présent et leur enfance, reste un peu clinique parfois. Le récit est classé en hard-sf, mais nous sommes très loin de ce que nous propose des auteurs comme Egan, Reynolds ou Watts, aussi, ne faut-il pas s’attendre à de grands paragraphes techniques ou scientifiques et une explication finale à grands renforts d’équations. Il ne s’agit pas non plus de space-opéra pweeh-pweeh avec des batailles! Le roman demeure assez cérébral alors si vous cherchez de la baston et des mémés qui cognent vous risquez d’être déçus.

En un mot : excellent!

J’aime les quelques références présentes dans le texte. La lecture Spin se suffit à elle-même pour ceux qu’une éventuelle trilogie freine.

Ce livre est pour vous si :
  • vous aimez la SF waouh!
  • vous est fan de Wilson
  • vous voulez entretenir vos neurones
Je vous le déconseille si :
  • vous n’aimez que les personnages rocambolesques
  • vous êtes persuadé que le Soleil est éternel
  • vous êtes angoissé
Autres critiques :

Le chien critique Le troll dans son paysUn Bonne FéeBlog-O-livresLupa

 

Challenge : Robert, Je t’aime !

crcw

43 réflexions sur “Spin – Robert Charles Wilson

  1. Voilà une critique que j’aurais aimé écrire. Comme tu le dis très bien, Spin, c’est « chiadé » !
    En outre, les critiques, moi compris, oublie la dimension politique des événements relatés, ton avis donne un éclaircissement bienvenue dessus.
    Je suis très content que cette lecture t’es ravie. Nul doute que certains lecteurs ayant fait l’impasse sur cette lecture se ruent dessus.
    Et puis, une critique avec sa dose d’humour, moi je dis oui.
    Si un jour on m’avait dit qu’un Robert allait m’amener vers l’orgasme littéraire, j’aurais pouffé. Mais le barbu a plus d’un tour dans son sac.
    Robert, je t’aime !

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    • Ah! Merci, cela me fait chaud au coeur!
      Effectivement, les critiques mentionnent souvent les mêmes points et les analysent, j’avais envie de parler d’autre chose et de l’aspect si humain de ce roman de SF.

      J’ai déjà essayé de faire des critique sans une petite touche d’humour. Alors, elles sont plus cérébrales, plus « construites », plus « matures », presque plus pro… mais ne me ressemblent pas tant que cela….

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  2. Je n’ai pas du tout trouvé ce livre waou xD
    Enfin il n’était pas mauvais en soi, l’histoire a quand même réussi à me tenir jusqu’au bout et sans ennuie particulier.

    Mais comme tu le dis j’ai trouvé ça très clinique, trop clinique en fait, le ton trop froid. Je me sentais loin des personnages, pas du tout attaché ou émotionnelle à leur sujet.

    Et j’ai trouvé que ça m’a grandement gâché mon avis général même si je trouve que c’est quand même bien qu’il ai réussi à me tenir jusqu’au bout malgré cela, c’est assez rare, je dirais, que je persévère jusqu’à la fin quand je suis dans cet état d’esprit.

    Mais tant mieux après tout si il t’as plu =)

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    • Oui, cela le fait, pour moi celui-ci était waouh! parfois ce sont des livres réputé waouh qui me laisse un peu sur la touche.

      Oui, le narrateur n’est pas pétillant et avec sa fonction de docteur, le récit a des tournures détachées. Et personnellement, je trouve cette attitude très cohérente. Nous aurions pu avoir le récit de Diane, mais je crains que l’aspect « technique » fusse relégué au second plan. (Et un petit subjonctif au passage, LOL).
      Mais si tu as persévérer c’est quand même une preuve que le récit est bien construit!

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  3. J’ai adoré ce livre. Mais je suis plutôt du genre cérébral, je l’avoue. Ce trio, séparé par les circonstances, réuni par le souvenir et la nécessité, je l’ai aimé. Et l’émerveillement, je l’ai ressenti.

    Emporté par l’histoire, touché par les personnages, stimulé par les idées et concepts, immergé dans l’univers créé : que demander de plus?

    Tu as lu la trilogie, ou uniquement Spin? Je crains de m’emporter et de spoiler la suite en comparant les uns ou les autres !

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  4. Coucou Petit Lutin Adorable! Merci pour le lien, et tu me rappelles avec cette belle chronique, que je l’avais tant adoré….Je devrais le relire d’ailleurs puisque je n’ai pas continué la trilogie dans la foulée…
    J’ai hâte d’avoir ton avis sur la suite pour me relancer dans la saga de RCW…;)

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    • Oui, j’ai eu le loisir de voir que cela avait été une superbe lecture pour toi aussi.
      Il parît que la suite est moins bonne, mais avec un tel niveau difficile de rivaliser…

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  5. Whaou, c’est moi ou tous les résumés des romans de RC Wilson sont terriblement accrocheurs ? Je n’en ai toujours pas lu un seul mais à chaque fois que tu parles d’un nouveau titre, j’ai envie de l’acheter immédiatement… Si la plume me plaît, je suis bien partie pour tous les lire ! 😉

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    • Oui, tout ce que j’ai lu est vraiment sympathique et vaut vraiment la lecture. Les thématiques sont intéressantes, et l’homme est au centre de ses récits.

      Je ne vois pas comment cela ne pourrait ne pas te plaire! 🙂

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  6. C’est tellement bon de reprendre une bouffée de Spin grâce à toi ! La tête me tourne déjà rien que d’y repenser, et ta chronique est si excellente que l’envie de le relire est impressionnante !
    Bravo, et merci pour le lien 🙂

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  7. Je n’avais pas conscience que tu n’avais pas lu Spin. C’est souvent par ce bouquin que les gens découvrent Robert Charles Wilson. Je suis content de voir que l’impact de ce bouquin sur toi reste fort malgré le fait que tu aies lu de nombreux autres wilson avant. J’ai pour ma part un lien affectif très particulier avec Spin : c’est ce bouquin qui m’a fait reprendre la lecture, et a fortiori la lecture en SF. C’était par ailleurs à une époque où ça n’allait pas fort dans ma vie professionnelle ; et je me souviens m’y être réfugié le soir comme dans un cocon ^^.

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