L’Usage des armes – Iain M. Banks

Traité militaire de non-prolifération – ou histoire d’une lecture double

La Culture, tome 3

 

« La fin et des moyens – en matière politique – ont toujours entretenu des rapports difficiles. La Culture, société galactique d’un futur lointain, a résolu le dilemme en séparant totalement les deux termes de l’équation ! Dans L’Usage des armes, la main droite ignore ce que fait la main gauche, à l’exception de la Présidente Sma, chargée d’assumer sans faiblesse les basses œuvres, assurées – morale oblige -, par un service spécialisé. Lorsque des impératifs vitaux nécessitent le recours au mensonge, à la trahison ou parfois à la violence la plus extrême, la Culture confie ses intérêts aux mercenaires de « Circonstances spéciales », recrutés à cet effet. « 

L’usage des armes mérite une chronique qui sorte des sentiers battus, et une bien meilleure analyse que celle que je pourrais vous offrir, aussi, ai-je décidé d’opter pour une double lecture.

Le Net pourvoira abondamment en critiques littéraires de belle envergure, et je n’ai pas la prétention de rivaliser avec celles-ci. Je livre ici une expérimentation de lecture, car le choix narratif choisi par Iain Banks ouvre cette opportunité.

Une vision sévère du monde

Pour faire le sale boulot, car, malgré des apparences flatteuses, cette pan-humanité ne délaisse pas les basses besognes ou l’ingérence politique. Circonstances spéciales, le bien-nommé, fait alors appel « quand il n’est plus capable de trouver une solution à ses problèmes, quand il ne reste plus aucun espoir* » à Cheradenine Zakalwe!

Banks met en œuvre une de ses situations qui nécessite les services de ce mercenaire, Circonstances spéciales se heurte toutefois à un obstacle, l’agent a disparu. Seule Sma pourrait l’amener à coopérer et à rétablir un contact brisé à la suite d’une précédente mission. Le lecteur est alors amené à suivre deux fils narratifs, ce qui densifie et complexifie l’histoire. D’ailleurs, les tout premiers chapitres possèdent un faux rythme, un peu lancinants – du moins c’est ainsi que je les ai ressentis – avec ces tranches de missions de Zakalwe et le début des recherches de Sma, l’un explosif, l’autre plus « contemplatif ».

Ce contraste se trouve accentué par l’humour fin, parfois subtil (et d’autres fois beaucoup moins) de l’auteur, il est toujours marqué par une légère dérision, ou encore une pointe de cynisme.  Cette empreinte, car le roman la porte indéniablement, est totalement assumée et même supportée par le personnage central de notre récit, Cheradenine Zakalwe. Il revêt cette armure comme une seconde peau, lui permettant de ne pas s’impliquer. Cependant, ce ton va bien au-delà de cet anti-héros, car à la lecture, La Culture se révèle particulièrement ambivalente au fil des pages.

A travers cette humanité, Banks porte un regard critique sur notre monde, rivé n partie sur les choix sociétaux des pays occidentaux, mais surtout sur leurs organisations ou structures sociales. Il me fait même penser à quelques auteurs français qui nous ont offert des bijoux d’analyses politiques, au XVIII et XIX siècle. Nulle société n’est parfaite et l’idéal que représente La Culture – à ses propres yeux – notamment avec sa société ouverte, sa structure anarchique, la recherche constante du bonheur individuel n’a de perfection illusoire. Malgré son approche ayant affranchit l’homme de ses besoins premiers (merci Maslow), La Culture ne peut dépasser la nature de l’homme, son besoin de contrôle et une certaine tendance impérialiste.

« Le mérite de Banks, cependant, c’est de parvenir à mettre en scène un Space opera flamboyant, parfois complexe, qui se refuse au militarisme et s’interroge sur les notions de Bien et de Mal. L’humour n’est d’ailleurs pas absent, au fil des réflexions de robots sarcastiques ou de vaisseaux spatiaux intelligents appelés, par exemple, Canonnière diplomate ! De roman en roman (L’Homme des jeux, Une forme de guerre, Excession), Banks approfondit avec la Culture, et pour le plus grand plaisir de ses lecteurs, l’un des cycles les plus passionnants, les plus originaux et les plus ambitieux de la SF mondiale.« 

La fin et les moyens

Ce sont les premiers mots de l’éditeur concernant L’Usage des armes, ils illustrent parfaitement le pragmatisme de Circonstances spéciales. Celui-ci mêlé d’un brin de cynisme est encore plus clair avec une lecture double.

Mon dessein lors de cette critique était de sortir des chemins battus, et le choix narratif de Iain Banks m’en offre l’opportunité. En effet, le roman peut se lire dans un sens… comme dans l’autre. Les chapitres vont croissants et décroissants quelque soit le sens de lecture avec deux prologues et épilogues, en début et fin de livre. Orignal, non ?

J’ai donc lu L’Usage des armes deux fois à quelques jours d’intervalles, une fois dans le sens classique, et une seconde fois, en commençant à « rebours ». L’expérience s’avère enrichissante avec une perception différente du propos de l’auteur.

Lors de ma première immersion la narration emprunte deux directions, l’une présente avec le recherche de Zakalwe et l’accomplissement de sa mission; et l’autre au passé qui dévoilent au fil des chapitres les causes de sa rupture avec La Culture. Nous sommes dans une double trame classique, avec son prolepse. Le mercenaire apparaît détaché, cynique tandis que La Culture expose un certain pragmatisme, non dénué de détachement.

Ici, la fin justifie les moyens dans cette œuvre éclairée de La Culture. L’intervention – et mêmes les interventions – nous apparaissent légitimes, surtout à travers le regard de l’ensemble des ses agents. Zalkawe est un homme blessé et blasé par son choix initial, celui d’être un mercenaire. Les procédés ne plaisent pas, mais pour le bien de tous…

Lors de ma seconde lecture, les choses sont nettement plus brutales, puisque nous avons une double trame « à rebours ». Nous découvrons d’entrée à la fois le résultat de la mission de Zakalwe,  ainsi que le moment de rupture. Dès lors, le récit s’axe sur les moyens qui ont conduit à cette fin. La Culture apparaît  plus brutale, froide et cynique. Elle possède un besoin de régulation intrinsèque, et à tel point que nous finissons par nous demander si Zakalwe, n’est pas finalement le plus humain de tous. Existe-t-il une forme de gouvernance douce?…

Je ne suis peut-être pas absolument conquise, mais j’ai aimé découvrir cette facette de La Culture et j’admire le procédé narratif. Bref, Chapeau!

Si vous voulez tenter l’aventure de la double lecture, cela représente 1120 pages, vous voilà prévenus! 😉

Ce livre est pour vous si :
  • vous souhaitez lire un SF alliant forme et fond
  • vous êtes amateurs de sociétés futuristes se démarquant
  • voulez voulez poursuivre l’aventure de La Culture
Je vous le déconseille si :
  • vous êtes un anti-anarchie
  • vous voyez lanarchie comme peace & love exclusivement
  • Vous ne jurez que par les trames linéaires
Autres tomes :

L’homme des jeux

Autres critiques :
OrionLecture 42Apophis
  • d’où est-ce tiré ? – la question-jeu!

18 réflexions sur “L’Usage des armes – Iain M. Banks

    • Alors, celui-ci je te recommande particulièrement la lecture.
      C’est vraiment un incontournable.

      L’auteur trouve des noms fort intéressants, et quand tu lira les noms des vaisseaux…. LOL

      J’aime

  1. Vous faites un combat de banks avec Lecture42 ? 🙂

    J’avais déjà lu quelques livres qui pouvaient se lire différemment, mais je n’ai jamais eu le courage de le faire, bravo pour ton opiniâtreté. Même si la Culture m’indiffère, je ne peux que saluer la prouesse de l’auteur.

    Aimé par 1 personne

    • Oui, on aurait pu le voir comme cela! 😉

      La curiosité a été récompensée sur cette fois. Et il fallait qu’elle soit au rendez-vous pour me pousser à lire un livre deux fois de manière aussi rapprochée.

      J’aime

Laisser un commentaire