L’Empire du Léopard – Emmanuel Chastellière

Bonne et sombre composition!

Critic

A l »annonce d’un titre de Flintlock made in France, inutile de préciser combien mon intérêt pour L’Empire du Léopard était important. Deux raisons à cette appétence, un engouement avéré à ce sous-genre martial de la fantasy ainsi qu’une forte curiosité liée à une production française dans ce sous-genre si peu mis en valeur dans notre pays.

Pour autant, je n’attendais pas une imitation de ce que les anglo-saxons, habiles en la matière, ont l’habitude de nous proposer. Mes espoirs reposaient sur une plume agréable, une histoire sympathique, une ambiance martiale assumée, et…. des combats aux mousquets.

Le roman d’Emmanuel Chastellière a répondu à tous ces points et je ressors de cette aventure en refermant un livre fort agréable.

Un univers flintlock à la croisée des aventures d’Indiana Jones

La flintlock fantasy se caractérise par un univers qui déroge au médiéval-fantastique, et même si le cadre proposé est souvent d’inspiration européenne, le rendu change radicalement des classiques. L’époque de référence tourne autour de la fin du XVIII° siècle, ainsi les uniformes chamarrés, les armes à poudres côtoient harmonieusement sabres et chevaux.

L’atmosphère est régulièrement très particulière dans ce cadre peu ou prou martial, avec des révolutions ou des rebellions.

Dans L’Empire du Léopard, Emmanuel Chastellière choisit un contexte historique tout aussi animé, la conquête de l’Amérique du Sud. En guise de conquistador, les troupes du Coronado, un royaume expansionniste qui n’a rien à envier à la péninsule ibérique d’alors, une forme de magie en plus.

Le lecteur y découvre une troupe d’occupation composée de plusieurs régiments,  dirigée par un vice-roi aux prises avec des colons toujours plus exigeants et cupides. Ces derniers sont passablement irascibles, et pour cause… en lieu et place d’un paradis perdu, La Lune d’Or se révèle presque stérile, ardue à cultiver, loin de l’Amérique du Sud des Incas et Mayas, gorgée d’or. Le retour à la réalité est dur, et nous découvrons des conditions de vie délicates pour ces différents colons – un peu moins pour les grands propriétaires terriens – et carrément difficiles pour les autochtones, réduits à un quasi-esclavage.

Le Vice-Roi Philomé doit donc composer avec des cartes et des atouts loin d’être maîtres dans cette contrée pas aussi hospitalière qu’attendue. Les soldats sont donc utilisés tout autant pour pacifier que pour contrôler la population, gendarmes et militaires à la fois.

C’est donc sans réelle surprise que le lecteur tremble lorsqu’un contingent tombe sur un jeune orpailleur, la rencontre menaçant de tourner aigre ou bien quand le Vice-Roi doit concilier les besoins des colons avec les croyances des indigènes.

L’inspiration amérindienne se ressent sans aucun doute, cependant, il ne faut pas s’attendre à des conquistadors revêtus de leur armures de métal et équipés d’arquebuses. Emmanuel Chastellière ne nous propose pas Les Cités d’or, mais réellement un roman de flintlock avec des armes à poudre bien plus modernes, ainsi qu’un degré technique digne du XIX° – notamment avec la construction d’un chemin de fer.

L’ambiance, loin d’être ludique, si elle n’atteint pas le panel des nuances d’un Brian McClellan, possède indéniablement une agréable noirceur. Non seulement, cette veine sombre est portée par un contexte complexe, mais également par une promesse de « rédemption » des plus opaques…

Une fois que notre petit monde met le pied dans l’Empire du léopard, les affaires se compliquent et l’ambiance délétère n’est pas sans rappeler le deuxième opus des aventures d’Indiana Jones!

Une trame qui joue au poker menteur

En effet, alors que la situation dans la Lune d’Or aboutit à une impasse, les colons promis à une vie terne et sans richesse, le Vice-Roi reçoit une invitation et un présent inespérés de l’Empire du Léopard. Concomitamment, le neveu du Roi du Coronado, un mercenaire flamboyant, arrive à bon port, et s’invite dans la ronde…. Un renfort qui tomberait apparemment bien. Mais devant l’esbroufe de ce beau parleur, le lecteur ne peut s’empêcher de se demander si cette arrivée n’est pas trop belle.

Le Vice-Roi accepte alors de se rendre dans cette région réputée et isolée, accompagnée du régiment de Céres (nous y reviendrons), et des mercenaires fraîchement débarqués. En guise de bonne foi, l’Empereur dépêche son fils à la rencontre de la délégation du Coronado.

Par ailleurs, les rebelles indigènes choisissent ce moment pour se montrer, et il n’est pas certain que tout le monde parvienne dans cette contrée paradisiaque.

Quelque soit l’issue de ces premiers heurts – sabres au clair et canons à l’affût – le lecteur est parfaitement conscient, des non-dits, et d’un potentiel piège tendu à nos troupes…. Entre tensions et combats, exfiltrations et évasions, trahisons et retournements de situation, l’intrigue est riche et à de quoi tenir en haleine. Le soin apporté à la construction est fort appréciable car, il est difficile de deviner comment l’histoire va tourner.

Des personnages à la hauteur !

Un des points forts de L’Empire du Léopard réside dans l’ensemble des personnages présentés, tous dotés de ce petit supplément d’âme qui leur donne une consistance propre et parfois unique.

En premier lieu, le colonel Orkatz Céres prend la tête d’un ensemble de choix. L’auteur prend le temps de construire cette femme, désabusée, blessée par les décisions de ses supérieurs, punie pour certains de ses choix. Elle demeure compétente, proche de sa troupe, sans en incarner son âme, tel le chef de bande que nous pourrions attendre. L’admiration est bien-là, l’autorité naturelle également, mais Céres semble coupée d’un petit quelque chose, elle s’exclut presque inconsciemment. Ces détails de son tempérament en font un personnage attachant et plutôt unique tant nous sommes habitués aux leaders charismatiques qui font corps et âme avec leur hommes. Pour autant, je ne veux pas signifier qu’une relation privilégiée est inexistante et que Céres ne possède pas ce charisme.

Tout en sobriété, ce personnage intelligent et déterminé, compose un parfait contre-point au flamboyant mercenaire. Leur opposition savoureuse participe au sel de ce roman et à l’interrogation du lecteur sur les allégeances des uns et des autres.

Philémon, le Vice-Roi, pourrait paraître terne en comparaison de ces deux-là. Il n’en est rien, car le bonhomme tout en subtilité, est habité par une grande loyauté et un désir d’équité prononcé. En sus, il s’agit d’un apiculteur, amoureux de la faune et de la flore, un loisir qui ne peut que me séduire!

De leur côté le prince et la princesse de l’Empire du léopard sont exquis de douceur délétère. Mais, ici aussi, point de gros sabots de la part d‘Emmanuel Chastellière, tout est en sournoiserie et en manipulation. Le prince Amarak, est bien plus franc et droit et cela aura un impact non négligeable sur la suite des aventures.

Les autres protagonistes sont tout autant soignés, et nul ne peut se plaindre d’un manque quelconque d’attention.

Un rythme aux airs Sud Américains

Une conséquence découle de ce joli travail accordé aux personnages, au contexte et à l’ambiance : le rythme est posé. Ainsi, si vous vous plongez dans ce récit en espérant un concert d’explosions, de coups de feu et de combats (qui y sont), vous risquez d’être un chouïa déçus. Personnellement, cela m’a bien convenue même si quelques passages m’ont semblé superfétatoires (Comte Drakhul, je l’ai placé!  😉  ) – je pense au chapitre 8, par exemple. Ce choix fonctionne très bien, en adéquation avec la chaleur moite de cette contrée stérile, mais quelques coupures auraient permis un mouvement plus enlevé.

Ceci dit, le lecteur ne s’ennuie pas, et se régale des batailles promises avec le genre exploré. Il y a quelques moments vraiment savoureux, des combats mémorables et tout à fait digne de la flintlock.  Quelques scènes vous feront frémir, et frissonner entre horreur et dégoût ( vous vous  souvenez que j’ai évoqué Indiana Jones…).

La plume d’Emmanuel Chastellière m’avait déjà séduite dans Célestopol, et confirme ici tout le bien que j’en pense.

L’Empire du Léopard est un roman de flintlock fantasy se déroulant dans un cadre Sud Américain dans un contexte difficile. Les aventures de Céres et compagnie séduisent à la fois par une ambiance sombre, une promesse trop belle pour être honnête, et certainement avec un casting de choix.

 

Ce livre est pour vous si :
  • vous aimez les univers soignés
  • vous souhaitez un livre de flintlock « pédagogique »
  • vous avez aimé la plume d’Emmanuel Chastellière
je vous le déconseille si
  • vous n’avez aucune affinité avec la dark fantasy
  • vous êtes misogyne
  • vous souhaitez un roman qui pète dans tous les sens, et tout le temps
Autres critiques :

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46 réflexions sur “L’Empire du Léopard – Emmanuel Chastellière

  1. Euh…

    1/ « La flintlock fantasy se caractérise par un univers qui déroge au médiéval-fantastique, et même si le cadre proposé est souvent d’inspiration européenne, le rendu change radicalement des classiques » : pas vraiment. Les Mille noms a un cadre inspiré par l’Egypte, La souveraine des ombres par l’Inde, Guns of the dawn, Sins of Empire et Soul of the world par l’Amérique, The traitor Baru Cormorant (en partie) par les Antilles et la Nouvelle-Zélande, etc. Après, tout dépend de ce que tu entends par cadre, si c’est un contexte historique / technologique ou culturel / géographique.

    2/ « L’époque de référence tourne autour de la fin du XVIII° siècle » : plutôt la toute fin du XIXe, vu la technologie utilisée (1886 – 1893, a priori, vu les fusils à pompe et l’utilisation du pétrole comme carburant). Sinon, la ressemblance Napoléonienne, moi je ne la vois pas. L’utilisation des Gatling évoque beaucoup plus la guerre de Sécession, non ?

    1 + 2 = c’est de la Gunpowder en général, pas de la Flintlock en particulier.

    3/ « La Lune d’Or se révèle presque stérile, ardue à cultiver, loin de l’Amérique du Sud des Incas et Mayas, gorgée d’or. » : non plus. Les Mayas vivaient dans la péninsule du Yucatán, donc dans la partie la plus méridionale de l’Amérique du Nord, ou la plus septentrionale de l’Amérique centrale, à la rigueur, mais en aucun cas en Amérique du sud comme les Incas.

    4/ « Les soldats sont donc utilisés tout autant pour pacifier que pour contrôler la population, gendarmes et militaires à la fois. » : les gendarmes étant des militaires, la phrase aurait plus de sens avec « policiers ».

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    • je vois que tu laisses peu de marge à l’approximation. Pourtant pour éviter de faire tout un article uniquement pour présenter le roman (ou faire un billet le double de celui-ci), j’avais pris le soin de ne pas trop généraliser, et d’employer « souvent ». Surtout que je ne cherche pas à te faire concurrence dans le domaine.

      Pareil, pour le lieu, c’est d’inspiration Sud Américaine, Emmanuel le revendique. ET si j’ai voulu faire un petit effet avec l’or des Incas et des Mayas, je ne pensais pas que tu relèverais ainsi. Toujours est-il que le Guyane française est bien pourvue en or, c’est de là que notre pays tire ses propres ligots d’or, et la Légion étrangère sur place chasse les orpailleurs qui détruisent un peu tout. C’est quand même plus glamour de faire appel à l’Imaginaire collectif avec les civilisations disparues…

      je sais pertinemment que les gendarmes sont des militaires. Cependant, leurs missions respectives sont TRES différentes les unes des autres (surtout en raison du fait qu’aux militaires on apprend à tuer, et aux gendarmes à neutraliser). C’est pour cela que les uns sont utiliser pour faire la guerre ou pacifier, et les autres pour « contrôler » la population. Donc, ici, je persiste et je signe.

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  2. Merci aussi pour toutes ces réactions au passage ! Ça fait plaisir de voir que le roman entraîne des réactions en tout cas. 🙂

    (Lutin, je t’ai envoyé un mail « abeilles » voilà quelques jours, je dis ça juste au cas où. ^^)

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  3. Cette lecture m’attire énormément ! D’autant que j’aime beaucoup écouter Emmanuel sur les podcasts d’Elbakin. C’est donc un plaisir triplement anticipé grâce à ta chronique, merci Lutin 😉

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