Le Mètre du Monde – Denis Guedj

Une valse qui a mis le temps

 

« Qu’il n’y ait plus sur le territoire deux poids et deux mesures »

« Au premier temps de la valse
Tout seul tu souris déjà
Au premier temps de la valse
On est loin mais on t’aperçoit
Et Paris qui bat la mesure
Paris qui mesure notre émoi
Et Paris qui bat la mesure »*

*Ce ne sont pas exactement les paroles, je le sais, c’est volontaire.

Vous êtes quelques uns à m’avoir interrogée sur mes lectures autre que SF, car effectivement je ne lis pas que des space-opera qui défouraille à tout va. Aujourd’hui je vous présente une lecture fort intéressante et passionnant sur le Maître du Monde (non, pas Roger Federer), qui n’est pas mon chat bien qu’il soit tout aussi tyrannique, je veux parler de ce bon « vieux » mètre.

France, 1789

Dans cette aventure rocambolesque, c’est Paris qui bat la mesure, et qui murmure déjà tout bas, combien les poids et les mesures sont n’importe quoi. Imaginez, en 1789, plus de deux mille unités de mesure existent et coexistent sur le territoire national. Et si, certains d’entre vous pensent que cela n’a aucun rapport avec la littérature de l’imaginaire, je rétorquerais que cette manne transforme n’importe quel seigneur en un puissant thaumaturge. Avec un étalonnage à sa seule discrétion, n’importe lequel d’entre eux, peut jouer au demiurge, multipliant les rentrées de pains et d’argent avec une minuscule modification de l’aune. Ainsi, l’obole se voit-elle passer de 10, à 20 ou encore 60 grains, et le tout sans scrupule. Ah! si  car 3 scrupules compose une drague variant d’une ville à l’autre… Et que dire quant il s’agit de mesurer un terrain ? Quelle toise ? Celle du Roi, de Charlemagne, du Châtelet ou du Pérou? Notre mage féodal se contentera de celle qui l’arrange, au grand dam des habitants sans titre.

Ainsi, nous comprenons mieux la chanson de Brel qui avec sa verve habituelle décortique pour nous la confusion de nos aïeux.

« Une valse à quatre temps, une valse à vingt temps
C’est beaucoup plus troublant
C’est beaucoup plus troublant mais beaucoup plus charmant qu’une valse à trois temps
Une valse à vingt ans, une valse à cent temps »

Charmant, cela reste à établir. Pour le lecteur, cette gestation compliquée et mouvementée devient une épopée prenante et incroyable tant les rebondissements, les revirements sont nombreux et parfois inattendus, et le tout avec une dramaturgie digne des meilleurs auteurs de fiction. Et si dans un premier temps, l’Assemblée Nationale considère ce projet d’uniformisation et d’universalité comme une mission symbolique et prioritaire, la passion première tombe comme un soufflé. Entre batailles d’égo, les fuites royales et les priorités, la bien-pensance, le mètre n’est plus maître dans la tête des députés.

« Au deuxième temps de la valse
Nous comptons tous les une fois toi,une fois moi
Et Paris qui bat la mesure
Paris qui mesure notre émoi
Et Paris qui bat la mesure

Nous guillotine déjà »

En effet, c’est cette chère célébrité qui viendra bientôt rythmé les débats. A commencer par Louis XVI, mais d’autres suivront très bientôt, dont d’éminents scientifiques, retardant l’accouchement du mètre et la résolution d’une des plus importantes doléances du Tiers-Etat.

« Qu’il n’y ait plus sur le territoire deux poids et deux mesures » (symbole même de l’inégalité, de l’injustice et du pouvoir arbitraire des seigneurs.)

« Qu’il n’y ait dans tout le royaume qu’un seul poids, aunage et mesure, qu’une seule loi, comme il n’y a qu’un seul souverain. »

Un casting XXL

Dés les prémices, l’ambition derrière la création de nouvelles unités de mesures, est l’universalité. Les français, avec la ferme intention de révolutionner le Monde et ses embarras devant d’incessantes conversions, tiennent à offrir à la planète des étalons indiscutables et consensuels. Aussi, les grandes nations sont-elles contactées. Le projet intéresse de nombreux pays dont l’Espagne, « l’Allemagne », les USA et l’Angleterre,…

Nous fréquentons ainsi, aussi bien Jefferson que Louis XVI, Mills, Taylerand, Condorcet, et bien d’autres. Les hommes politiques ou assimilés ne sont pas les seuls à participer à cette mission d’intérêt supra-national, les scientifiques sont aux premières loges. Et il est fort agréable de côtoyer, les astronomes d’alors Bailly, Delambre, Méchain, mais aussi Lavoisier, Lagrange, Laplace,…

Cependant, nombre d’entre eux ne verrons pas de fracassantes avancées, ni une quelconque entente, la tête leur faisant défaut bien avant l’achèvement des travaux.

L’Histoire façon poupées russes

L’histoire du système métrique connait de très nombreux rebondissements, sans doute liés en partie à la période mouvementée de cette fin du XVII° siècle. Mais, l’agitation française n’apparaît pas la seule en cause dans les différents atermoiements qui ont retardé l’éclosion des poids et mesures actuels. Le nouvel étalon, à vocation universelle, est une affaire éminemment politique, c’est pour cela que son élaboration exige la participation de scientifiques et de politiques.

Les tractations expliquent une partie des changement de positions des uns et des autres. Parfois, il s’agit simplement d’une largesse octroyée à un allié (état ou personnage). Bien souvent, la question de son intangibilité, de sa conservation, et de sa « souveraineté » expliquent les changements d’une piste à l’autre. Trop souvent, ce fut l’Histoire qui contraria  la mise bas, avec des mises à l’index, à l’écart, à mort….

Dans tous les cas, Denis Guedj parvient à dresser l’histoire du mètre de manière passionnante, intelligente avec une touche d’humour et de dérision qui me convient tout à fait!

« Et Paris qui bat la mesure
Paris qui mesure notre émoi
Et Paris qui bat la mesure
Laisse enfin éclater sa joie.« 

Le système métrique est devenu obligatoire le 1° janvier 1840.

Définition du mètre : Longueur du trajet parcourue dans le vide par la lumière pendant 1/299 792 458 seconde. (1983)

Un essai passionnant qui se lit comme un roman.

Ce livre est pour vous si :
  • vous êtes curieux quant aux petites choses qui vont de soi
  • Vous aimez lire de temps à autre un essai
je vous le déconseille si :
  • Vous ne lisez que de la fiction.
  • Vous préférez vos livres de mathématiques
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25 réflexions sur “Le Mètre du Monde – Denis Guedj

  1. J’ai lu (dans une autre époque !) Le théorème du perroquet et j’avais adoré le style de l’auteur, sa façon de communiquer, de transmettre son savoir. C’était intelligent et pas prise de tête.
    Cette histoire de mètre a l’air d’être dans la même veine. Tentant !

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  2. Oh chouette ! Je n’ai pas été follement emballée par le Théorème du perroquet parce que je trouvais que les maths étaient un peu « prétexte » au milieu de l’histoire (et qu’il n’apprend pas grand chose à ceux qui sont déjà familiers des maths 🙂 ). Mais c’était sympa à lire hein, juste pas fait pour moi ! Faut que je sorte bientôt une sélection de bouquins qui parlent de maths d’ailleurs, j’en ai de très sympa en stock 😉
    En tout cas, cet essai a l’air bien sympa et j’ai déjà appris des choses en lisant ta chronique !

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  3. Comment mesurer l’envie que tu donnes à lire ce bouquin ?
    Ma mesure : si un lecteur vérifie que le livre existe en numérique, l’envie est au max.
    Si un lecteur vérifie si un deuxième titre existe en numérique, l’envie est au max plus.
    Je me rabats donc sur le perroquet numérique.

    Aimé par 1 personne

    • LOL!
      Tu aurais alors pu l’offrir.
      La dernière fois qu’il m’est arrivé un truc comme cela, je l’ai acheté et c’est en commençant que je me suis aperçue que je l’avais déjà lu…
      Récemment, j’ai cherché partout un bouquin, fouiller mes bibliothéques, la voiture, téléphoné à ma mère, toutes pièces de la maison y sont passées. Et j’arrivais à la conclusion que j’avais perdu un livre!!! Perdre un livre, chez soi!!
      Et après, je me suis rappelé que je l’avais en fait en numérique. 🙂

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