Les étoiles sont légion – Kameron Hurley

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  • Nucléaire Bactériologique Chimique

Les étoiles sont Légion est sans aucun doute un roman qui possède tous les atouts pour être clivant. Le parti-pris  -tant au niveau de l’ambiance, de la narration que du contexte – de Kameron Hurley est franchement affirmé et assumé. Simplement, ce qu’elle nous propose ne plaira pas forcément à tous les lecteurs, en raison soit de cette ambiance glauque et dégoulinante, des personnages vraiment marqués soit d’un  message délivré au bulldozer, labyrinthe narratif inclus.

Personnellement, le potentiel pour me séduire est bien présent, mais j’en ressors un tantinet mitigée, sentiment lié à des attentes « contrariées ».

Légion sont les Vaisseaux-Mondes

La Légion regroupe tout simplement les Vaisseaux-Mondes orbitant autour d’une étoile orangée, elle-même noyée dans une brume.  Il m’a fallut un poil de temps, au début, pour comprendre qu’il s’agissait d’une nébuleuse (ben oui, cela arrive…). Ainsi, est-il plus aisé de se représenter la taille de ces sphères, proches d’une lune plutôt que d’un gros bâtiment spatial. Leur grande particularité, outre leur taille, est leur composition presque intégralement organique. Ils contiennent quelques parties métalliques, tellement  minimes qu’elles en deviennent  insignifiantes.

Qui dit organique, dit matière vivante. Aussi, nos vaisseaux-mondes abritent-ils la vie au sein de leurs entrailles. Un parallèle avec des mères (tout type de mammifères inclus) est possible avec les descriptions faites, le fonctionnement de l’ensemble.  Et comme tout être maternel, ils sont eux-même vivants; fonctionnant sur une base métabolique, ils sont capables de se régénérer seuls, ou de cicatriser avec les soins adéquats. Corrélativement ils peuvent être profondément blessés, leur enveloppe déchirée, voire attaquée par un cancer agressif. Cela suinte, cela coule  et s’agite.

J’ai même en les découvrant, été bluffée et l’opération séduction de ce côté a fonctionné. Malgré leur taille titanesque, ils apparaissent familiers et protecteurs, défendant ses « habitants » telle la lionne sa progéniture. A la fois maternel et vaisseau de guerre, ils incarnent parfaitement cette fonction primordiale de la femme (encore une fois, toute mammifère confondue).

Et paradoxalement avec leur taille monstrueuse, ils font penser à l’infiniment petit quand on y prête attention. Si proche du système immunitaire, avec leur fonction de recyclage et de défense rapprochée. Cette capacité à phagocyter les intrus, les déchets et les ressources vitales s’en rapproche étonnamment. Pour moi, ils sont la matrice de la vie de cet univers, et l’illustrent sous toutes ses formes.

Avec leur tentacules, la présence de liquides, lubrifiants, glaires, lésions, boursoufflures, matières molles, et dures, ils peuvent faire penser à des créatures dignes de Lovecraft, et devraient pouvoir séduire les amateurs de cet écrivain. En revanche, si les ambiances un peu poisseuses ne vous emballent pas sachez, que tout est organique dans cet univers, même les moyens de transport. C’est d’ailleurs une rencontre assez symbolique avec un de ces engins tout choupinet qui les rend sympathiques. Mais, nous sommes loin de la voiture colorée et joyeuse de oui-oui. Ils sont certes colorés, mais les fluides qui pèguent ou qui dégoulinent ne donnent pas envie de les embrasser ou bien de les enfourcher…

Vous aurez compris que l’univers et l’ambiance ne fait pas dans la dentelle et la flagrance florale. Nous sommes totalement dans le corporel, avec des odeurs plus musquées, des choses gluantes, et parfois des détours un peu sales et glauques. En opposition avec les  space-opéras si épurés et techniques habituels

Un récit aux trames à dégommer à la machette (et affûtée s’il vous plaît)

Toutefois, il y a un vaisseau-monde qui se démarque : La Mokshi provient de la nébuleuse. Un mystère qui met sur la défensive et provoque suspicion et concupiscence des autres sphères car rien ne s’extrait de la brume. Normalement. Nous avons vu que tous les autres vaisseaux-mondes orbitent autour de l’étoile depuis mémoire de femme.

Ainsi, deux puissantes civilisations (d’amazones?), les Katazyrna et les Bhavaja, s’affrontent et tentent inlassablement de s’emparer de la Mokshi. Ces premiers combats sont crispants et tendus. Notre personnage central est cerné et dépassé par l’adversité, sa vie ne tient qu’à un fil une tentacule. Le lecteur est conscient d’assister à un affrontement parmi  les innombrables affrontements qui ont déjà eu lieu.  Le désastre final pour Zan n’est qu’une inlassable redite et sa mort potentielle est loin d’être une vague possibilité… qui de fait se trouverait recyclée… Dès lors, il est difficile de savoir si Zan s’en sortira – ou pas. Le suspens est parfaitement maintenu.

Cependant avouons que sur un plan purement stratégique, à moins d’être à la fois couillu et  timbré- ou d’avoir des ressources disproportionnées,  une guerre de longue haleine sur deux fronts à la fois n’est pas la plus brillante idée, militairement parlant…. Les probabilités de réussites sont à l’image d’un hérisson famélique s’engageant dans la traversée de la Manche. Mince.

Aussi, les chefs des familles Katazyrna et Bhavaja décident-elles d’une trêve pour se donner une chance de défaire la Mokshi. L’idée a subrepticement été plantée dans l’esprit d’Anat – la mère et la Seigneur de guerre des Kat, par Jayd et Zan. Toutes les deux ont un plan pour renverser l’ordre immuable des choses, et proposer un autre avenir. Le lecteur aura grand mal à suivre si la lecture du roman se fait par petits bouts ou sans réelle attention. C’est tortueux, alambiqué, empli de fausses-pistes, de sans-issues, de chausse-trappes et de pièges. Un peu trop peut-être car, la trame aurait gagné en efficacité avec davantage de simplicité.

Des personnages qui ne laissent pas indifférents

En effet, les personnages sont assez puissants et eux-même bien frappa-dingues pour plaire aux amateurs de sinusoïdales, de chemins détournés, de voix fourbes,  de psychés serpentant d’un excès à un autre, de personnages retors, de femmes dures et inflexibles,…

A cela s’ajoute la protagoniste phare, Zan qui s’avère amnésique. Un procédé narratif commode et fréquemment utilisé pour permettre une bonne immersion et la découverte ‘naturelle  » de l’univers ainsi que des tenants et des aboutissants de l’intrigue en sa compagnie. Simple et efficace, cela fonctionne parfaitement avec moi, et l’empathie joue ainsi son plein.

Zan est notre Rambo féminin, un génie du combat tandis que Jyad est l’éminence grise, qui, dans l’ombre, tire subtilement les ficelles dans un sens ou dans l’autre. Toutes les deux ont mis un plan en place. Forcément, leur projet ne va pas se dérouler de la façon prévue. Ce serait encore une fois trop simple… mais, elles parviendront peut-être à leurs fins par une voie plus tortueuse?….

Au cas ou vous ne l’auriez pas remarqué, je ne parle pas d’homme jusqu’ici. Les seuls « ils », je les ai réservé aux vaisseaux-mondes et aux moyens de transports. Il n’y a que des femmes dans cet univers. Qu’elles soient chefs, combattantes, chair à canon, sorcières, matrices, pièces d’ustensiles, … Nous les découvrons sous toutes les formes, dans toutes les conditions…

Un message tracé dans cette jungle organique au bulldozer, façon XXL

Le livre est présenté comme un roman féministe engagé. J’ai donc fait ma lecture avec cette attente spécifique, et mon ressenti découle de cette position initiale. Mais, la perception des récits peuvent mûrir doucement dans votre esprit (quand il y a de la qualité ou de la matière à la réflexion), c’est le cas présent.

Les thématiques sont clairement exprimées. Ce n’est pas du tout tortueux pour le coup, et Kameron Hurley ne s’embarrasse pas de subtilités, elle délivre ses messages à coup de bulldozer : la condition de la femme et la merde des strates sociales (ainsi que la difficulté de s’extraire du tas de fumier).

J’avoue que je ne suis pas fan de cette méthode. Le féminisme qui cherche à mettre sur un pied d’égalité homme femme sur la base de la vulgarité, la force, et la voix qui claque ne me fait pas fantasmer. Je préfère un roman dans lequel homme et femme se côtoient et que le message passe avec plus de finesse. J’ai par exemple adoré Chroniques du Pays des mères de Vonarburg qui, dans le registre, fait preuve de brio. Il est préférable que l’auteur se base en terme de compétence, d’intelligences et d’émotion plutôt qu’en pets, rôts et bras de fer. J’exagère pour Les étoiles sont Légion de Kameron Hurley, je le sais, mais au final, le décalage au regard de mes attentes m’a bloquée dans l’appréciation finale du roman.

Cependant, en lisant vierge  Les étoiles sont Légion de Kameron Hurley de toutes attentes ou de toutes idées préconçues, je me demande quel aurait été mon ressenti final. En effet, le roman n’est en somme féministe que par nature,  dans sa mise en avant de la femme, et ce n’est sans doute pas lui rendre service de l’étiqueter dans un registre qui ne lui convient pas tout à fait.

Le Vaisseau-monde n’est sans doute pas une nouveauté dans la SF. En revanche, Kameron Hurley nous en offre une version organique qui met en valeur la vie et surtout les femmes, le tout avec vitalité et passion. La trame convie le lecteur dans un récit glauque, alors que les protagonistes s’affrontent dans un combat sans merci. Les suintement divers et le message martelé sans fard pourrait intimider les constitutions délicates… Pour quelque chose d’inhabituel, c’est inhabituel. Je ne suis pas certaine que ce soit au goût de tous.

 

Ce livre est pour vous si :
  • vous savourez les romans aux ambiances glauques
  • vous souhaitez lire un roman peu courant
  • vous aimez les trames alambiqués
je vous le déconseille si :
  • Vous êtes misogyne, et même misanthrope…
  • Vous ne supportez pas les excrétions biologiques
  • Si vous souhaitez lire de la SF qui apporte des réponses
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36 réflexions sur “Les étoiles sont légion – Kameron Hurley

    • Il est loin d’être mauvais mais il faut savoir ce que l’on en attend vraiment. Faut pas aller du côté féministe, c’est tout et le prendre tel qu’il est sans arrières-pensées. Mon tort ici.

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  1. Très jolie critique, même si tu t’en doutes, je ne suis pas tout à fait d’accord avec les réserves que tu exprimes. Je fais partie des convaincus. De mon point de vue, il y a une confusion sur ce que ce livre est ou n’est pas, ce qu’il dit ou ne dit pas. Lorsque tu dis « Le féminisme qui cherche à mettre sur un pied d’égalité homme femme… », pour moi ce n’est pas du tout le sujet du livre. Kameron Hurley a écrit un livre sur le rapport au corps, au corps féminin, à la maternité, à la maladie, à la chair. Corps qu’elle transforme en univers. C’est un livre qui me semble très personnel. Le féminisme de ce livre n’est pas dans un discours de revendication, il est dans le fait qu’il donne à lire une voix qui n’existait pas avant lui (en tout cas que je n’vais jamais lue). Une voix de femme qui parle d’un corps de femme, de ses forces et faiblesses, de sa biologie, et des combats. Il n’y a pas d’homme dans ce livre, non pas pour montrer que les femmes peuvent être fortes sans les hommes, ce n’est pas le propos, mais simplement parce qu’ils n’ont rien à y faire. Ce n’est ni leur monde, ni leur histoire, ni leur corps. Ni plus ni moins. Enfin, c’est mon interprétation du livre.

    Aimé par 2 personnes

    • Ayant lu les diverses chroniques, je savais que l’univers ne contenait pas ses propres réponses et que la trame était complexe. Cela n’a pas été un pb dans l’appréciation, comme tu peux le lire, j’ai même adoré cet univers organique. De même, j’ai vraiment vu, senti et apprécié ces mondes si proches d’un corps humain. Je le note dans ma chronique. J’ai été sur le point de dire que l’ensemble de ces vaisseaux-mondes dans leur globalité me faisait penser à un corps vu de très près.

      Tu as sans doute raison sur l’interpréation que je fais du livre. Et effectivement, l’aspect combat féministe ne m’aurait pas été vendu dans le packaging, mon appréciation finale aurait sans doute été différente, car cet ce point qui m’a agcée justement.

      Je suis d’accord avec toi, l’homme n’avait rien à faire dans l’histoire.

      Il faut un peu rectifier la façon de le présenter. J’aime beaucoup ton commentaire car, je le perçoit de manière plus nuancée.

      Aimé par 1 personne

    • en fait, cet un soucis d’appréciation en rapport avec les attentes. Je pense que nous 3 nous attendions à un message féministe dans un veine assez large et « presque » calibrée.

      Or cet étrange et ce n’est pas du tout le filon à exploiter pour le présenter aux lecteurs.

      Le message est féministe pas par accident mais en conséquence. Je ne sais pas si je suis claire. Bref, tu peux le lire mais sans attendre de message féministe, dis-toi juste que le livre parle de la femme. Point. Il ne faut pas en fait rechercher de revendication, et il est féministe par « nature » car le livre parle des femmes.
      Mais comme je ne l’ai pas lu en sachant cela ma perception a été fausser, et ce n’est qu’une analyse postérieure qui me le fait apparaître. Une deuxième lecture – si j’avais le temps – nuancerait sans doute mon opinion.

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