L’éducation de Stony Mayhall – Daryl Gregory

La substantifique moelle du Zombie

Le Bélial

 

J’achève cette incursion dans les univers des mort-vivants avec un morceau de choix : L’éducation de Stony Mayhall de Daryl Gregory. Présentement, il ne s’agit pas d’un énième roman survivaliste à la « vibe » zombie, rejouant inlassablement le thème de la pandémie, agitant le spectre de la fin du monde et régalant le lecteur à grandes giclées d’hémoglobine. L’ensemble de ces ingrédients ne sont pourtant pas absent du cocktail servi par l’auteur, mais le tout est écrit avec un telle finesse et délivré dans une histoire si différente que j’en suis restée toute ébahie.

« Stony a trois sœurs : Alice, Chelsea, Junie. Et sa mère Wanda, qui l’aime plus que tout. Sans oublier Kwang, son copain de toujours, persuadé que Stony possède un superpouvoir. Parce que Stony est insensible aux flèches que son ami lui plante dans le ventre histoire de rigoler… Il faut dire que Stony ne respire pas. Ne mange pas vraiment. Ne dort jamais. Et pourtant il grandit. Stony ignore ce qu’il est. Il n’a pas pris la mesure de son réel pouvoir. Ça viendra. Reste une interrogation : y en a-t-il d’autres comme lui ? La réponse à cette question emportera tout dans son sillage. »

Le zombie est un met délicat à assaisonner

Je répète régulièrement que l’exercice du roman zombiesque est délicat, qu’il présente tous les chausses-trappes imaginables pour un plantage de tout beauté. Se renouveler est une gageure sérieuse, les essais sont nombreux et surfent sur une veine écarlate de plantage blafard en foutages de gueule à peine dissimulés. Il y a quelques mentions honorables qui parviennent à se tirer d’affaire en mixant les registres (Toxic de Desienne) ou en jouant la carte pandémie à fond (Le virus Morning Star de Retch). Mais comme dans le cas du vampire, il y a une tendance à dénaturer la bête pour la rendre si ce n’est comestible au moins domestiquée.

Ainsi, notre mort-vivant perd toute sa saveur et à l’image de Twilligth, filerait le cafard et non plus le frisson avec des êtres diaphanes, complétement lyophilisés, sans le moindre peps ou suc à sucer, devenant finalement de pâles ectoplasmes qui ficheraient même pas la frousse à une araignée neurasthénique…

Enfin, l’exercice est vraiment casse-gueule, et sans doute davantage encore avec le mort-vivant nauséabond et écervelé, l’estomac sur patte par essence (et ce n’est pas de Gargantua dont je parle), le zombie.

Pourtant, Daryl Gregory s’en tire avec brio, en renouvelant les ressorts dramatiques du genre, et, chose que généralement n’apprécie pas outre mesure, en modifiant les codes du fameux zombie. Mais quand elle est réalisée avec une telle intelligence, il faut s’abstenir de rester camper sur ses positions.

Un zombie au plus-que-parfait

Vous aurez compris que je fais référence à Stony Mayhall. L’éditeur ne fait pas mystère de sa nature dans son résumé. En effet, Stony ne respire pas, est insensible et grandit…

Dès son origine, il est particulier et énigmatique. Recueilli juste après l’accouchement de sa mère, mordue par un zombie, il n’a pas achevé totalement sa transformation et présente de fait des caractéristiques uniques. Sa mère adoptive s’attache à cet être sans battement de cœur, certes, mais non dénué d’une étincelle de vie. Elle le cache; ainsi très peu de voisins et de gens connaissent son existence. Quelque peu isolé, il grandit entouré d’une fratrie dans le secret (avec plus exactement des sœurs), d’amour et dans une amitié indéfectible.

L’enfance de Stony est heureuse et pleine complicité, malgré un sentiment d’isolement croissant ainsi qu’une soif d’aventure et d’exploration de plus en plus tenace. Il s’aperçoit également qu’il n’est pas comme son ami Kwang ou ses sœurs. Il ne se nourrit pas de la même manière, et ses blessures se « soignent » avec du fil et une aiguille… Dans un premier temps, les lectures suffisent à combler ses divers appétits, puis la construction de sa forteresse de solitude fait office d’exutoire, mais l’adolescence passant, cette réclusion lui pèse et garder le secret devient de plus en plus difficile.

D’ailleurs, la menace zombie est bien réelle à l’extérieur de cette petite ferme….

Des zombies à réaction

Daryl Gregory ne joue pas simplement sur la corde de l’émotion et de la sensibilité. Toute sa partie sur l’enfance de Stony ne prend pas énormément de place dans le roman. Et même si le lecteur est très vite happé dans cet univers qui se resserre à chaque scène vers le huit-clos, rendant la sensation d’inéluctable et de drame de plus en plus prégnante, l’auteur ne s’éternise pas sur ces passages tendres et nostalgique.

Le besoin de liberté s’impose, Stony a besoin de rencontrer des gens différents, comme lui. Une chance, les zombies existent et présentent un comportement un peu différent du mythe habituel. Il y a deux phases : une violente qui pousse ces créatures à la gloutonnerie, et l’autre qui surgit une fois la précédente achevé. Une certaine lucidité éclaire les esprits nébuleux, mais impossible pour eux de vivre au sein des populations humaines. Ces marginaux se cachent,  eux aussi.

Pour les purs amateurs du genre, rassurez-vous, il y a matière à avoir les frissons, avec quelques scènes qui marqueront largement votre imaginaire, qui vous filerons les frissons d’angoisse tant recherchés. La différence – de taille – se situe dans une sensation paradoxale : les zombies gardent leur potentiel létal, concourant à teinter quelques pages en écarlate, et vous ressentirait les émotions classiques tout en ayant une forte empathie pour Stony, zombie de son état.

Un roman à multiples facettes

Nous sommes loin des romans survivalistes classiques, et encore plus des textes binaires offrant juste du frisson. Le personnage de Stony y veille. Écrit tout en sensibilité, les émotion à la surface de l’épiderme, ce mort-vivant a de quoi vous émouvoir tant le panel de ses tourments intérieurs et extérieurs vous touchent. Au-delà du protagoniste principal, c’est toute une galerie de figures tout aussi bien réussies dans leur construction qui maintient l’équilibre et conserve la justesse de ton.

La pandémie ayant failli être fatale aux survivants, les zombies sont des personnae non grata. Ils sont chassés à travers le territoire, et certains sont enfermés à des fin d’études. Ce n’est pas pour autant que la menace a disparu. En alternant sur ces deux extrémités, Daryl Gregory nous offre un roman vraiment vivant, rythmé par les événements sans que nous soyons dans un pur texte d’action. Mais il est assez surprenant de « prendre parti » parfois pour les uns, parfois pour les autres, en raison des conséquences drastiques inévitables.

Ainsi, le lecteur n’est-il pas enfourné dans un simple modus opérandi : tous contre les zombie. Les situations y étant plus complexes et diverses, il doit faire une gymnastique intellectuelle et de cœur, acceptant les points de vue différents. Finalement, comme dans notre existence IRL, il n’y pas de Vérité.

L’éducation de Stony Mayhall de Daryl Gregory s’affiche comme un roman référence sur l’univers zombie. Empreint d’une infinie tendresse, il présente une créature fine et intelligence, se débattant dans une société sourde à sa clairvoyance et à ses motivations.  Et, en conservant la menace zombie bien vivante, l’auteur propose un roman subtil et complexe dans lequel le lecteur ne fonce pas tête baissée vers le mot « fin ». L’élégance de l’écriture vient parfaire l’édifice, et je me suis régalée d’un bout en bout.

La couverture d’Aurélien Police rend justice à ce petit bijou, tout comme la traduction de Laurent Philibert-Caillat.

Ce livre est pour vous si :
  • vous savourez les récits
  • vous aimez lire les romans zombie
  • vous voulez découvrir un registre plus nuancé
je vous le déconseille si :
  • Vous êtes une véritable madeleine et vous souhaitez faire des économies de mouchoirs
  • Vous n’êtes amateur de créatures mort-vivantes
  • Si cherchez un roman violent d’un bout à l’autre
Autres critiques :

 

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35 réflexions sur “L’éducation de Stony Mayhall – Daryl Gregory

  1. Bien qu’à la publication de ce roman, le point narratif issu du zombie était encore une nouveauté, quand je l’ai lu cette année, j’ai été agréablement surprise et c’est sans doute le protagoniste qui m’a le plus convaincue. J’ai aimé le voir grandir, avec cette envie de s’ouvrir au monde et de liberté bien sûr. Tu l’écris très bien : c’est intéressant de se balader dans une histoire qui ne se focalise pas sur « tous contre les zombies ».

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  2. Voilà une bien belle chronique qui rend hommage à ce subtil roman « zombiesque » (bah si, ça existe, la preuve ^^). Bien loin des stéréotypes habituels, il donne aussi à réfléchir sur la tolérance et la stigmatisation. J’ai beaucoup aimé quoi !

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