Chanur – Carolyn J. Cherryh

L’orgueil de Chanur

Les Nouveaux Millénaires

Malgré un patronyme qui destinerait à une carrière dans une veine plus sucrée, Carolyn J. Cherryh a choisi la littérature de l’imaginaire. Pendant de nombreuses années, elle s’est retranchée derrière les initiales de ses prénoms pour être prise davantage au sérieux dans un univers encore fortement masculin.

Depuis que je tiens ce blog, vous aurez noté mon admiration pour cet auteur, dont les textes riches  – parfois bien denses – et profonds illustrent avec brio l’intérêt de la science-fiction.

Chanur est l’œuvre que je trouve la plus abordable dans sa bibliographie SF (bien que je n’en ai pas encore lu l’intégralité) de l’américaine, sans que cela signifie qu’elle soit moins réussie.

Les Nouveaux Millénaires nous font le plaisir de ré-éditer les romans regroupés en deux intégrales, avec un traduction révisée de Pierre-Paul Durastanti.

La première intégrale est composée des trois premiers romans du cycle qui en comporte cinq en tout et pour tout. Stop! Ne fuyez pas!

Ce ne sont pas des pavés, puisque que ils comptent environ 300 pages en moyenne, alors on reste calme et on note bien de se le procurer au plus tôt.

Et il faut souligner le bien fou que fait cette traduction ainsi que  la couverture plus digne de l’œuvre de Cherryh qui remplace l’enfantine (c’est parce que je suis gentille) illustration précédente avec ses drôles de peluches…

Un univers impitoyable

Le roman a été publié en 1982, novateur à cette période, il a conservé toute sa pertinence et sa saveur. Cependant, le signaler permet de prendre en compte le contexte d’alors et le côté précurseur assez savoureux, et qui est loin d’être dépassé de nos jours.

Les événements qui vont nous intéresser débutent à la station spatiale La Jonction, la bien-nommée. La poésie n’étant pas le fort des parties en présence, le pragmatisme a prévalu en la matière. La station se situe au carrefour des territoires  espaces de différentes espèces : les Hanis, les mahendos, les kifs, les stsho, les teas, les chis et enfin les knnn. Quelques-uns ont une vague forme humanoïde, d’autres sont simplement bipèdes, et pour finir, les autres ne sont rien de cela.

Chez Cherryh, une race navigatrice n’est pas forcément humaine. D’ailleurs, je ne les ai pas cité : ils ne sont pas présents.

Nos amis aliens sont différents les uns des autres biologiquement, ainsi, la station était-elle séparée en zones pour les amateurs d’oxygénés, ceux qui préfèrent le méthane ou bien d’autres gaz encore. Pour visiter un ami stsho il faudra prévoir le matériel adéquat.

Psychologiquement, les différences se transforment en gouffres; et les hanis, par exemple, entretiennent des relations tendues avec les kifs. En fait, tous ont des relations tendues avec les kifs… sauf peut-être les knnn, mais bien heureux qui parvient à tirer une déclaration claire de ces énigmatiques extra-terrestres.

Le tableau est brossé, le roman étant assez court (300 pages), il y a peu de place pour des développements d’envergure consacrés à chacun d’entre eux. Nous aurons surtout le loisir de côtoyer les hanis, les kifs et les mahendos.

L’orgueil de Chanur

Le titre original du roman est The pride of Chanur (L’orgeuil de Chanur) qui me semble particulièrement adapté. Chanur est délicat a définir. C’est à la fois une famille, une tribu, une meute et encore une dynastie. Une famille car les membres de cette association sont liés par des liens de sang; une tribu car cette assemblée est dirigée par un chef; une dynastie car Chanur doit passer avant tout, il y a des intérêts économiques  conséquents et un renom à préserver.

Enfin, Chanur est également une meute. Et sans doute un tour de force de Cherryh de réussir à rendre ces E.T. félins aussi crédibles. Elle s’est inspirée des lions pour créer les Hanis, race fière, belliqueuse et bornée. Ainsi, l’apparence physique est-elle féline, bipède certes, mais sans anthropomorphisme. En effet, le tempérament est loin d’être similaire à l’homme. En cela, je la rapproche beaucoup de qu’a pu écrire Poul Anderson lorsqu’il nous fait voyager dans la galaxie à la découverte d’autres civilisations que le soit avec Van Rijn (La Hanse Galactique) ou Flandry (L’Empire terrien).

La meute passe avant tout! TOUT!

Cet esprit caractéristique se trouve ancré dans les individus que nous allons rencontrés, et les choix qui seront fait le seront avec cette priorité clairement établie. C’est si instinctif, que cela tortille la tuyauterie du lecteur, témoin des décisions malencontreuses…

Les lionnes s’occupent de la chasse et de la protection de la meute sur notre Terre, il en va de même avec les hanis. La corrélation qui en découle est logique : les équipages des vaisseaux sont exclusivement composés de femelles.

Le titre est parfaitement adapté au roman car il reflète la personnalité du peuple Hani, et de Chanur en particulier, en illustrant toutes les nuances et les conséquences associées au terme « orgueil » qui véhicule aussi bien des notions positives que négatives. Les deux auront leurs répercussions sur l’histoire qui va vous occuper – avec passion. Hors de question de laisser filtrer des ressorts de l’histoire, donc, je ne vais pas développer plus avant la personnalité des Hanis, et vous laisser découvrir par vous-même.

L’orgueil de Chanur est également le nom d’un vaisseau de la flotte de la maison Chanur. A sa tête, Pyanfar Chanur (évidemment) dirige l’équipage d’une patte de fer enrobée de fourrure (aussi doux que du velours, enfin, je pense). Mais très vite, Pyanfar et Chanur ne feront qu’un dans votre tête. Elle en est l’esprit (n’oubliez pas l’équipage est féminin!).

Mais avec un tel tempérament, comment dire… les ennuis peuvent être assez conséquents.

Un intrigue pleine de roublardise

Ainsi, tout commence à la station La Jonction au carrefour des civilisations (sauf humaines). Pyanfar y fait escale pour affaires; sur le point de repartir, un passager clandestin se faufile à bord. Or, celui-ci est poursuivi par les redoutables et impitoyables kifs qui veulent le récupérer coûte que coût. Pyanfar Chanur ne peut pas les sentir, et ceci explique sans doute partiellement la raison qui la pousse à refuser la livraison du fuyard à ses (légitimes?) barbares. Après tout, elle n’a fait qu’entrapercevoir une ombre… (C’est si facile de se convaincre).

Sans le savoir, elle a dégoupillé une grenade de taille gigantesque et à partir de ce moment tout part en vrille. Les kifs sont remontés comme des pendules ambulantes, et n’hésitent pas abattre les vaisseaux Hanis, sans distinction appartenance (ce qui va en conséquence, engendrer la furie d’autres familles/meutes hanis…). La fuite est la seule issue, et s’ensuit une partie de cache-cache et de poker menteur aux mises chargées d’adrénaline.

Pour Pyanfar et son équipage, la surprise est de taille : la bestiole pour laquelle une guerre vient d’éclater est dénuée de poil, semble stupide et fragile. Elle est complétement prostrée….

Quelle richesse en si peu de pages!

L’ironie est assez mordante quand nous découvrons que la princesse en détresse s’avère être de sexe masculin…

Outre, une intrigue menée tambour battant, le fond démontre qu’il est parfaitement possible d’allier réflexion et fun. Carolyn Cherryh aborde aussi bien la question de l’égalité (notamment en renversant la position de détresse), le langage, la remise en question, l’ouverture,…

J’ai vraiment apprécié tout le jeu relatif à la communication. Faire connaitre ses besoins vitaux n’est pas si difficile, en revanche, les concepts abstraits…. Et puis quel tour de force cette meute/famile/tribu/dynastie!! Et pour la précision, il n’y a pas de harem de femelles (ni d’histoire d’amour, même pas inter-raciale).

Un petit mot sur l’édition

Bien que je ne sois pas fan de la couverture, elle est nettement plus adaptée que la précédente. J’avais lu Chanur il y a quelques années, et j’avais déjà aimé le texte, la nouvelle traduction le modernise et surtout le dynamise avec bonheur. Cette vitalité nouvelle lui donne une autre saveur, et rend justice au talent de Carolyn J. Cherryh. Merci M Durastanti!

Chanur est le premier roman d’une courte sag,; très accessible, intelligente et pleine de fun. Fond et forme sont au diapason pour un récit qui vous fera voyager et vous éclater. Le texte est un point d’entrée incontournable à l’œuvre de Carolyn J. Cherryh, un auteur bien trop ignorée dans notre contrée. A lire!

Ce livre est pour vous si :
  • vous savourez les romans sur le fil
  • vous aimez les personnages bien charpentés
  • vous demandez à changer d’univers
je vous le déconseille si :
  • Vous êtes allergiques aux poils de chat
  • Vous n’aimez pas le space opera, même intelligent
  • Pour vous les femmes, c’est à la cuisine
Autres critiques :

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28 réflexions sur “Chanur – Carolyn J. Cherryh

  1. Tiens d’ailleurs ta chronique tombe au bon moment.
    J’avais posé la question sur le serveur Discord si quelqu’un pouvait me recommander par quelle série (SF) de Cherryh commencer 🙂

    Maintenant j’ai un peu plus idée de ce à quoi ressemble celle ci. Elle était la dernière de ma liste avec Compagny Wars (dont on avait déjà parlé ici) et Foreigner (qui a l’air d’avoir une fan base très importante outre atlantique, vu les avis sur goodreads et le fait qu’elle continue toujours maintenant 24 ans après le premier, même si en VF ils n’ont pas même pas terminé de traduire la premier trilogie, donc ça n’a pas du marcher)

    D’ailleurs j’avais entendu parlé qu’en fait elle écrivait depuis très longtemps en collaboration avec sa compagne (qu’elle a épousé en 2014) Jane Fancher mais que son nom n’avait jamais été mis sur ses livres (en dehors du tout dernier qui sort cette année).
    Ça me fait un peu penser au couple Eddings tout ça.

    Bref, belle chronique ! J’ai l’ancienne version dans ma bibliothèque (des livres de mon père) du coup j’hésite à racheter un grand format. Au pire je pense que je finirais par les prendre en Vo, ça sera peut être moins cher.

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    • Voilà, j’ai répondu à ta question.
      Je te la recommande chaudement celle-ci, car connaissant tes goûts en matière de space-op, je sais que c’est parfaitement calibré pour toi.

      Ensuite, le début est nettement plus acessible que Compagny war qui a tout un premier chapitre à faire tomber les pupilles, et the foreigner qui n’a vu qu’un seul tome. Là, c’est complet.

      Je ne sais pas si l’on peut dire que Carolyn et Jane écrivent à 4 mains. Je sais qu’elle participe activement, mais j’avais l’impression qu’il s’agissait davantage de construction, de béta lectures, ect… Mais comme ma Cherryh reste assez vague sur le sujet, je n’ai aucune info fiable.

      Grand format, sans discuter, la traduction vitalise et modernise le texte énormément. Et dans l’autre version, il y a des contre-sens….

      Heu, moins cher ? les 3 romans à 15€, c’est quand même pas mal.

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      • En numérique ils sont à 2€50 le tome en VO, et même si 15€ c’est un bon prix pour un livre qui vient de sortir, j’avoue que je préfère tout de même payer la moitié x)

        Enfin on verra, de toute façon je ne suis pas sure de commencer par celle ci pour l’instant (même si c’est totalement mon style), je ne sais pas pourquoi mais les couvertures VO de Foreigner me font de l’œil depuis quelques temps, je ne suis pas loin de craquer (je sais, c’est un critère assez faible les couvertures pour juger d’un livre mais bon xD), du coup celui ci aura le temps de baisser j’espère (en VF).

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  2. Tiens, je me rappelle des couvertures de l’époque avec les « hommes lions », je me demandais vraiment c’était quoi ce drôle de livre. J’avais lu les critiques mais sans plus quoi. Ton article donne une toute nouvelle dimension à la chose. Ma vision sera à revoir. Si en plus c’est du space Opera accessible, why not after all comme on dit.
    Merci pour ce retour de lecture !

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  3. Il m’a l’air vraiment sympa!!!!
    Merci pour cette découverte!
    A chaque fois, que je passe chez toi, je note pleins d’idées lectures SF.
    Une relecture!!!!!Quelle belle idée…Et quand est -il de ton impression d’avant-après? Tu l’as aimé autant? plus? différemment?
    Des bisous féeriques….<3

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    • Très sympa.

      Ma lecture après est différente, je savasi ce qui allait se passer. En revanche, j’ai trouvé cela moins « vintage » avec la traduction. La première fois, je l’avais lu il y a une bonne dizaine d’année, alors la comparaison est délicate.

      Plein de bisous lutinesques.

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  4. J’avais il y a quelques temps posé la question de romans sans humains. Celui ci me semble tout indiqué. Jamais lu de cette auteure, donc pourquoi pas. Cependant, il y a un je ne sais quoi qui me dit que ce n’est peut être pas tout à fait pour moi. Bref, l’avenir nous le dira. Mais merci pour la découverte

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  5. Comme ma bibliothèque déborde déjà et que mon porte-monnaie fait grise mine, je vais plutôt m’occuper d’attaquer mes autres tomes (vieille édition à couv kitsh ^^). J’avais adoré le premier tome (raison pour laquelle j’avais chiné pour choper les autres), c’est vraiment du space opera comme j’aime, avec de l’aventure, des races ET en veux-tu en voilà et qui sortent de l’ordinaire, et surtout un point de vue original qui fait réfléchir sur nos propres sociétés/
    (par contre, je vais acheter la réédition pour ma bibliothèque pro, car on n’a pas ce classique et c’est une honte).

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