Aux douze vents du Monde – Ursula Le Guin

Le Bélial

Cela fait une année que cette grande dame de l’imaginaire est partie rejoindre les 12 vents du monde. Il me paraît d’à-propos de chroniquer le beau recueil d‘Ursula Le Guin pour l’occasion.

Au sommaire de ce présent ouvrage,  non pas 12, mais 17 nouvelles écrites au début de sa carrière. Nous pourrons constater que le talent n’attends pas le nombre des années.

Un petit mot sur la présente édition

Le livre de la collection Kvasar est réalisé avec soin, il s’avère très agréable à l’œil et à la main. La couverture, une représentation cosmologique de l’univers de Le Guin, est tout aussi élégant que pertinent. La rose des vents indique bien qu’il est hors de question de s’aventurer dans toutes les directions malgré la richesse des thématiques et des récits de la grande Ursula. On garde le cap. Quel cap ? Nous le verrons.

C’est sans surprise que j’ai pu constaté qu’Aurélien Police était à la spatule même si je n’ai pas spontanément reconnu l’artiste. Les traductions de qualité et sont l’œuvre de J. Bailhache, PP Durastanti, A Le Bussy, L Murail, HL Planchat, J Polanis, JP Pugi, C. Saunier et N. Zimmermann.

Chaque nouvelle est introduite par Ursula Le Guin qui brosse le contexte de son écriture et/ou l’histoire derrière la publication.

Les 17 nouvelles

  • Le Collier de Semlé (1963)

Ce texte est désormais le prologue du roman Le Monde Rocannon; nous y faisons la rencontre d’une civilisation étrange, dans lequel un collier devient un levier de pouvoir.

Le texte tourne autour de l’ambition et de la fierté, qui écarte sans doute de l’essentiel. Le twist final relativiste ne nous surprend guère, et cette nouvelle, plaisante, s’apprécie surtout pour mesurer l’évolution de l’écriture de Le Guin.

  • Avril à Paris

A proximité de Notre-Dame, en 1961, le Professeur Pennywither étudie François Villon, obscur auteur français (sauf pour nous autres, français, héhéhé). Mais ses travaux n’avancent guère et il désespère de produire un essai propre à attirer l’attention.

A proximité de Notre-Dame,en 1407, Lenoir ouvre son manuscrit et récite une formule magique. Les deux hommes se trouvent face à face.

Cette nouvelle est la deuxième qui fut publiée dans sa carrière. Si, elle n’atteint pas la perfection de quelques œuvres futures, nous nous rendons toutefois compte qu’Ursula possède un petit quelque chose d’indéfinissable, une grâce dans l’écriture qui charme le lecteur. La magie opère ici à double titre, et nous nous laissons émouvoir par ces protagonistes liés par la solitude.

  • Les Maîtres

Sa première nouvelle publiée.

Les mathématiques sont proscrits dans cette civilisation, où compter peut tout simplement mener à la sentence ultime. Pourtant, à l’image de Galilée, certains hommes (au sens humain) défient la loi et s’abandonnent à l’appel de Pi.

Un récit qui montre déjà l’intérêt de l’auteur pour les textes qui parlent et qui lient narration et fond.

  • La Boîte d’ombre

Le mystère se cachant à l’intérieur d’une boîte…. de l’ombre!

L’inspiration de ce texte provient de sa propre fille, connaissant cette anecdote, la nouvelle prend une dimension un peu plus intime et pleine d’affection. En outre, il y a beaucoup d’humour et elle se lire avec le sourire.

Charmante et efficace.

  • Le Mot de déliement

Ce texte est lié au Cycle Terremer, il s’inscrit ainsi dans cet ensemble riche et inspirant.

Connaissant la saga de référence, il fait écho à ce que j’ai déjà lu, apportant sa touche à l’édifice construit pas Le Guin. Je ne peux pas mesurer tout à fait sa portée sans la lecture au préalable de Terremer. Toujours est-il que de nombreux auteurs se sont inspirés de cette œuvre maîtresse pour construire leur propre système magique, incluant le pouvoir liè à la connaissance du nom des choses.

Un classique et une référence.

  • La Règle des noms

Ce récit est également lié à Terremer, et joue sur le même registre.

Ces deux dernières nouvelles dans l’univers de fantasy devraient convaincre quelques lecteurs à jeter un œil dans le cycle… C’est élégant, touchant, la dramaturgie savamment orchestrée. Les dragons sont de la partie, l’aventure est au rendez-vous. Et je me suis régalée. . Bref, un peit bijou.

  • Le Roi de Nivôse

Nous retournons dans l’Ekumen avec Le Roi de Nivôse, et plus exactement nous retrouvons ou rencontrons l’univers de La Main gauche de la nuit, un roman phare dans la bibliographie de l’auteur.

Je ne suis pas une grande fan de la torture, et j’avoue que j’ai eu un peu de mal à discerner le propos de la nouvelle pendant un bon moment. Ainsi, a-telle très peu résonné pour moi. Pour faire simple, il s’agit d’une histoire de revendication du trône.

  • Voyage

Il avait peur. Mais, ça, c’était avant.

Avant d’avaler cette dose. Avec elle, il sent qu’il a la force d’affronter le monde, les regards et sa femme… Mais n’est-ce pas une erreur?

Une nouvelle qui ne peut laisser indifférent, et peut-être aussi sur le quant à soi. J’ai adoré le style très accrocheur, nerveux de l’auteur. Nous sommes dans l’intimité de Lewis, faisons nôtres ses angoisses.  Comme vous l’aurez sans doute deviner, l’addiction est au centre du texte. Toutefois, se focaliser uniquement sur ce point ferait perdre toute la pertinence de l’ensemble.

Le Guin sait tout faire!

  • Neuf existences

Un des textes, de l’aveu d’Ursula, le plus centré sur l’actualité scientifique : le clonage.  Ces neufs vies (et morts) mettent en relief l’humain et la technologie sous-jacente derrière ces existences. Que ce soit Pugh, Martin ou Beth, ces clones apparaissent plein de vie et dotés de personnalités propres, tout aussi uniques que s’ils étaient des individus génétiquement différents.

Avec Le Guin, quelque soit l’approche choisie, c’est la variante « homme » qui est étudiée. Personnellement, je suis sous le charme de Pugh…. 😉

  • Les Choses

Le monde touche à sa fin. Pourquoi est un mystère… tout comme l’identité de ce monde.

Pas ma nouvelle favorite.

  • La Forêt de l’oubli

Un nouvelle plutôt courte, liée à un voyage en Angleterre qui dans le récit a disparu.

Au final, elle est assez énigmatique, poétique, remplie de références, mais cryptique. Je me demande si ce n’est pas un Miroir tendu à Alice…. Ou alors, je l’ai lu trop tard dans la nuit.

  • Plus vaste qu’un empire

Des mission d’exploration sont organisées pour découvrir et étudier les mondes encore inconnus. Les Hainniens ont déjà réalisé des prouesses en la matière, mais il reste certainement des petites pépites qui ne demandent qu’à être dévoilées.

Le Monde 4470 est un de ces candidats. L’équipage désigné pour l’opération est composé de personnages divers et variés, dont certains haut en couleur, d’autres plutôt bizarres. Mais si des tensions existaient durant le voyage, la perspective de l’étude à la vision de ce joyau vert sombre, semble les éclipser.

La narration fait la part belle à la psychologie des personnages, les ressorts jouent essentiellement sur cet aspect et cela fonctionne vraiment bien. La tension monte peu à peu; le mystère s’épaississant, le suspens est au rendez-vous.  Mais, les thématiques chères à l’auteur sont bien présentes, tout en ajoutant l’empathie à ses cordes.

Une nouvelle qui devrait plaire à ceux qui ont aimé la trilogie de Jeff Van dermeer.

  • Étoiles des profondeurs

Une histoire qui fait immanquablement penser à la nouvelle « les maîtres« . Nous sommes dans le même registre d’oppression sur la connaissance.

Un astronome est envoyé dans une mine en raison de ses recherches, et découvre une étoile dans les profondeurs.

Je suis assez impressionnée par l’élégance et l’intérêt que dégage ce texte de Le Guin. A priori, dénoncer une forme de tyrannie sur la science -comme a pu le faire/le font certaines religions ou dogmes – semble un truisme éculé. Pourtant, l’intérêt persiste dans ce texte de cette grande dame de la SFFF.

  • Le Champ de vision

Des astronautes découvrent un système qui « lave le cerveau », et opère une forme d’endoctrinement.  Mais tous à bord n’y succombent pas.

Une nouvelle excellente. Sur le thème si complexe de la « Verité ». Nietzsche devrait être heureux, et il serait bon que beaucoup lisent ce récit.

  • Le Chêne et la mort

Que pense un arbre en nous voyant?

La réponse dans ce court récit.

  • Ceux qui partent d’Omelas

Il convient de lire l’introduction d’Ursula Le Guin avant de se lancer dans la lecture du court texte qui vous marquera, j’en suis certaine.

Je pourrais résumer longuement ce conte philosophique, mais je choisis : qu’est-ce que l’utopie – ou pas -selon Ursula?

Et dire que l’on considère la Sf comme enfantine et immature dans notre pays….

  • A la veille de la révolution

Une préquel au roman « Les dépossédés« .

Elle fonctionne parfaitement de manière indépendante.

Mes préférées :
  • Le Mot de déliement
  • Plus vaste qu’un empire
  • Neuf existences

Conclusion

Ce recueil se compose de quelques textes relatifs aux deux cycles les plus réputés d’Ursula Le Guin que sont L’Ekumen et Terremer. Il permet surtout de découvrir la plume de cette grande dame, une conteuse hors pair, qui parvient à captiver le lecteur quelque soit le registre choisi. Elle verse avec élégance et intelligence aussi bien dans la SF que dans la fantasy, même si les thématiques sont plus emblématiques et perceptibles dans le cas de la première.

Cependant, que ce soit sous l’apparence d’un conte, d’un récit de fantasy ou encore d’un texte « plus vecteur » comme la SF, Ursula glisse toujours des idées, et remet en question nos certitudes. Sa prédilection pour l’étude du cœur de l’homme est le fil rouge de ce recueil, autrement assez divers en dramaturgie, levier, ressort ou sous-genre, tandis que son attachement transparait systématiquement.

Cet ouvrage s’adresse ainsi à tous ceux qui souhaite se familiariser avec l’auteur sans s’investir directement dans un de ses cycles phares, aux lecteurs qui veulent approfondir la connaissance des textes et tous ceux qui sont sensibles à la chaleur d’une plume et la pertinence d’un propos.

Ce livre est pour vous si :
  • vous savourez les plumes enchanteresses
  • vous aimez les histoires pleines de sens
  • vous demandez à changer d’univers
je vous le déconseille si :
  • Vous êtes allergiques aux formats courts
  • Vous n’aimez pas le space opera, même intelligent
  • Pour vous les femmes, c’est à la cuisine
Autres critiques :

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42 réflexions sur “Aux douze vents du Monde – Ursula Le Guin

    • Oui, mais à toi, je ne conseille jamais les recueils. Je ne suis pas une grande fan non plus. Mais à petite dose, cela passe. 🙂

      C’est de la fantasy Terremer, ce n’est pas trop pour toi!

      J’aime

    • Merci!
      Oui, cela a demandé un peu de temps pour la chronique 😉

      Tu n’as pas encore lu e Le Guin ? Et je n’en ai pas vu dans ta PAL ? ni dans ta WL ?
      Quelle est donc cette hérésie ?!!!!

      Commencer par cela ou un roman? Grosse question.
      Tu as un Bifrost qui lui est consacré, et je te conseillerai de le lire. TU as des nouvelles et tout un dossier pour choisir.

      Autrement, je te dirais Lavinia.

      Aimé par 1 personne

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