Terminus – Tom Sweterlitsch

Une tuerie!

Albin Michel Imaginaire

Parfois, il est fondamentalement jouissif de se plonger dans un roman en l’ayant noté comme « à lire » depuis un bon moment (et oublié pourquoi), pour finalement le découvrir sans avoir de grosses attentes. Ainsi, la magie intrinsèquement liée à la lecture opère, surprise et enchantement fonctionnent au diapason pour notre plus grand plaisir.

Terminus vient de m’offrir ce moment de grâce livresque.

Un prologue coup de poing

Dès le prologue qui se déroule en 2199, le lecteur se trouve happé dans un vertigineux trou noir – ou blanc. Le ton est posé. Le cadre aussi. Et cette armée de troncs blancs associée à cette légion de crucifiés restera longtemps dans votre mémoire. Le Terminus est là, bien présent et vous savez dans quoi vous vous embarquez : voyages temporels, univers parallèles et frissons d’angoisse.

Cette entame captive l’amateur de sensations fortes, et elle va au-delà, car elle titille l’imagination avec une exposition minutée et une dramaturgie savamment orchestrée. Rares sont les prologues qui marquent ainsi; dans un autre registre, le dernier en date m’ayant émerveillée par sa poésie et sa justesse fut celui de Bankgreen de Thierry Di Rollo.

Une enquête boomerang

« Depuis le début des années 80, un programme ultra-secret de la marine américaine explore de multiples futurs potentiels. Lors de ces explorations, ses agents temporels ont situé le Terminus, la destruction de toute vie sur terre, au XXVIIe siècle. En 1997, l’agent spécial Shannon Moss du NCIS reçoit au milieu de la nuit un appel du FBI : on la demande sur une scène de crime. Un homme aurait massacré sa famille avant de s’enfuir. Seule la fille aînée, Marian, 17 ans, serait vivante, mais reste portée disparue. Pourquoi contacter Moss ? Parce que le suspect, Patrick Mursult, a comme elle contemplé le Terminus… dont la date s’est brusquement rapprochée de plusieurs siècles. »

OUI! Le NCIS est en charge de l’enquête sur les meurtres de la famille de Patrick Mursult, un marine de la Navy. Cependant, Shannon est loin d’être un agent de Gibbs et consort, le roman ne navigant pas dans le même registre, ni dans la même ambiance et se positionnant à des années-lumière de la série en terme d’ambition.

Souvent, les thrillers fantastiques ou SF ne rivalisent pas en terme d’intrigue avec le roman noir, spécialisé dans le frisson, les chemins tortueux et les labyrinthes cérébraux. L’intérêt du lecteur est alimenté à la fois par l’enquête (ou la poursuite) ET le worldbuilding SFFF. Cette association permet de palier des ressorts narratifs convenus et des rebondissements prévisibles (d’autant plus pour le lecteur régulier des dits polars…).

Avec Terminus, il n’en est rien. L’intrigue est en soi retorse à souhait, le thriller fonctionne vraiment bien par lui-même.

1997. Shannon, membre du NCIS, enquête conjointement avec le FBI sur les meurtres de la famille Mursult. Femme et enfants ont été exécuté à la hache. Une scène de crime dure, sanguinolente, n’épargnant pas les âmes sensibles. Le cœur au bord des lèvres, il faut monter jusqu’à l’étage pour découvrir l’insensibilité de l’assassin qui a, en outre, prélevé les ongles de toutes ses victimes… Ces passages sont ardus, pas seulement pour le lecteur. Cette maison, Shannon la connait, très bien même. Elle y a passé des heures en compagnie de sa meilleure amie, cette jeune fille qui était comme une sœur pour elle. Avant son assassinat.

La sensation que l’histoire se récrit l’effleure, elle aussi, tout comme nous. Les dés du destin semblent bien capricieux. Ou pas.

Dès lors, commence une chasse à l’homme. Le premier suspect est le père de famille, ce Patrick Mursult, introuvable aux premières heures de l’enquête. Cette traque se double d’une course contre la montre, car Marian, l’aînée des enfants a disparue. Elle n’était pas parmi les victimes, et il se peut donc qu’elle soit encore vivante. D’ailleurs, Shannon est persuadée que son sort est entre ses mains…

Rapidement, en suivant son instinct et forte de connaissances qu’elle seule possède, son enquête la mène vers une forêt qui lui est familière. Et pour cause, c’est dans ces contrées qu’elle fut sauvée de sa crucifixion… Toutefois, les pistes s’enlisent. Son boss ne voie qu’une seule issue pour boucler le dossier et espérer sauver Marian. Un petit tour dans le futur.

Ainsi, notre agent spécial se voit-elle envoyée 19 ans plus tard dans l’avenir, en 2016, espérant ramener des réponses concrètes. Mais, ne vous y trompez pas, il ne s’agit pas d’un tour de passe-passe bien commode qui permet à l’auteur quelques Deus ex-machina sioux.

Hélas! Le futur ne va pas être aussi coopératif qu’attendu. Certes, quelques éléments de réponse attendent notre agent bien sagement, comme le sort de certains protagonistes, les résultats de tests, d’analyses, d’interrogatoires (merci internet, au passage)… Malgré la richesse du dossier, l’enquête se révèle assez décevante, et ouvre d’autres pistes qu’elle doit explorer dans cette trame temporelle-ci, afin de ramener des réponses pour mars 1997.

Le lecteur s’offre le suivit de deux trames intimement liées, et d’une complexité qui ravira les amateurs de thrillers (même si vous n’êtes pas un fan de polar, le récit s’engloutit sans obstacle insurmontable).

Forcément, les décisions prises dans l’une des trames temporelles auront des répercussions sur l’autre, fournissant à l’histoire de Tom Sweterlitsch une abondante réserve d’adrénaline. Certes, Shannon démêle peu à peu les fils complexes de ce futur potentiel et variable, mais elle rend également ses voyages de plus en plus périlleux. Et malgré tous ces efforts, le terminus se rapproche, signant la fin de de l’humanité…

Un worldbuilding enivrant

Terminus n’est pas simplement un polar futuriste. Le lecteur s’immerge dans un worldbuilding captivant l’imagination, source d’angoisse et d’émerveillement. Le Terminus annonce la fin du monde. Peu à peu, la date du game-over se rapproche, et à chaque itération de Shannon Moss, le désespoir s’avère de plus en plus prégnant. L’espoir ne parvenant pas à s’échapper de l’horizon de ce trou blanc, la capitulation semble inéluctable. Pourtant, notre agent de choc ne renonce pas. Jamais. Sa résilience donne cette petite lueur d’espérance que tout semble vouloir oblitérer.

Ainsi, l’enquête policière, et la recherche de Marian se triple de ce combat pour sauver la Terre d’un sort effroyable, fait de crucifixions inversées, de coureurs jusqu’au-boutistes, de dislocations vivantes, de la fin de tout.

Shanon voyage donc de mars 1997, la Terre Ferme – ou autrement dit la référence temporelle – jusqu’en 2015/2016 dans le futur (TFI – trajet futur inadmissible). Plusieurs éléments permettent ces missions dans l’espace-temps.

Dans les années 70, la Navy développa un projet secret « bien nommé » Eaux Profondes (les références à X-Files sont nombreuses 😉 ). Il permit de s’aventurer dans le futur et d’en ramener quelques technologies.

En cela, Terminus se présente également comme une uchronie, et dès 1997 (et aussi 2015/2016), le lecteur peut constater de « légères » altérations avec notre veine historique : une base lunaire pour abriter les missions Eaux profondes et les lancements des différentes TFI, des moyens de transports, des matériaux high-tech, des agences nouvelles, des nanoparticules… outre, bien entendu, le voyage dans le temps, mais nous y reviendrons.

Cependant, si cette saveur reste assez subtile au final, le lecteur est essentiellement croqué par l’exploration des trames futures. Chaque itération en 2016 est teintée d’une aura unique, d’un worldbuilding propre. Dans le détail, ce ne sont que quelques petits éléments ici et là qui varient. L’effet de cascade bat son plein, rendant  le tableau global systématiquement différent. Shannon doit s’adapter à chaque fois, maîtriser des technologies qu’elle ne connaîtra peut-être que dans une vingtaine d’années… En passant, j’ai adoré les « Ambiances ». Et cette immersion forcée participe grandement à l’attrait du présent roman.

1997, Shanon enquête, découvre une piste qu’elle exploite en 2016. Elle revient en Terre Ferme, et approfondi l’enquête, anticipe les événements du présent. Or, d’une part, les ramifications sont bien plus vastes et complexes que le multiple homicide laissait penser, en sus, le Terminus devient plus pressant (et non, ce n’est pas le fait de voyager dans le temps qui rapproche la fin du monde). Elle réitère les voyages, et chaque fois modifie la trame présente et future, impactant son entourage. Les protagonistes évoluent d’un passage à l’autre, nous offrant une palette émotionnelle assez vaste, des motivations changeantes en fonction de leur parcours, lui-même influencé par l’enquête de Shanon. Outre, ces variations, ce sont ces psychés toute en mouvance qui dynamisent avec bonheur le récit, car Tom Sweterlitsch est cohérent d’un bout à l’autre.

Ces boucles temporelles posent la questions des futurs potentiels comme vous vous en doutez, et comment dire,… en fait, rien car je vous laisse la surprise.

Tout est bien fichu car, l’auteur base son roman sur un aspect hard-sf. Ne fuyez pas! C’est parfaitement compréhensible! Ici, nulle machine magique à remonter le temps, mais une technologie basée sur la physique quantique et la détermination par l’observation (la théorie du chat de vous savez qui). Un générateur Brandt-Lomarco,  conçu spécialement pour ouvrir un trou de vers, permet cette infiltration dans une futur potentiel et non définitif (le voyageur n’appartient pas à cette ligne temporelle). Et une fois que notre marin retourne à son époque, votre vie disparaît, comme cela  : clac!

Et vous noterez, l’effet narratif employé par l’auteur pour souligner encore cette délimitation entre Terre Ferme et potentialité (TFI). Tom Sweterlitsch emploie la narration à la 3° personne quand il s’agit de 1997, et la narration à la 1° personne pour ce qui est de 2016, pour témoigner qu’il n’existe que par la seule présence de Shanon.

Vous aurez également de la nano-technologie à effet tunnel, des vaisseaux spéciaux, des bombes, de l’action, de l’amour, de la baston et des effets pyrotechniques. Et qui dit multi-univers, dit doublon (voire plus) de personnages. OUI! et c’est un régal avec : c’est toi ou moi?

Question influences et références, elles sont nombreuses. J’ai pensé à Poul Anderson, Greg Egan, Baxter et Clarke pour ne citer qu’eux.

La perfection ?

Il y aura bien quelques détails qui ne nuisent finalement pas du tout à la lecture, car l’aventure est excellente d’un bout à l’autre. Cependant, les plus pointilleux noteront que le premier voyage temporel semble provenir d’ex-nihilo. Pour le reste c’est bingo!

Ou dans mon jargon: Oh!Yeah!

Terminus s’avère une lecture totalement jouissive, se jouant des boucles temporelles et autres itérations du futur, imaginant chaque fois un monde nouveau courant  systématiquement à sa perte. Le lecteur est noyé sous les nano-particules d’angoisse, d’anticipation et de frissons, cramponné à son livre sous l’effet de l’adrénaline. L’héroïne est attachante à souhait, bringuebalée tel un fétu de paille en pleine tempête temporelle. Tom Sweterliscth s’approprie avec brio le voyage dans le temps et se permet de revisiter la notion de multi-univers avec panache. Quel culot!

Je remercie AMi et Eva pour ce roman reçu en SP.

Ce livre est pour vous si :
  • vous aimez les multi-univers et les voyages dans le temps
  • vous rêviez d’explorations
  • vous voulez lire un roman sur le qui-vive
Je vous le déconseille si :
  • Du sang!!!! Vous composez le 112
  • Vous avez peur des obstacles
  • vous n’aimez pas les romans tout en tension
Autres critiques :

Apophisau pays des cave-trollsTmbMLe maki non nipponOrionXapurBrizeLe ChroniqueurLorhkanArtemus dadaBlackWolf

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66 réflexions sur “Terminus – Tom Sweterlitsch

  1. C’est plutôt polar ou thriller? Parce que j’ai l’impression que tu utilise les deux termes de façon limite interchangeable dans cette chronique alors que pour moi il ne le sont pas car ils incarnent deux facettes très différente du roman d’enquête.
    D’ailleurs je n’aime pas les thrillers en général alors que j’adore les polars xD

    (C’est comme pour l’horreur, le coté frisson a du mal à faire effet – rarement on dira – je n’ai pas peur dans les livres – du coup les premiers tombent en général souvent totalement à plat. Ce qui explique sans doute ma grosse aversion pour le(s) genres tellement je me suis souvent ennuyé en les lisant dans le passé)

    Ceci dit le coté « apocalypse qui se rapproche petit à petit » est un thème qui m’intéresse. Je l’avais déjà vu passé dans les 15 vie d’Harry August et j’avais vraiment trouvé ça intéressant comme principe. Je serais plutôt partante pour tenter celui ci, malgré ma peur que ça ne me plaise pas.

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    • Ah! difficile à dire vraiment vers quoi cela tend le plus. C’est quand même les deux. Nous avons une véritable enquête policière de type polar avec un méchant dans l’ombre – un bon bout de temps. Et nous avons aussi l’autre facette thriller, avec ce terminus qui approche, une sensation de « complot » contre Shanon.
      L’enquête n’aboutit qu’à la fin. J’ai rarement peur dans un bouquin également, dans celui-ci non plus, il n’y a pas vraiment de quoi avoir les pétoches, mais c’est très prenant car, je voulais savoir de quoi il retournait, la situation semble tellement sans issue que je me demandais aussi comment Shannon pouvait agir.

      L’apocalypse se rapproche, oui, parviendra-t-on à l’écarter ?… C’est pas gagné. 🙂

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  2. Je n’en avais pas entendu parler avant de le découvrir parmi les livres proposés dans la dernière Masse Critique de Babelio et je me suis juste fiée à la présentation de l’éditeur pour le cocher. Résultat des courses : je suis aussi enthousiaste que toi (et les autres lecteurs recensés pour le moment : ce roman serait-il parti pour faire l’unanimité ? ce serait bien possible, alors que c’est plus que rarement le cas !) ! Mon billet est prêt, dans les tuyaux, j’attends la sortie du livre pour le publier.

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  3. On l’a reçu cette semaine aussi 🙂 Par contre, comme je le disais à nos amis trolls, je vais sans doute laisser mon acolyte le lire, même si vos deux critiques combinées donnent très envie !

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      • Si vous vous y mettez à trois c’est sur que je ne vais pas m’en sortir ! 😉 Les critiques que j’ai pu lire jusqu’à présent sont très positives. Je pense que je le lirai un jour mais pour le moment j’avoue que ce n’est pas le type d’histoire dont j’ai envie et j’ai peur que ça desserve le roman malgré lui 🙂

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        • effectivement faut quand même que le pitch et ce genre de bouquin te tente, car autrement c’est un peu risqué. C’est comme si tu essayais de me faire lire un roman d’amour…. j’en ai des frissons rien que d’y penser. Et pas de plaisir…

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  4. Ça m’embête, j’avais pensé qu’il s’agirait d’un livre plutôt calme à sa sortie en VO, basé davantage sur l’aspect technologique que celui horrifique. Mais depuis son arrivée en France, j’ai l’impression que l’auteur s’est un peu défoulé sur le gore…

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  5. Ben pareil. J’ai lu ton avis en diagonale car je compte bien me le faire celui-ci. Apo m’avait déjà convaincu d’ailleurs. Quand vous êtes d’accord tous les deux, y’a plus à tortiller

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    • ALors j’espère te revoir, une fois que tu l’auras lu pour savoir ce que tu en as penser.

      Oui, généralement quand nous sommes tous les deux d’accord, les amateurs de SFFF savent à quoi s’attendre.

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  6. Je ne voulais pas le prendre, je voulais faire l’impasse, mais maintenant impossible après avoir lu ta chronique ! Vraiment AMI choisit trop bien ses titres, c’est un drame pour ma porte-feuille ><

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