Axiomatique (1) – Greg Egan

Première partie du recueil de Greg Egan, Axiomatique.

 

Le Bélial

Tous, nous nous sommes trouvés dans la situation embarrassante de devoir expliquer une évidence à quelqu’un. La chose va tellement de soi, à nos yeux, qu’il devient difficile, voire impossible de transmettre efficacement ce « savoir ». 1+1=2, la terre est ronde (si,si),… Et bien souvent, ce sont avec les camarades de classe que ces expériences se produisent, notamment en math, matière adepte de la méthode axiomatique.

Non, n’ayez pas peu, je compte bien chroniquer le recueil de nouvelles de Greg Egan. Mais ce clin d’œil est sympathique avec un tel titre et surtout un contenu qui joue aussi sur cette notion.

La méthode est simple en soi : il suffit d’exposer toutes les propositions que l’on admet sans démonstration et qui ne sont pas des définitions – les fameux axiomes. Ceci est la base de la démonstration future que ce soit les théorèmes, les théories étudiées et en s’opposant à tout recours à la sensibilité ou au sentiment subjectif.

Quel rapport avec Axiomatique ?

Et bien, Greg Egan va continuellement utiliser ce recours lors de ces nouvelles, mais finalement c’est le cas de la plupart des auteurs de l’imaginaire, n’est-ce pas?….

Or, la force du recueil, en relation avec ce titre très évocateur, est la facilité avec laquelle, l’auteur propose à son lectorat de faire sien les aspect hard-sf inclus çà et là au fil des pages. Que ce soit, la physique quantique, les math appliqués, les statistiques,….

J’ai choisi de présenter cette chronique en deux parties pour éviter un texte d’une longueur inhabituelle pour le blog. La moitié des textes seront présentés dans ce premier article, l’autre lors du prochain billet consacré à Axiomatique.

 

La première nouvelle s’avère une porte d’entrée assez relevée pour s’introduire dans l’univers de Greg Egan. Si je ne peux prétendre qu’elle n’est pas représentative, je pense qu’elle demeure d’un accès assez délicat. D’autres auraient été un peu moins intimidantes?

 

  • L’assassin infini

Le S est une drogue un peu particulière. Elle dangereuse non seulement pour l’individu qui se shoote de manière illicite, mais également pour une partie de monde physique. Les gens sous l’influence de cette substance se mettent à rêver d’une autre vie, celle de leur alter égo. Parfois, il s’agit de vie banale, bien rangée, d’autres fois l’adrénaline est le moteur de ces doublures. Tout dépend des aspirations des uns et des autres.

Toujours est-il que ces alter égos existent réellement. Dans un monde parallèle. Or, les uns étant les doublures des autres, un pont quantique s’établit, distordant une portion de l’espace, et tranchant la paroi hermétique entre ces univers parallèles.

L’Agence est spécialisée dans l’éradication de ces rêveurs. Elle a à disposition des assassins. Justement, l’un d’eux est chargé de nettoyer une zone, comme la plupart de ses doublures, assassin comme lui. A l’image des univers, ils sont infinis…

Whaouh! cela décoiffe d’entrée! La chute est savamment orchestrée. J’ai adoré même si l’accès est assez corsé. Le niveau est déjà élevée tant au point de vue de la créativité, que de l’exigence. Mais rassurez-vous, c’est celle que j’ai trouvé de plus « délicat » à absorber.

  • Lumière des événements

Comme son nom l’indique, nous flirtons avec l’astrophysique dans ce deuxième texte de l’auteur, en se penchant sur le voyage dans le temps en quelques sorte.

La lumière nous parvient avec une certaine célérité, transportant sur son onde des photons échappés des astres depuis plus ou moins longtemps. Or, une découverte stupéfiante voit le jour. Une galaxie semble absorber ces particules, non comme un trou noir, ou en marquant le passage du temps comme sur Terre. L’observation de cette surprenante galaxie montre une déformation du temps. Les photons s’échappent des appareils comme une décharge des particules….. après quelques expériences, et une avancée technologique, il apparaît que le temps s’échappe à rebours. Aussi, est-il rapidement possible de voyager dans le temps.

Nous sommes bien loin du roman de H.G. Wells, et de tous les fantasmes liés à cette fantaisie. La nouvelle de Greg Egan propose bien autre chose, et pousse à s’interroger sur notre nature individuelle.

La prouesse réalisée permet de connaitre une partie de son futur. Le procédé est l’inverse de la capsule du passé qui envoie des petits messages pour la ou les générations futures. Ici, le vous du futur vous décrit sa/votre journée avec un « tweet », ainsi qu’une partie de votre existence. Que feriez-vous ?

La thématique n’est pas nouvelle, en revanche, le traitement et l’appui sur une base scientifique, l’est.

Très intéressante surtout que nous suivons un couple avec des positions opposées sur la question.

  • Eugène

Le titre est une fois encore très « pertinent » puisque Greg Egan souhaite aborder la question de l’eugénisme, mais l’angle choisit est tout à fait rafraîchissant et savoureux!

Un couple souhaite avoir un enfant. Ils ne le veulent pas « parfait », mais espère un gamin qui agira avec le cœur, intègre et soucieux des autres, voire de l’humanité. Ils consultent à cette fin un spécialiste qui leur promet son expertise et une réussite au-delà de leur espérance, Désormais,la maîtrise du génome humain est telle que l’intervention sur les gênes est -presque – un jeu d’enfant.

Je ne peux en révéler davantage tant la chute mérite que le tout se dévoile peu à peu.

La nouvelle ne se place pas du point de vue éthique (quoique…), mais plus un débat sur la science. Personnellement, j’ai adoré.

Un mot : vertigineux!

  • La Caresse

« J’ai avalé mes désamorçants et je suis rentrés chez moi ».

Un flic enquête sur le meurtre d’une femme qui possédait un être-léopard, ressemblant étrangement à un être d’un tableau du XIX°.

Nous sommes dans une toute autre ambiance avec cette nouvelle. Greg Egan effleure le cyberpunk, les implants et autres améliorations remplacés par des substances aux effets plutôt corsés.

Les membres de la police sont shootés avec une drogue – tout ce qu’il y a de plus officiel – afin de les rendre, plus performants, plus concentrés et plus froids. Seule l’élite des forces de l’ordre bénéficie de ce traitement particulier car ils deviennent « plus » que des hommes. Ils sont choisis minutieusement depuis leur enfance afin non seulement de les habituer et de les former, mais aussi de les modeler en fonction des besoins.

Or, une fois que la substance s’épuise sous l’effet des désamorçants, le stress et les traumatismes s’éveillent, les rendant « plus qu’humain ». Les péripéties de notre flic sous amphétamines, vont aller de mal en pis. Assez glauque au final.

Monstres ou pas?

Un texte assez sombre, bien rythmé, très facile à lire et d’une belle profondeur. Assez incongru toutefois.

  • Soeur de sang

Un autre texte que j’ai particulièrement apprécié, aussi bien pour l’histoire contée que pour l’aspect plus philosophie sur « la neutralité » de la science. Greg Egan est assez efficace avec les personnages dans le format court.

Deux sœurs jumelles ont fait un pacte de sang dans leur enfance, puis leur chemin de vie ont divergé. L’une est devenue experte en électronique, avec une vie minutée, l’autre s’est engagée dans la spontanéité et les ONG.

Un virus voit le jour (le comment est inclus partiellement dans le texte) et décime une bonne partie de la population. Notre jeune femme si rangée attrape la saloperie et en fait part à sa sœur qui paraît toujours aussi dynamique et pleine de vie…

La charge contre l’industrie pharmaceutique est assez claire, tout comme l’interrogation sur l’éthique médicale. Il manquerait un peu de nuance; cependant ce texte, fort, peut se le permettre.

  • Axiomatique

La nouvelle titre du recueil et qui prend beaucoup de sens en ayant à l’esprit que la méthode touche toutes les sciences.

Nous n’avions pas encore goûté aux implants cérébraux. C’est chose faite avec Axiomatique.

Notre protagoniste est un homme brisé. Sa chère et tendre lui a été enlevée lors d’un stupide casse, balayant leur bonheur d’un coup de feu, sans haine mais sans la moindre empathie non plus. L’auteur sort de prison, et le mari rêve en son for intérieur d’avoir le courage de se venger. De se venger ET de  n’en concevoir aucun remord, aucun scrupule.

La technologie peut régler cet écueil moral. Éventuellement. Il suffit simplement de sniffer quelques nano-particules qui vont se charger de modifier votre perception « spirituelle ».

Entre un libre-arbitre posé comme une illusion et une morale un axiome de la société….

Voilà une nouvelle qui illustre un mariage parfait entre une hard-sf accessible, une narration sans faille et une profondeur thématique tout à fait emballante pour les neurones. Du travail d’orfèvre.

  • Le coffre-fort

Je ne sais comment décrire cette nouvelle. Elle est unique.

Un humain voyage très régulièrement dans les corps d’hôtes (non consentants) et ce depuis sa plus tendre enfance. Les séjours sont d’une durée variable mais n’excèdent pas quelques jours. Il y a des hommes (car ce sont toujours des hommes) qu’il a déjà visité plusieurs fois, d’autre comme le dernier en date sont une première.

Il faut préciser qu’il voyage toujours dans la même ville,  et ces « apparitions » sont même circonscrites à une certaine partie de la ville.

C’est en compagnie de son dernier hôte que nous découvrons les difficultés qu’il rencontre, les méthodes mises au point pour palier à certaines inconnues dans son « périple ». Il fait des observations, prend des notes, pose des hypothèses qu’il tente de confirmer ou pas. Tout cela est précieusement conservé dans un coffre-fort, sa seule richesse. En effet, il ignore même son nom…

Surprenant, émouvant, frappant! C’est de haut vol!

  • Le point de vue du plafond

Un homme d’affaire se fait tirer dessus, la balle se loge dans son cerveau. S’ensuit un dérèglement à son réveil, sa vue est subjective, il se voit du dessus, un peu comme dans les jeux vidéo.

Il tente de persuader le corps médical qu’il ne s’agit ni d’un délire,  ni d’une plaisanterie. Seule sa position sociale permet d’éviter l’enfermement.

Drôle d’idée que voilà, car nous sommes bien loin des états métaphysiques avec des sorties hors du corps. C’est le texte qui m’a paru le plus fade dans le recueil. Il est court, se lit vite, et laisse un peu sur le côté, un peu comme Phillip, le protagoniste…

  • L’enlèvement

Un homme a été persuadé que sa femme a été enlevée. Ce n’est pas le cas.

Toutefois, en creusant (en lisant, plutôt), vous vous apercevrez que sa femme a peut-être bien été enlevée… du moins son souvenir et il lui sera rendu contre un rançon substantielle.

Difficile de vraiment aborder ce texte d’un grande profondeur. La question sur la connaissance de l’autre est au centre de L’enlèvement, avec en substance l’interrogation entre la réalité de la personne et l’image que l’on eut se faire d’elle. Nous pourrions, par la suite, relier tout cela à la notion de souvenir… Quand je dis que le recueil envoie du lourd, il envoie l’artillerie philosophique XXL!

Brillant.

$$$$

Cette première partie propose des nouvelles de beau calibre, offrant un aperçu alléchant de l’œuvre de Greg Egan. Quelques textes sont superbes, d’autres vertigineux, et ce n’est que la première partie. L’auteur est à son meilleur par la suite.

 

Je ne vous propose pas encore la conclusion ou les critiques disponibles sur la blogopshère. Je compte poster mon avis sur la deuxième partie dans quelques jours, avec la conclusion à ce gros et bon pavé plein de saveur.

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40 réflexions sur “Axiomatique (1) – Greg Egan

  1. Je ne voudrais pas trop en savoir avant de le lire (vu qu’il est toujours dans ma PAL et que je compte bien le lire un jour, même si je sais que la hard SF en général fait des flops chez moi si elle n’est pas excellente et accessible à un non scientifique – du coup ça fait beaucoup de critères xD).
    Du coup je n’ai que survolé l’article 😛

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    • Effectivement, l’aspect hard-sf peut effrayer. Il y a quelques années, je t’aurai dit la même chose, cependant, en lisant des textes un peu plus exigeant, je me suis familiarisée peu à peu avec la Hard-sf et maintenant, j’apprécie.
      Ne voudrais-tu pas retenter l’expérience pour voir si tu as une autre vue ?

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  2. J’ai lu trois nouvelles du monsieur et elles m’ont toutes les trois retournées (aucune des trois n’est présente ici, j’attends la suite :p). Ton avis me confirme que c’est un noveliste hors pair. Beau boulot !

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  3. Bon, on a pas arrêté de me mettre la pression en me le vendant comme LA référence hard-SF ultime, mais ce que tu dis me donne réellement envie de m’y mettre. Par contre, relis-toi bien quand tu critiques, j’ai l’impression que tu fais de plus en plus de fautes de frappe et je me suis rendu compte pour ma propre expérience ça permet parfois de mieux développer ses idées.

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    • J’en ai repéré quelques unes à la relecture, aujourd’hui. Je vais prendre le temps de les corriger. Le soucis c’est qu’entre ce que je pense écrire et la réalité, mon cerveau fait un beau mix et me fait voir ce que je veux voir….

      Il y a des textes plus délicats que d’autres, mais dans l’ensemble, j’ai trouvé le tout assez abordable. La première est un peu délicate.

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      • Oh, j’ai pas peur de la complexité. Ce que j’aime pas, c’est lorsqu’elle est omniprésente et pas du tout exposée. Et comme la plupart des Egan sont considérés comme exigeants mais accessibles à qui connaît un peu la hard-SF, je n’ai aucune raison de m’en faire.

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    • J’ai hésité sur le degré de lecture. Le reste du recueil est si ‘sérieux » que j’avais des doutes sur son côté gentiment moqueur.
      La nouvelle a une autre saveur avec ce point de vue.
      Merci!

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  4. Mais c’est pas possible ! Je fais comment, moi, pour maintenir mes finances à flot, avec des chroniques pareilles ? Bon, je note : Greg Egan, à découvrir absolument. Et le plus vite possible !

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