Enfants de la Terre et du Ciel – Guy Gavriel Kay

L’Atalante

Enfants de la Terre et du Ciel s’inscrit dans la veine fantasy historique chère à Guy Gavriel Kay. Presque. Une des caractéristiques signatures de l’auteur consiste à s’inspirer fortement d’un pays et d’une période de l’Histoire réelle et de la propulser dans un monde légèrement retouché.

Les Chevaux Célestes et Le Fleuve Céleste  proposait une immersion de toute beauté dans une Kitaï enivrante, réplique de la Chine des XIII° et XVI° siècle, Tigane prenait ses racines dans l’Italie de la Renaissance, alors que Les Lions d’Al-Rassan nous  embarquait dans un tourbillon émotionnel en plein dans l’Espagne de la Reconquista.

Ainsi, les romans de Guy Gavriel Kay possèdent une saveur particulière, Enfants de la terre et du Ciel participe amplement à ce processus de ré-écriture d’une Histoire empreinte d’une aura magique, magnifiée par des personnages mémorables.

Les Balkans, une mosaïque d’influence

Le roman s’avère proche de récits historiques, s’écartant de la version officielle avec des noms de lieux et de personnages modifiés pour les besoins de son récit (l’auteur respecte trop les acteurs des épopées célèbres pour les détourner et les faire vivre sous sa plume).

L’histoire proposée se déroule 23 ans après la chute de Sarance  (contée dans La mosaïque de Sarance – Constantinople). L’antagonisme ainsi que les ressentiments sont chatouillés régulièrement entre les différentes parties autour de la Méditerranée. La puissante Seresse (Venise) joue un jeu trouble avec Asharias, autrefois la belle Sarance.

Le bassin méditerranéen se trouve divisé entre les divers royaumes asharites (musulmans),   les contrées jaddites (chrétiens) et les kandiths (juifs).

Les trois confessions connaissent des frictions et des tensions, plus ou moins larvées, parfois engourdies par des intérêts plus immédiats ou matériels. Au cœur de cet imbroglio diplomatico-politique, Senjan reste fidéle à ses valeurs et à ses promesses et combats corps et âmes les asharites. D’autres cités-états s’efforcent de sortir leur épingle du jeu, et surtout de survivre en « toute » indépendance…

La différence principale entre ces religions tient à la primauté accordée aux deux lunes par le peuple Errant, au soleil par les tenants de Jad (qui fut leur prophète ) et aux étoiles par les fidèles d’Ashar (le prophéte)… Évidemment, il y a d’autres variations culturelles, et des interdictions imposées, cependant elles s’axent sur cette trinité céleste. La subtilité et l’élégance de l’auteur est évidente dans ce choix de »totem » divin, et il enrichit le tout avec un background qui leur est propre. Cela s’illustre notamment avec les asahrites dont la religion est née dans le désert, qui se sont orientés grâce aux étoiles, et qui craignaient l’ardeur potentiellement mortelle du soleil…. ils entretiennent une relation unique avec l’eau et les étoiles bien évidemment, et ont une certaine méfiance vis à vis du soleil.

Le tableau ainsi brossé vous est sans doute familier si vous avez lu Les Lions d’Al-Rassan, roman merveilleux de Guy Gavrile Kay. En effet, nous sommes dans le même univers, et la fameuse Espéragne n’est pas étrangère aux Enfants de la Terre te du Ciel.

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Nous allons suivre tout au long de ces 631 pages la destinée de cinq personnages illustrant parfaitement les déchirements, les échecs, les réussites, les difficultés ainsi que les choix cornéliens offerts dans une contrée en proie à tant de tensions. Leurs vies mouvementées, ballottées par les flots plus ou moins déchaînés des événements et des décisions politiques permettent de s’approprier une partie de cet héritage méditerranéen. Une autre caractéristique fondamentale de l’auteur canadien réside dans le soin apporté à cette retranscription historique et dans son travail de documentation en amont pour créer tout un monde et une culture proches de la référence choisie. Et c’est entièrement le cas dans le roman présent.

Une fantasy historique

Enfants de la Terre et du Ciel reste fidéle aux tensions et conflits émaillant les Balkans du XV° siècle, et si Guy Gavriel Kay s’efforce de respecter l’ensemble,  il s’agit bien d’un roman de fantasy et non pas d’un simple roman historique transposé dans un pays imaginaire.  Mais c’est surtout avec les deux lunes – bleue et blanche – prenant possession de la nuit – qui font définitivement basculer le récit.  La présence de ce deuxième satellite n’est pas juste pour embellir le décor, la paire d’astres nocturnes influence sensiblement toute une culture, et joue un rôle majeur sur la psychologie collective du peuple kandith, les Errants (les juifs).

L’auteur choisit de s’orienter vers des éléments de fantasy légers, comme ce fut déjà le cas dans Les Lions d’Al-Rassan. Toutefois, cette fantasy penche davantage vers ses derniers récits que sont Les Chevaux Célestes et Le Fleuve Céleste . Outre les deux lunes, la présence d’esprits marquera le jalon ainsi que le lecteur.  Ces êtres spirituels demeure assez rares. Les critères  pour atteindre ce statut, indépendant de la volonté de l’entité, sont assez dramatiques puisqu’il faut décéder dans des conditions injustes associées à attitude héroïque…

Danika Gradek se voit « escortée » par son grand-père, par exemple.

Il faut noter que la présence désincarnée peut se consumer dans une dernière prouesse, consommant instantanément son essence spirituelle.

Un enthousiasme modéré

Guy Gavrile Kay met en scène 5 personnages, hommes et femmes confondus, les esprits mis à part.

Abordons le cas de Danica, fougueuse amazone selon la maison d’édition (c’est le cas). Son histoire est dramatique : sa famille a fui son village natal sous les coups et les flammes. Lors de cette nuit déchirante, elle a perdu son grand-père et son paternel. Son frère a été enlevé par les asaharites. Elle s’est réfugiée à Senjan, une cité pirate qui mène la vie dure à ses ennemis. Désormais, elle a un but ultime : tuer des asharites… Son parcours, à l’image de ses motivations m’ont laissée sur la réserve. Le personnage n’est pas mal écrit, mais elle est un peu trop inflexible pour vraiment me séduire.

Elle reste toutefois, une des sources majeures des scènes d’action dans le roman, et sa dextérité au tir est remarquable.

Pero Villani est dans la même tranche d’âge. C’est un jeune peintre en devenir de Séresse à qui le conseil confie une mission de la plus grande importance : espionner le maître d’Asharias sous le couvert d’une peinture. Les enjeux vont vite dépasser l’imagination du jeune homme qui va se prendre les pieds dans un nid de frelons (orientaux). La seconde partie de son histoire est passionnante, alors que le périple initial est un peu longuet…

Marin Djivo connait un chemin tout aussi tortueux que le jeune peintre. D’ailleurs, il se rencontre en début de roman sur le bateau de la famille Djivo de Dubrovnik. Par son intermédiaire, l’auteur en profite pour nous dépeindre un autre pendant de cette mosaïque balkanienne, avec des luttes d’influence tout aussi mortelles que partout ailleurs sur le pourtour méditerranéen…

Les trajectoires des deux hommes empruntent des voies similaires, avec une première partie qui aurait mérité d’être accélérée, et une seconde bien plus captivante.

Vous pourrez également vous familiariser avec Damaz, un « adolescent » de 14 ans, enlevé une nuit à sa famille pour être formé comme djanni, le corps d’élite du calife (les fameux janissaires). Malgré son âge, il s’avère déjà un soldat efficace et redoutable. Guy Gavriel Kay réussi à en faire un protagoniste intrigant et crédible, avec des choix difficiles devant lui.

Finalement, le personnage qui m’a captivée fut Léonara Valeri, subissant les événements avant de les retourner en sa faveur  et de devenir maîtresse de sa destinée. Elle bénéficie de plus de finesse que les autres ainsi qu’une pointe de filouterie qui lui sied à merveille. Les intrigues de cours qui se profilent sont à sa mesure, et il est un peu dommage de ne pas avoir exploité davantage cette veine. Il en va de même avec un personnage secondaire, ambassadeur de son état qui a un énorme potentiel, éteint sur l’autel de la vengeance mono-dimensionnelle de Danica.

Guy Gavriel Kay nous brosse – à l’image de cette zone – une mosaïque d’histoires personnelles illustrant par touches plus ou moins appuyées, l’Histoire mouvementée et conflictuelle d’une partie des Balkans. Il me manquait pour  être totalement émerveillée, une intrigue d’une seul tenant, menée d’un bout à l’autre; j’ai eu la sensation de papillonner.

Mais entendons nous bien, si ce roman de Guy Gavriel Kay devait être le niveau plancher de toute la fantasy écrite, je signe de suite pour lire l’ensemble de ces romans!

Ce livre est pour vous si :
  • vous aimez la fantasy historique
  • vous souhaitez lire un roman avec des personnages charismatiques, même des méchants.
  • vous adorez Guy Gavriel Kay
je vous le déconseille si
  • vous détestez tout ce qui est magique
  • c’est un pavé! Non merci.
  • vous chercher quelque chose de plus linéaire et qui pète dans tous les sens
Autres critiques :

BoudiccaLivrement

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36 réflexions sur “Enfants de la Terre et du Ciel – Guy Gavriel Kay

  1. J’ai beaucoup aimé la découverte que j’ai faite de Kay avec Tigane mais ce que tu dis sur le fait de papillonner me fait un peu peur pour cette histoire. Je vais peut-être d’abord me tourner vers d’autres titres de cet auteur avant de prendre celui-là ^^!

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  2. Ta critique m’inquiète. Guy Gavriel Kay est un grand parmi les grands niveau character-building, et l’idée qu’il fasse débarquer dans son dernier bouquin ce qui ressemble à la sempiternelle guerrière farouche pourrait donner une vilaine entaille pour sa réputation… Sinon, ça semble un très bon livre, évidemment.

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  3. Tout à fait d’accord avec ton avis 🙂 J’ai aussi été très séduite par le personnage de Léonara que j’aurais aimé voir un peu plus. Hâte de lire le prochain roman de l’auteur (qui, d’après ce que j’ai compris, devrait se dérouler dans la même zone géographique).

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    • Oui tu as le temps de voir.
      Il ne m’a pas autant enchantée et je peux pas dire le contraire dans ma critique. L’absence d’une intrigue se déroulant d’un bout à l’autre et y mélant les divers personnages – ou pas, m’a un peu déstabilisée sur celui-ci. Je ne m’y attendais pas, sachant qu’il s’agissait d’une mosaïque d’histoires j’aurai peut-être eu une autre impression finale. Or j’ai attendu le développement pendant un long moment d’une trame ou d’une autre avec davanatge d’envergure.

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  4. J’ai su apprécier ce roman polyphonique qui présente un joli travail d’angles de vue. C’est vrai que l’intrigue parait morcelée pour le coup. Et contrairement à ses romans précédents, je ne me suis pas attachée aux personnages mais je le ne vois pas non plus comme un aspect négatif de ma lecture.

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  5. Ah je m’attendais à une victoire par KO mais c’est un avis bien modéré pour un GG Kay ^^ Ah les Balkans, terre d’histoires et de folklore si peu exploité dans nos littératures occidentales. Mais je vais rester sur Tigane et les Lions pour démarrer son oeuvre.
    Bel article !

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    • Ah, bien non. GGK n’a pas réussi à totalement me charmer ce coup-ci. Pas mal toutefois.
      Les Balkans sont fort captivants, et là c’est une réussite.

      Tigane et les Lions sont une valeur sûre, même incontournable dans sa bibliographie.

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  6. Un pavé magique historique, voilà qui ferait très bien sur un bandeau rouge.
    Malgré tes enthousiasmes sur cet auteur, et les bémols sur celui-ci, ce n’est décidément pas ma tasse de thé.
    Il a écrit combien de romans ? Comme tu en parles depuis peu, j’ai l’impression qu’il sort des livres régulièrement.

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    • le titre du bandeau est parfait!!!

      Non, je ne pense pas du tout que ce soit une lecture qui te passionnera, même si je ne serais pas forcément aussi certaine en ce qui concerne les Lions.
      Celui-ci n’est vraiment pas pour toi.

      De mémoire, il a écrit 2 trilogies (Sarance, Fionavar) , 1 dyptique (le pays Céleste), 5 autres romans (Ysabel, Les Lions, La chanson d’arbonne, Tigane et celui-ci).
      Je l’ai découvert il y a 2 ans, et j’adore. 🙂

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  7. Bonjour,
    Le hasard m’a fait découvrir ce blog qui me plait beaucoup…
    De Guy Gavriel Kay, j’ai vraiment beaucoup aimé « Tigane » et « La chanson d’Arbonne », Je l’ai découvert il y a des années avec « La tapisserie de Fionavar » qui reste pour moi un excellent souvenir très facile à lire…

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    • Merci beaucoup!

      Il te faut lire également les Lions, et le dyptique sur la Kitaï (le pays Céleste). J’ai tout simplement adoré Tigane. Je lis La chanson d’Arbonne.

      Excellent auteur.

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  8. Le manque de linéarité pourrait me contrarier effectivement, surtout vu sa taille ! Mais dans tous les cas, il me reste d’abord à plonger dans les Lions (ça fait un bail que je dis ça, je saaais). Et une fois que je serai tombée amoureuse de sa plume, tout me semblera encore plus alléchant, je n’en doute pas ! 😉 Bravo pour cette chronique de haut vol, en tout cas 😀

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