La Croisade Éternelle – Victor Fleury

La Prêtresse esclave, tome 1

Bragelonne

Victor Fleury a bonne presse dans la blogopshère surtout depuis la publication de L’Empire Electrique, un recueil de nouvelles steampunk. Les retours remarquaient une plume emballante associée à une belle créativité. L’Homme Électrique a confirmé ses prédispositions, et poussé ma curiosité de plus belle.

Quand il choisit de déployer son talent dans la fantasy, inutile d’insister longuement sur l’attrait d’un tel roman aux yeux du lutin que je suis. Mes attentes étaient élevées dès la publication de ce premier volume de La Prêtresse Esclave, elles ont été considérablement renforcées par les excellents retours de cette Croisade Éternelle.

J’ai donc entamé la lecture avec des frissons d’anticipation, mais également un petite crainte : allais-je moi aussi succomber à ce récit ou rester à quai?

« Au cœur de la capitale d’un empire millénaire, la prêtresse Nisaba est la principale servante de l’héritier royal, Akurgal. La jeune femme a de quoi haïr la famille régnante, même si elle est forcée de servir son maître sans protester. Or celui-ci est réputé pour sa décadence, utilisant sans mesure ses oblats, des esclaves sacrés dont il s’est approprié les sens grâce à ses pouvoirs mystiques – ces derniers sont contraints de partager ses sensations, douleur, plaisir, mémoire et plus encore.

Mais quand Akurgal décide de partir en croisade aux confins de l’empire, Nisaba se voit obligée de le suivre en laissant son propre fils derrière elle. Alors que secrets et complots semblent se multiplier dans l’entourage de son maître, la prêtresse esclave parviendra-t-elle à le protéger, et à sauver l’empire tout entier de la ruine ? »

Un univers qui dégage une belle ambiance

Le livre s’ouvre sur une très belle carte présentant la zone géographique où se déroulera l’intrigue qui nous occupera lors de cette trilogie. Nisaba, Akurgal et compagnie nous ferons découvrir le Pays-des-deux-Fleuves, entouré par l’Archipel au Nord, le grand désert au Sud, et surtout Orshashi à l’Est que nous ne tarderons pas à arpenter.

La carte présente des traits familiers avec une partie du monde assez proche de notre bonne vieille Europe. De plus, si cette similitude ne vous frappait pas, l’annotation « L’Empire d’Ubuk » surmonté d’un mammifère ailé achève de convaincre de la filiation mésopotamienne (Ubuk pour Uruk, par exemple. Subartu ayant conservé son nom d’origine 😉 ).

 

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Aussi, à l’ouverture se déclenche dans mon esprit un néon : Gilgamesh! hum, je vais me régaler!

En effet, outre les termes architecturaux mésopotamiens, nous avons bien le Tigre et l’Euphrate, des zones désertiques,  des cités-états au Sud, un panthéon de divinités associées à cette période : Enlê (Enlil), Akan,… et d’autres plus mineurs. Nous sentons en arrière plan, l’Epopée de la Création avec Madruk poussé à tuer Tiamat, fragilisant l’enveloppe des tréfonds. Enlil, ici Enlê, le Roi des Dieux, donne la vie à la royauté, au « premier humain » par son sang.  Cet acte n’est pas désintéressé. Les hommes doivent travailler pour les dieux, entretenir leurs temples, faire des offrandes, procéder à des sacrifices : la force divine en dépend pour contenir le monde souterrain. Si le service des dieux n’est pas bien effectué, les êtres humains seront fautifs et subiront leur vengeance, et en premier lieux, celle des tréfonds…

J’avoue que j’en attendais davantage dans l’immersion assyrienne, mais ceci est une simple et légère réserve toute personnelle. Je me souvenais du roman de Xavier Mauméjean, Car je suis légion qui s’appuyait, lui aussi, sur la culture mésopotamienne, avec un cadre mésopotamien très immersif. Or, les deux textes diffèrent dans l’utilisation de cette ambiance antique. Pour le mieux.

Ce long laïus relatif à la culture religieuse empruntée par Victor Fleury ne concerne pas uniquement l’aspect du cadre immersif pour le lecteur, bien qu’elle y participe largement. La religion est primordiale dans ce peuple et pour ce peuple.

De l’origine magique

Pour appuyer cet héritage et la hiérarchie imposée dans le clergé, les souverains et leur descendance porte des titres sans équivoque : Reine-Prêtresse, Princesse-Prêtresse, Roi-Prêtre,… Non seulement la famille royale, issue d’essence divine, s’appuie sur ce patronage sensationnel, mais nous verrons que les actes des uns et des autres pourront être conditionnés au prisme de leur ferveur religieuse. Aussi, certains vénèrent-ils un prince tête-à-claque en raison de son origine alors que ce même prince peut s’attirer de fortes inimités de la part des membres d’un clergé.

Sans que la corrélation soit totalement établie pour tous, la magie dont bénéficie quelques personnages découlent de cette source divine, ou encore de la personnification de divinité.  Et il y a les tréfonds.

Deux sources thaumaturgiques sont identifiées facilement dans le roman, il y a l’Irradiance manipulée par quelques êtres, dont les plus puissants servent la royauté (les exorcistes), et une autre, puissante et sombre…

Certes, Victor Fleury ne s’attarde pas à développer un manuel spécifique sur le sujet, mais n’oublie pas de jeter des bases à son système magique. Dire que ce n’est que du bonheur, est une lapalissade, tant la fantasy francophone oublie prestement de se moderniser sur le registre. Je rejoins Apophis à ce propos, faisant partie des détracteurs du « Ta gueule, c’est magique!« . Voilà, au lieu d’un pamphlet politique, soignez votre univers!

Et cela ne se fait pas au détriment du fond!

En effet, une autre facette de cette thaumaturgie royale (et donc d’essence divine…) s’illustre par sa capacité à se lier à des hommes ou des femmes pour partager un don (la mémoire, capacité martiale,…), un sens  (ouïe, la vue, le toucher), ou une faculté (le sommeil, la parole,…). Pour cela, un liaison spéciale est créée entre la personne royale et le futur oblat. Nisaba, notre héroïne partage le toucher avec Akurgal. Ainsi ressent-elle tous les contacts qu’Akurgal reçoit, initie ou subit…. L’imagination étant efficace, je vous laisse vous faire votre idée de l’enfer potentiel d’une telle situation. Nisaba ressent aussi bien la délicate caresse d’une étoffe sur la peau du jeune homme que sa douleur, ou encore le plaisir charnel qu’il partage avec la compagne d’un soir…

Pourquoi un tel châtiment ?  Vous le comprendrez en lisant le roman, même si à l’origine il n’était pas question de sanction….

Quand je vous dis qu’il est tout à fait possible de nous offrir un roman de fantasy doté dun système de magie « étudié » tout en ayant un fond!

Une intrigue séduisante

Akurgal est un jeune prince plutôt caractériel, imbu de sa personne et porté sur l’inconséquence. Le jour ou sa mère, la Reine-Prêtresse, doit l’introniser en tant que successeur lors d’une cérémonie religieuse d’envergure, ce dernier cours la gueuse et se soûle…

Erreur fatale, les conséquences ne se font pas attendre : sa demi-sœur, présente à temps, elle, prend sa place.

La déception le dispute à la colère, pour les uns et les autres. Akurgal ne voit qu’une échappatoire : seul un fait d’arme sensationnel pourrait le rétablir dans ses droits et titres ! Il décide de se lancer dans une croisade périlleuse à l’Est en plein domaine d’Orshashi!

Les oblats ne peuvent s’éloigner de leur maître; aussi notre héroïne est-elle contrainte de le suivre et de laisser son fils entre des mains pas si diligentes. Il est bon de noter que Hadon, son fils, ne connait pas la nature de leur lien, et que vous en découvrirez les raisons lors de la lecture.

Autant ce prince arrogant et vindicatif m’a quelque peu agacée, autant j’ai été séduite par Nisaba. Elle possède un fort tempérament comme de nombreuses protagonistes. Elle est indépendante, et quand on songe à son « esclavage » d’oblate, vous comprendrez combien cette contrainte est difficile à vivre : tirer sur une chaîne qui ne cesse de vous rappeler votre condition… Pudique, volontaire, déterminée et addict aux drogues!!! Enfin un personnage féminin qui déménage sans incarner le cliché de la femme bad-ass distribuant des torgnoles.

A cela s’ajoute une forte dose d’ambiguïté, aussi bien dans son passé, que dans certains de ses actes. Elle maîtrise l’Irradiance, qui en fait un personnage de premier plan dans cet univers, mais que sa condition d’oblat et son histoire ternissent largement aux yeux de tous. Ses relations avec la famille royale ne souffre d’aucune ambiguïté, elles : la haine… (excepté le prince).

La Croisade Éternelle est le premier roman de fantasy de Victor Fleury, et il démarre sur les chapeaux de roue. Ce tome introductif à la trilogie se dévore malgré un rythme un peu déséquilibré sur sa première moitié. L’héroïne ne laissera pas indifférent avec son tempérament affirmé et ses zones d’ombre. L’intrigue est suffisamment tortueuse pour maintenir un fort intérêt ainsi que le suspens et les flashback permettent de s’immerger dans cet univers de caractère.

Ce livre est pour vous si :
  • vous savourez les romans aux ambiances « exotiques »
  • vous souhaitez une fantasy moderne
  • vous êtes fan de roman mêlant FUN et FOND
je vous le déconseille si :
  • Vous êtes misogyne
  • Vous tournez de l’œil à la vue du sang
  • Vous préférez les Mary Sue

PS : le livre a tenu bon cette fois-ci!

Autres critiques :

ApophisOmbre BonesXapur Aelinel,

 

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33 réflexions sur “La Croisade Éternelle – Victor Fleury

  1. (merci pour le lien)

     » au lieu d’un pamphlet politique, soignez votre univers! » : voilà, exactement, c’est très bien dit ! Je te décerne le tampon « Doomsday-Asteroid approved » 😀

    ça a été une très bonne surprise, pour ma part, tout comme, ces derniers temps, chez l’éditeur, pas mal de livres, aussi bien en Fantasy qu’en SF : Darien, Aurora, etc. Et quand je vois le programme de malade que Bragelonne a prévu pour 2020, je me dis que nous n’avons pas fini de nous régaler !

    Content que ce livre t’ait plu (pas vu une seule critique vraiment négative dessus pour le moment), et merci pour cette excellente chronique 😉

    Aimé par 3 personnes

  2. Merci pour le lien et heureuse que le livre tienne ce coup ci 😁 très très belle chronique, Victor sera content je pense de lire un retour qui a compris tout seul les inspirations mésopotamiennes ! Il a du m’éclairer personnellement :’)

    J’aime

  3. Je savais que tu allais apprécier 😀 C’est chouette de ne pas se tromper xD
    Très bon retour sur ce livre qui décidément semble faire une certaine unanimité. Bien que je ne sois pas très au fait de la culture mésopotamienne, j’ai quand même quelques bases géographiques et historiques grâce à l’école mais voilà, je pense que j’aurai reconnu l’ambiance mais qu’au niveau des déités et des cultes j’aurai eu plus de mal à reconnaître. C’est chouette d’avoir des auteurs qui osent autre chose, dans d’autres couches de l’Histoire que l’éternel Moyen-âge.

    Aimé par 1 personne

    • Oui, tu ne t’es pas trompé. J’ai vraiment aimé.
      Effectivement ce premier tome semble s’attirer de nombreuses éloges. J’aime l’Histoire antique, je suis loin d’être une experte, mais j’ai des notions assez variées, cela m’aide et je ne ressens comme un plus quand je lis un roman « qui ose » autre chose justement.
      J’arrive à une stade ou le médiéval-fantastique me sature, et il faut que ce soit vraiment ou pointu (Le Chevalier Rouge) ou magnifiquement écrit ou plein de peps pour m’emporter!

      Aimé par 1 personne

  4. On partage un avis assez similaire sur ce titre. À mon sens, le personnage de Nisaba est tellement fort qu’il nous aide aussi totalement à passer outre ce petit problème de rythme qui aurait autrement pu être plus problématique, justement ! 🙂
    En tout cas, j’ai hâte de lire le deuxième tome.

    Aimé par 1 personne

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