Rivages – Gauthier Guillemin

Un moment étrange, hors du temps

« On l’appelle le Voyageur.

Il a quitté une cité de canalisations et de barbelés, un cauchemar de bruit permanent et de pollution qui n’a de cesse de dévorer la forêt.

Sous la canopée, il s’est découvert un pouvoir, celui de se téléporter d’arbre en arbre.

Épuisé, il finit par atteindre un village peuplé par les descendants de la déesse Dana, une communauté menacée par les Fomoires, anciennement appelés “géants de la mer”. Là, il rencontre Sylve, une étrange jeune femme au regard masqué par d’impénétrables lunettes de glacier. »

A la lecture de ce résumé, il serait possible de se méprendre sur le récit proposé par Gauthier Guillemin, et de croire que ce dernier s’aligne sur les dernières productions de fantasy contemporaine à cadre urbain, baignant dans une dystopie déprimante. Il n’en est rien.

Outre un style agréable, l’auteur nous offre  un voyage, ou plus exactement une invitation au voyage. Tout simplement.

Mais les vrais voyageurs sont ceux-là seuls qui partent
Pour partir, cœurs légers, semblables aux ballons,
De leur fatalité jamais ils ne s’écartent,
Et, sans savoir pourquoi, disent toujours : Allons !

Ceux-là dont les désirs ont la forme des nues,
Et qui rêvent, ainsi qu’un conscrit le canon,
De vastes voluptés, changeantes, inconnues,
Et dont l’esprit humain n’a jamais su le nom !

Le Voyage – Charles Baudelaire

 

Une fantasy ?

Sans doute, êtes-vous surpris de lire cet extrait d’un long poème de Charles Baudelaire. Et pourtant, il reflète l’état d’esprit de celui que nous ne connaîtrons que sous la dénomination Le Voyageur. Je vais même plus loin car ces quelques vers illustrent la pérégrination qui vous attend au fil des pages, son fondement tout autant que sa finalité; que la vôtre également.

Nous pourrions nous poser la question de son appartenance à la fantasy tant l’immersion relève tout autant du roman que du récit ésotérique. En réalité, c’est assez simple, Rivages s’engage dans ces deux voies.

Outre un premier chapitre consacré à une mystérieuse et vorace citée, le roman se dirige vers une veine aventureuse dès que Le Voyageur franchit le périmètre d’influence de la communauté humaine. Il met en scène des groupes repliés, autonomes et assez frileux envers les étrangers. Puis, de borne en borne, d’arbre en arbre, notre homme s’enfonce plus profondément dans la frondaison, grâce à un don spécial : une forme de télé-transportation sylvestre. Ce don magique n’est pas le seul élément de thaumaturgie que vous rencontrerez dans Rivages.

En effet, Le Voyageur achève son périple (définitivement ? telle est la question) parmi une assemblée – assez hétéroclite – composée de rescapés du peuple Ondin, des êtres dotés de talents magiques et plutôt… redoutables. Ces dames portent des lunettes pour éviter tout accident…

Les Ondins sont des représentants de la tribu de Dana, déesse celte des Tuatha Dé Danann. Cette filiation est un élément central de notre histoire, car il ne s’agit pas pour le lecteur de suivre uniquement un long voyage sous la canopée.

Les Ondins, à l’image des celtes de Dana, sont originaires d’îles (des quatre îles de l’Autre Monde?) perdues depuis longtemps,  abandonnés sous les coups de boutoirs des Formoires, ennemis déclarés des Ondins. La retraite les a dispersé à travers la Forêt, parfois ils ont réussit à se regrouper comme ce fut le cas pour les Ondins de ce village. Leur principale aspiration s’avère bien simple : retrouver les rivages primordiaux.

C’est là qu’entre en scène notre Voyageur.

La quête personnelle qu’entreprit ce dernier trouve un accomplissement parmi ce peuple. Simplement, à ce carrefour, il lui appartiendra de bien choisir sa destinée.

L’aspect ésotérique associé à ce texte, conforte également le registre Fantasy du roman de Gauthier Guillemin, car nous sommes proche d’une forme de mysticisme.

Toutefois, le récit de l’auteur est bien loin des derniers cartons éditoriaux en la matière. Il n’y a aucun rapport avec du Games of Throne, du Gemmell, Terry Brooks, ou encore Sanderson. Rivages comporte bien une empreinte environnementale, qui ne l’apparente pas à la 5° Saison, tant leur propos et ton diffèrent.

Rivages se démarque de la Fantasy courante, et j’ai fait le rapprochement avec La Vallée de l’Éternel Retour de Ursula Le Guin, en raison de la poésie dégagée par le texte, le parti-pris, la petite dose anthropologiste et le rythme posé.

Une thématique de fond

Nous n’avons pas abordé un des points central : la Forêt. Gauthier Guillemin en fait un être, une entité unique, vivante (forcément), autonome, intelligente et dotée d’une personnalité alors qu’elle n’est composée que d’une multitude d’arbres distincts les uns des autres. Cette proposition m’a touchée. Elle épouse parfaitement la vision de l’apiculteur avec ses ruches. Une colonie comporte des milliers d’abeilles (de 25 000 à 100 000 en saison estivale), pour autant, elle est considérée comme une entité unique. Chaque ruche a sa personnalité, certaines plus patientes, douces,  d’autres plus travailleuses, plus agressives,… (note : un des seuls êtres vivants immortels, en théorie)

Ainsi, la Forêt de Guillemin fait des choix, discrets certes, mais réels. Elle est consciente, moins passive que l’immobilité des arbres le laisse supposer. En total constate avec le bruit et la fureur de la cité que nous découvrons au début, qui dégage une aura néfaste. Il n’est pas difficile d’y lire une sensibilité pour la nature.

Toutefois, au-delà ce cette considération, la quête personnelle du Voyageur est la notion qui pousse la réflexion plus avant. Une quête quelque peu existentielle, à la recherche de la réalisation de soi, et qui passe par une fuite en avant, loin de la réalité.

Le style et autres remarques

Le style de Gauthier Guillemin m’a enchantée. Il concorde parfaitement avec cette fable sylvestre. Simple dans sa structure, avec un champ lexical fort agréable. Ce n’est pas tous les jours que le lecteur côtoie « exhalaison » dans un roman de fantasy (Les jambes en l’air, comme une femme lubrique/ Brûlante et suant les poisons/ Ouvrait d’une façon nonchalante et cynique/ Son ventre plein d’exhalaisons – Baudelaire). Les métaphores sont également plus recherchée (fini la cour de récré de l’école maternelle). Il est fort agréable de voir un auteur de fantasy qui ne prend pas son public pour des illettrés.

Pour autant, le roman n’est pas parfait. Il y a quelques oppositions abruptes. Je ne m’explique toujours pas celle liée à la connaissance…

 

Enfin, le roman ne conviendra pas à tous les lecteurs, il possède un côté OLNI qui défrisera les moustaches de ceux qui cherche l’aventure et la torgnole (il n’y a « que » 6 pages de baston).

Rivages se démarque des romans de fantasy actuels, il en emprunte les marqueurs pour mieux s’en détacher. Rivages est une Ode à la Forêt, à la nature et surtout à l’introspection. L’aspect contemplatif, léger malgré tout, pourra dérouter quelques lecteurs. Cette quête existentielle s’orientant vers la recherche de sa réalisation, passe par une fuite en avant, loin de la réalité. N’est-ce pas un peu ce que nous faisons en nous immergeant dans l’Imaginaire ?

Malgré les quelques maladresses d’un premier roman, j’ai un coup de cœur pour cette étrange fantasy.

« Le seigneur des anneaux est assurément le livre préféré des Ents et des lutins, mais Rivages pourrait sans doute les séduire. » Et c’est le cas.

Autres critiques :

Mon TrollOrionL’ours inculte Aelinel –  AcanielJust a wordXapurElhyandra

Ce livre est pour vous si :
  • vous souhaitez découvrir une fantasy qui se démarque
  • vous voulez lire un roman d’ambiance et apaisant
  • Vous souhaitez une virée sylvestre
je vous le déconseille si :
  • Encore de la fantasy
  • A l’ombre des frondaisons… j’ai peur de tomber sur un os
  • Quoi! Il n’y a pas de sang ?????????
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Roman lu dans le cadre d’un SP. Merci, je me suis régalée.

29 réflexions sur “Rivages – Gauthier Guillemin

    • mon p’tit loup, je te vois bien lire ce roman. Vraiment!
      Merci du compliment, surtout que la conclusion a été difficile à délicate à tourner alors que le reste était fluide; Je savais ce que je voulais dire et comment exprimer mon ressenti.

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  1. Une magnifique critique, merci. Pour la petite histoire, j’ai longuement hésité à ouvrir chaque chapitre par une strophe du « voyage ». Concernant l’opposition liée à la connaissance, il faudrait en discuter tranquillement ; c’est peut-être trop lié à mon histoire et donc abscons. Pour faire court, j’ai parfois l’impression que la culture et l’érudition sont des facteurs clivants, et cela me dérange.

    Aimé par 1 personne

    • De rien, j’ai vraiment apprécié ce chemin.
      je suis ravie d’avoir « senti » Le Voyage de Baudelaire dans ce récit. Ouvrir chaque chapitre par une strophe ne m’aurait pas choquée… Pas certaine que nous soyons si nombreux à connaître ce poème.

      Je me demande dans quelle mesure Baudelaire a inspiré ce roman, d’ailleurs.

      On sent dans le récit cette opposition sans en comprendre réellement la portée et l’origine. Pour l’aspect clivant nous entrons dans un débat plus philosophique! 😉

      ce sera bien volontiers d’échanger et de discuter tranquillement. 🙂

      Aimé par 1 personne

  2. « A l’ombre des frondaisons… j’ai peur de tomber sur un os »
    Je l’ai trouvé l’os !
    Ce n’est pas un roman que j’aurais lu sans le recevoir en SP, mais je voulais sortir des sentiers battus, balisés. Pas une réussite, mais c’est surtout une question de goût. Mais j’ai bien aimé l’idée de l’ode à l’imaginaire

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