Binti – Nnedi Okorafor

Actu-SF

Dans ce joli livre publié par les éditions Actu-SF, deux novella attendent le lecteur. des textes pas des moindres, puisque Binti de nnedi Okorafor est lauréat des prix Hugo 2016 & Nebula 2015.

Les deux récits s’enchaînent goulument, un week-end permet de les dévorer avec avidité.

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Binti

Binti est une jeune femme issue d’une culture complexe, fermée et repliée sur elle-même, les Hambis.  Ce peuple vit dans une contrée aride, presque désertique où l’eau est un bien des plus précieux. Ils recouvrent leur corps et leur cheveux d’un onguent à base d’huiles végétales très parfumées (ainsi qu’antiseptiques) et d’argile. La substance souple et rouge brique cache leur peau d’ébène.

Vivant à l’écart, en raison de leur préférence pour l’autarcie; la défiance est installée entre les Hambis et un autre peuple les Kouchis d’un blanc éclatant. La méfiance et l’ignorance conduisent à des comportement discriminatoires et parfois à des manifestations racistes caractérisées (certains propos déclarés, et des attitudes – de part et d’autre- plus passives).

Binti est douée en mathématiques, il s’agit presque d’une relation symbiotique et pure avec les chiffres, les équations, les intégrales,.. Elle est une Maîtresse harmonisatrice malgré son jeune âge et seconde son père qui tient une boutique artisanale de création d’astrolabes (des smartphones uniques adaptés individuellement pour simplifié).

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Son don pour les maths confine au génie absolu, à tel point qu’elle est invitée à la plus grande université de ce monde, tout frais payés…. La seule et la première de sa tribu à attirer l’attention de la prestigieuse institution, un rêve, une opportunité pour la jeune femme. Mais, interdit par ses parents qui désapprouvent une éventuelle sortie hors de la communauté (je rappelle la culture fermée de la dite tribu). Son avenir parmi les siens est tracé : reprendre la boutique de son père, se marier, fonder une famille. S’en aller, signifie l’exil; ce peuple la considèrerait comme une paria car se mêler aux autres n’est pas acceptable, et s’offrir à l’université est vu comme une forme d’esclavage.

Binti s’enfuit par une nuit noire, direction l’université d’Oomza sur une autre planète.

Les premiers contacts avec autrui sont assez brutaux : les kouchis dévisagent indécemment la jeune étudiante, accompagnant leur examen de paroles blessantes. Heureusement, un fois dans le vaisseau, ces futurs camarades d’université font preuve d’ouverture d’esprit, de saine curiosité.  Elle s’y fait ses premiers amis, et commence à tomber sous le charme d’un jeune homme. C’est le moment que choisissent les «Méduses» – qui ont l’apparence de méduses- pour frapper. Binti échappe miraculeusement à l’anéantissement!

Je ne vais pas en dire plus car je ne souhaite pas dévoiler les ressorts et les éléments qui font tout le charme de cette novella. Nous sommes dans le registre de La stratégie Ender d’Orson Scott Card ou encore de La Guerre Éternelle de Joe Haldement, romans dans lesquels un conflit éclate et dure par absence de communication entre espèces.

En cela, la novella de Nnedi Okorafor n’est pas originale et n’atteint pas les sommets de ses aînés; il faut relativiser, la trame se déroule sur une centaine de pages. Les thématiques sont claires comme l’eau de roche : racisme, intolérance, liberté, pression sociale sont classiques, et nous pourrions lui reprocher une approche et un dénouement presque un peu trop simpliste. Malgré ce bémol, j’ai beaucoup aimé la subtilité du traitement du racisme et de l’ostracisme qui ne sombre pas dans le contraste absolu, et un manichéisme qui sied mal à la SF.

Je n’oublie pas que nous sommes dans un format court, et qu’il est difficile d’explorer en profondeur des thèmes délicats en une centaine de pages.

Cependant, deux points pourraient faire tiquer certains lecteurs. Le premier tient en l’univers exposé – qui mérite d’être plus développé, mais encore une fois : 100 pages – l’auteur nous présente une planète avec quelques soucis de tolérance (c’est peu dire), et un univers avec des êtres vivants et intelligents qui vivent en harmonie, président des université, bref ou la tolérance va de soi. Non, ce n’est pas paradoxal et contradictoire et tend à enrichir l’univers avec des contrées différents par ses meurs et ses comportements.

J’ai beaucoup aimé la créativité de l’auteur, et la façon dont elle parvient à rendre vivants et cohérents les Méduses, avec un background et une philosophie qui expliquent leurs actes. L’auteur ne nous propose pas de simples antagonistes avides de sang!

Enfin, Binti est un personnage qui marque d’entrée, la narration à la première personne renforce cet attachement. Nous découvrons une jeune femme qui a la tête sur les épaules, des frayeurs, de l’ambition, du courage et une foi en son destin telle qu’elle brave les interdits familiaux et culturels. D’ailleurs la minutie accordée à décrire par des petites touches et des détails la richesse de ce peuple renforce grandement à la fois le personnage et l’univers en création.

La traduction de Hermine Hémon est remarquable et respecte le rythme et la jolie plume qui m’a tant séduit.

Du fond, de la créativité, Binti est une novella très prometteuse qui met en lumière une jeune femme pleine de fougue. Ce space opera oppose le peuple des Méduses aux êtres humains, un conflit qui surgira dramatiquement dans la vie de la jeune femme. Les thématiques sont abordées avec élégance, avec des mathématiques au cœur de l’équation. L’obtention des deux prix font grimper des attentes qui seront sans doute déçues en raison du format trop court pour exploiter son potentiel, et d’un traitement YA. Mais pour 100 pages, c’est plutôt très engageant.

 

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Le livre des éditions Actu-SF contient les deux premiers tomes de la trilogie originelle. Le premier texte séduisant, malgré des accents YA qui ne séduiront pas tous les lecteurs, est suivi par un récit tout aussi agréable.

Si la résolution de la trame reste assez classique et même simple, la créativité de l’écrivain, la place des maths et la thématique du racisme traité avec nuances m’avaient enchantée. Delà à lui attribuer deux prix prestigieux, je ne m’avancerais pas, car je n’ai pas lu l’ensemble des novellas en compétition.

Dans l’épisode précédent… ou presque.

Ainsi, la jeune Binti a-t-elle pris la poudre d’escampette pour honorer une prouesse intellectuelle de premier ordre : elle a été reçue en mathématiques à la prestigieuse université de Oomza située dans un autre système solaire.

Lors du voyage, leur vaisseau-poisson fut abordé par une troupe de Méduses belliqueuses qui tua tous les passagers (futurs élèves) et membres d’équipage, sauf Binti, protégée par son edan, un artefact ancien avec lequel elle entretient une forme de symbiose (mathématique). Bref, elle s’en sort avec brio…

Elle se lie d’amitié avec Okwu, un de ces E.T. mous et gélatineux, mais redoutables. En échange de son implication héroïque et réussie, le peuple des Méduses, lui fait don de leurs tentacules à la place de sa chevelure lors d’une manipulation génétique particulièrement douloureuse (physiquement et psychologiquement).

L’année universitaire de Binti se passe cahin-caha, son apparence spéciale et son statut ne lui permettent pas d’établir des liens avec les autres élèves (ses pairs ont été massacré lors du voyage dans Binti…), elle entretient donc des relations avec les seuls Okwu et un de ses professeurs qui l’aide aussi à explorer les « facultés » de son edan.

Les spécificités du peuples Méduse et leur background ont été vu dans le tome précédent, toutefois, il y a des éclaircissements au sujet de leur psychologie.  Nous en apprenons également davantage sur les causes de cette symbiose mathématiques, en relation avec la technologie, et même sur le mystérieux artefact, l’edan. Tous ces éléments donnent de la consistance à cet univers mis en place même si l’auteur ne cherche pas à créer un roman de hard-sf.

Des thématiques fortes, parfaitement traitées

C’est surtout la culture Himba qui bénéficie d’un éclairage tout particulier. Vivant assez recluse, aux marges du désert, son particularisme s’avère particulièrement soigné et complexe. La femme tient un rôle presque exclusivement domestique, et même si elle occupe un métier technique (Maître hamoniseur pour astrolabe dans le cas de Binti), le mari conserve les rennes officielles et représentatives de la boutique… Le retour au bercail de notre jeune mathématicienne qui a rompu avec les traditions familiales sont promettent d’être en butte avec un certain scepticisme communautaire voire familial…

Les Himbas souffrent d’une forme de discrimination de la part des Koushs, un racisme latent plus ou moins déclaré qui les écartent doucement mais sûrement des fonctions élevées. Nnedi Okorafor n’en reste pas à ce constat – presque bateau. Elle brosse le tableau d’une culture qui se conforte dans cette « impasse », et qui éprouve elle-même un racisme vis-à-vis des Koushs, ne cherchant pas à se mêler à ce peuple impur (ils ne couvrent pas leur corps d’Osee, un baume à base d’huiles végétales et de terre rouge). De plus, dans les deux cultures, la présence d’Okwu dérange, rend inconfortable, déclenche des réactions de rejet.

L’auteur est plus subtile que je ne le suis dans ces lignes, car tout est présenté avec des suggestions, un petit commentaire comme quoi, les himbas sont purs car ils portent ce baume, le pèlerinage, acte himba de pureté permet une considération particulière chez eux,…

Mais, c’est avec le peuple du désert – une population avec qui ils partagent nombres de caractéristiques (ils sont noirs), et liens familiaux – que la ségrégation se meut en hostilité. Une culture humaine encore une fois travaillée, et d’inspiration sans doute africaine. Binti, elle, a ouvert les yeux.

Autre thématique forte, traitée avec sensibilité et vraisemblance a trait avec les expériences traumatisantes.

Malgré une vie qui semble toute tracée vers la réussite et les honneurs, Binti s’avère très affectée. Non seulement s’habituer aux tentacules est une épreuve en soi, mais la présence quotidienne de Okwu est un rappel vivant et constant de son statut de survivante. Elle est partagée entre la culpabilité et le soulagement de vivre, présente donc les signes d’un stress post-traumatique conséquent (accès de colère, cauchemars, peurs irraisonnées,…)

Aussi, décide-t-elle de se rendre sur Terre, pour participer à ce pèlerinage « detox » qui lui lavera l’âme et le corps. Okwu décide de l’accompagner. L’accueil ne sera pas aussi glorieux qu’escompté mais l’occasion de découvertes… intéressantes.

Malgré des choix forts et casse-geules, Nnedi Okorafor propose un texte loin d’être larmoyant, moralisateur ou une tribune politique. Sa plume tout aussi créative que sensible est chatoyante, et surtout positive. C’est particulièrement plaisant de lire des textes « solaires » avec de telles thématiques, tâche facilitée car Binti est un personnage particulièrement rayonnant.

Voici une novella qui a relevé toutes les promesses contenues dans son tome d’ouverture. Si initialement, le premier volume avait un petit parfum de Young Adult de grande qualité, Nnedi Okorafor a sauté le pas et nous propulse dans un space opera sensible et subtil centré sur les difficultés relationnelles entre peuples ou personnes ayant de fortes discordes – ou conflits. J’ai été enthousiasmée par cette lecture.

Ce livre est pour vous si :
  • vous aimez les personnages féminins haut en couleurs
  • vous est fan de maths
  • vous aimez la SF positive
je vous le déconseille si
  • vous êtes allergique au format novella
  • vous ne supportez pas de lire de la SF, même de qualité
  • les méduses vous font faire des cauchemars
Autres critiques :

LE TrollLe dragon galactique

Autre tome :
Tome 2
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26 réflexions sur “Binti – Nnedi Okorafor

  1. Lu aussi, ma chronique arrivera jeudi je pense. Merci pour la tienne, on partage globalement le même sentiment 🙂 J’ai beaucoup aimé les deux novellas, mais en fait j’ai du mal à considérer que ce sont des textes distincts car pour moi ça aurait très bien pu former un roman unique. Après l’autrice coupe comme elle veut en soi :p
    D’ailleurs pour le Maki tu valides deux nouvelles ou une seule avec cette lecture ?

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  2. Je suis tentée mais pas encore complètement convaincue. Le traitement Y.A. et la brièveté du format m’inquiètent un peu. Je vais donc encore attendre et me concentrer sur les titres plus adultes de l’autrice qu’il me manque 😀
    Merci pour la chronique !

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  3. Ha du coup tu as regroupé tes chroniques sous ce billet, je vais plutôt linker celui-ci dans ce cas. Moi aussi j’ai beaucoup apprécié ma lecture. Et tu me rappelles également que je peux compter cette lecture dans le Projet Maki !

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