Dune – Frank Herbert

Il ne faut pas juger avec nos yeux instruits d’aujourd’hui mais avec nos yeux aveugles d’hier – Maurice Druon

J’ai enfin lu et adoré ce roman phare de la science-fiction!

Pendant de longues heures, mon cerveau enchanté, émerveillé par ce voyage aux confins des galaxies s’est évertué à trouver une approche pour vous en parler. Effectivement, que dire quand tout a été dit ? Qu’écrire quand tant de brillants auteurs, écrivains, chroniqueurs ont noirci maints essais et billets au sujet de ce roman hors norme ? En somme, qu’ajouter de pertinent pour vous convaincre de lire Dune que vous soyez un amateur de littérature de genre, ou blanche ?

Mon choix se porte sur la simplicité : donner à la fois mon ressenti et contribuer modestement à l’excellent article rédigé par Orion sur l’appartenance de Dune à la Science-Fiction.

Dune, un roman de SF

L’épaule d’Orion – sur laquelle il fait bon se reposer – a publié il y a quelques temps un excellent article relatif au débat qui anime parfois le milieu littéraire quant à savoir si Dune est un roman de SF ou un roman de fantasy. Désormais, la frontière entre les genres s’avère bien poreuse avec l’évolution notamment de la fantasy, et attirer dans ses filets un roman de cette trempe serait une fabuleuse aubaine.

Quelle eau puis-je apporter à l’argumentation d’Orion ? Quelques rappels littéraires me semblent appropriés.

La création du prix Hugo date de 1953, et de 1966 pour le prix Nebula. En parcourant les titres des récipiendaires, nous pouvons constater que sur le format long (novels), la littérature de fantasy ne rencontre pas les exigences en terme de fond de ces récompenses car il faudra attendre de nombreuses années pour qu’un roman de fantasy inscrive son nom sur les tablettes.

Néanmoins, la fantasy ne restera pas étrangère aux célébrations. Il faudra attendre 1990 pour que le Locus en récompense une avec Tehanu de Ursula Le Guin , et, Harry Potter de Rowling en 2001 pour qu’un prix Hugo du meilleur roman soit attribué à une oeuvre de fantasy.

Depuis les années 60, les récompenses s’orientaient vers les oeuvres de science-fiction. Heinlein s’est vu récompensé de 3 prix Hugo pour Starshiptroopers, et son jumeaux opposé En Terre Etrangère, puis Révolte sur la Lune. Zelazny fut un lauréat pour Seigneur de Lumière, un roman de SF malgré un titre romanesque. Nous avons également Adliss avec le fameux Le Monde Vert, sans oublier les auteurs Vance, Niven, Simak…. sans être exhaustive et pour n’évoquer que la période dans laquelle s’inscrit Dune. Je glisse, à tout hasard, que la série TV Star Trek a elle aussi remporté quelques prix.

Ces choix découlent d’une époque et d’un état d’esprit.

Avant les années soixante, la fantasy vit un âge d’or avec des héros vivant des aventures grandioses. Les après-guerre se ressentent dans un besoin de vie et d’appétit pour l’héroïque. La fantasy en est un excellent vecteur. (Je n’oublie pas toutefois qu’il y a des exceptions, L’Épée Brisée de Poul Anderson, par exemple datant de 1954).

Puis, à compter de la fin des années 50, plusieurs événements et mouvements influencent durablement lecteurs, écrivains, et éditeurs : le renforcement de la Guerre Froide, le Vietnam, l’assassinat de Kennedy, la crise de Cuba, la situation des afro-américain,… Il y aura aussi Woodstock en 1969. La fantasy amorce alors un doux virage.

En 1966, un peu plus de 10 ans se sont écoulés depuis la publication d’un monument de la fantasy, Le Seigneur des Anneaux de Tolkien, qui a marqué durablement les esprits et la créativité des auteurs. Il suffit de constater le nombre impressionnant d’élus de tout poil et de tout crin, les diverses variations sur un univers similaire ou les quêtes pharaoniques qui firent leur apparition par la suite. Un phénomène renforcé par la présence dans les rayons des titres de Robert E. Howard (Conan), Lyon Sprague de Camp, Edgar Rice Burroughs,….

A ces époques, les protagonistes restent relativement egocentrés, tandis que les auteurs ne cherchent pas s’appesantir sur les maux du monde et de la société. La magie tient du tout aussi célèbre « Ta Gueule, c’est magique!« …Pourtant, il ne faut pas déprécier ces romans de fantasy publiés lors des années soixante. En effet, ces récits bénéficient déjà d’un plus grand soin d’écriture, avec des univers travaillés, réfléchis, leurs personnages s’avèrent moins caricaturaux ou monolithiques, les trames sont plus élaborées et solides. Les publications tendent à estomper leur manichéisme, mais ne s’en démarquent pas suffisamment pour chatouiller le champ de la SF. Preuve que les canons évoluent; Michael Morcoock écrit la fabuleuse saga d’Elric avec un personnage albinos remarquable et tout en nuances dans un univers de Dark Fantasy. Nous pouvons également trouver Thongor et la cité Dragon de Lin Carter qui fait la transition avec les Conan de Howard en Sword and Sorcery.

Par ailleurs, en 1968, Ursula le Guin publie Le Sorcier de Terremer qui fera date, notamment par ce contre-pied au « Ta G…! » , titre qui commence à inclure des fondements rationnels à la thaumaturgie de son univers, et bien plus encore. Il est de nos jours sous-estimé, et l’était déjà de son temps.

En 1966, Dune a remporté le prix Hugo du meilleur roman en compagnie de Toi l’Immortel de Zelazny, il fut également le premier récipiendaire du Prix Nébula créé cette même année, toujours accompagné de Zelazny, mais pour Le Façonneur.

Dune précurseur sur de nombreux thèmes, vu et perçu dès l’origine comme un roman de SF, et récompensé en tant que tel.

Parmi les éléments en faveur de son appartenance à la fantasy, deux points reviennent régulièrement : le système féodal de l’univers ainsi que la pré-science des Bene gesserits.

L’organisation politique de l’univers de Dune repose sur une monarchie, des castes et La Guilde, et non pas sur une quelconque démocratie ou entité supranationale ou galactique, ou universelle ou Star Fleet. Effectivement, il s’agit d’un système quelque peu féodal qui renvoie aux oeuvres médiévales-fantastiques, nombreuses jusqu’à récemment. Pour autant, cette structure n’est pas l’apanage de la fantasy, ni alors, ni maintenant. La saga SF des Honor Harrington de Weber repose sur une monarchie, Flandry, défenseur de l‘Empire terrien de Poul Anderson reste une série de SF.

Si nous comparons aux autres récits de SF publiés lors de cette période, en ne considérant – au hasard – que celles de Ursula Le Guin. En 1966, Le Monde de Rocannon met en scène une culture féodale, précédé en 1964 par le prologue Le Collier (dans le recueil Aux 12 Vents du Monde). Puis en 1969, Le Guin offre La Main Gauche de la Nuit, un roman dont la société présente une structure féodale. Leur appartenance à la SF n’est nullement remise en cause.

Par ailleurs, la pré-science des Bene gesserits ne serait pas un élément suffisamment science-fictif car l’explication de cette mutation – génétique dans le livre – n’est ni assez complexe ni assez futuriste. Outre le fait que cette faculté est expliquée de manière rationnelle (comme le chat qui parle quand nous tentons d’expliquer la différence entre les genres), elle est loin d’être un cas isolé dans la SF.

En effet, le Monde de Rocannon, mais aussi La Main Gauche de la Nuit, présentent des êtres télépathes (même Sidmak en utilise dans une de ses nouvelles), sans plus de fondements techniques que Frank Herbert dans Dune. Ces deux romans de Ursula le Guin ne font pas l’objet de revendication.

Pourquoi cette bataille ?

La science-fiction a suivi son chemin, avec des oeuvres tournées vers un futur, vers la technologie et l’impact de leur utilisation. La correspondance entre le fond des récits et les enjeux de société découlent quasiment naturellement; le constat que les romanciers et romancières transmettent à travers leurs titres est lié à la l’essence même de la SF (et c’est incompréhensible que ce genre soit autant ignoré).

La fantasy n’a pas connu le même cheminement, même s’il y existe une relation étroite entre l’esprit du temps et l’humeur de l’époque avec les récits conçus lors de cette dernière. Tout en caricaturant, la fantasy capture l’esprit de son temps, la SF traduit les préoccupations.

Enfin, ce n’est pas Dune qui fut dès l’origine un roman hybride, c’est la fantasy qui emprunte désormais les voies (voix ?) de la SF. Nous le constatons avec la mutation des systèmes de magie qui cherchent des fondements rationnels, des mécanismes scientifiques alors qu’auparavant c’était simplement « magique! ». Ursula Le Guin l’avait initié dès les années 60, des auteurs contemporains comme Brandon Sanderson, McClellan ou Jemisin ont repris le flambeau, mais de nos jours. Ce n’est pas un hasard si cette dernière a vu sa trilogie récompensée par 3 prix Hugo!

Dune est un roman à lire indubitablement.

Ce récit est pour vous si :
  • vous aimez les romans documentés et travaillés
  • vous souhaitez lire un roman culte
  • vous êtes séduit par les luttes sournoises
je vous le déconseille si :
  • Vous êtes à la recherche d’un roman qui bombarde dans tous les sens
  • Quoi, il n’y a pas de vaisseaux spatiaux ?
  • vous ne jurez que par les élus en fantasy
Autres critiques :

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21 réflexions sur “Dune – Frank Herbert

  1. Super, tu l’as enfin lu, bravo !
    Et ravie de voir que tu as aimé ce chef d’œuvre.
    Merci pour cet article très documenté mais accessible permettant de suivre l’évolution de cette branche. On apprend simplement plein de choses, moi qui me suis toujours peu intéressée à ça. Il faudrait que j’y remédie d’ailleurs ^^

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  2. J’aime beaucoup l’angle par lequel tu as abordé ce roman ! Moi aussi je l’ai lu en avril pour voir le film, j’ai été moins enthousiaste, j’ai trouvé le temps un peu long par moment même si j’ai apprécié l’univers mais j’ai par contre adoré le film qui m’a donné envie de lire la suite..

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  3. Je serais moins affirmative que toi sur la notion « d’élu » (cf ta conclusion, « je vous le déconseille si… ») : Paul est un personnage « choisi » (ou ici, le fruit d’une longue sélection) et il a des pouvoirs dont il n’a pas conscience au début de la saga.
    J’ai relu récemment le roman, et j’ai aussi été emballée.

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  4. bonsoir oh excellence de l’article lu avec retard
    qd tu parles de sidmak c’est bien de clifford d simak parce que je connais pas un sidmak
    de meme que william burroughs est edgar rice burroughs
    pas grave pour les passionnés mais des fois que de petits nouveaux s’intéressent

    content de retrouver tes chroniques

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    • Hello!
      Oui, c’est exact, ce sont bien à eux que je fais référence. Je ne comprends pas comment ce petit « d » a pu se glisser là, il est loin du i et du m sur mon clavier…
      Et oui, il s’agit bien d’Edgar Rice B. Une confusion évidente.
      Merci, je vais corriger.

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