Albin Michel Imaginaire
En 1793, Jean Verdier, un jeune lieutenant de la République, est envoyé avec son régiment sur les côtes de la Basse-Bretagne pour capturer un noble, Justinien de Salers, qui se cache dans une vieille forteresse en bord de mer. Alors que la troupe tente de rejoindre le donjon en ruines ceint par les eaux, un coup de feu retentit et une voix intime à Jean d’entrer. À l’intérieur, le vieux noble passe un marché avec le jeune officier : il acceptera de le suivre quand il lui aura conté son histoire. Celle d’un naufrage sur l’île de Terre-Neuve, quarante ans plus tôt. Celle d’une lutte pour la survie dans une nature hostile et froide, où la solitude et la faim peuvent engendrer des monstres…
Une ambiance inquiétante à souhait
Printemps 1754 ou une nuit de mars 1793, l’ambiance maritime accentue l’unité tout au long du roman. Seuls quelques courts souvenirs viendront rompre cette harmonie lugubre avec quelques éclats révolutionnaires ou émotionnels. Ce décor océanique, associé à l’isolement que vivent les protagonistes, forme un dialogue entre cette nuit tourmentée en Bretagne et les journées éprouvantes sur l’îe de Terre-Neuve. L’écho répondant à l’écho, l’échange se poursuit évoquant les morts et les vivants en sursis, puis, l’intensité dramatique entame un crescendo oppressant dans les deux cas, jusqu’au couperet final.
En effet, les monstres, aux visages divers, anonymes ou bien innocents, n’en réclament pas moins leur tribut de sang. Aucune des deux terres n’en est vierge, néanmoins, le Nouveau Monde bénéficie encore d’une certaine fraîcheur, d’une forme de candeur, même dans sa monstruosité. L’Ancien, tout aussi violent, porte une forme de perversion, née des trahisons répétées, de l’infamie ou encore de l’arbitraire pur. Nous verrons que le Nouveau Monde d’Estelle Faye est loin d’être pur, mais n’est pas encore aussi corrompu.
Les deux mondes présentent des similitudes et de nombreuses différences. Violence certes, mais l’un reste brutal, assez frontal tandis que l’autre, d’un affichage plus raffiné, est sans doute plus inique.
Toutefois, les motivations profondes s’avèrent diamétralement opposées. Sur le sol français, en pleine période de Terreur, la fureur s’alimente du moindre prétexte, faisant fi de la Justice ou de l’équité. Alors que Terre-Neuve présente sous des atours sauvages, une facette plus juste et finalement plus pure.
Ce furent dans une contrée civilisée ou encore « sophistiquée » que préjudices, trahisons et abus sévirent, tandis que cette nature, sur cette île isolée et désolée, si crue, si impartiale se livre à la réparation et à la rédemption. Estelle Faye nous propose un jeu de d’ombres et de lumières, certes angoissant et glacial met ô combien prenant et émouvant.
Double jeu(x)
Lors d’une nuit de mars 1793, Jean Verdier doit procéder à l’arrestation du Marquis Justinien de Salers, pour la simple raison qu’il est marquis, donc noble, donc bon pour l’étêtage. Or, son escouade se trouve prise entre deux dangers : une gâchette alerte derrière son fusil et la montée des eaux. Il accepte le marché proposer par le vieux marquis : entendre son récit.
Avril 1754, de l’autre côté de l’Atlantique, Justinien vit de ses charmes et se tue à grand renfort de boissons alcoolisées. Les remords et l’addiction érodent son minois, ses résistances tout autant que sa situation. La misère, puis le trépas rôdent dans l’ombre, attentifs à son déclin définitif. Rentre en scéne Claude Gendron qui l’engage pour une mission. Une expédition a disparue sur une île au large de l’Acadie, seul Gabriel, presque catatonique fut retrouvé vivant. Aussi, faut-il faire la lumière sur les raisons et les conditions de cette disparition.
Gendron n’est pas inconséquent. Justinien participe aux recherches, en raison de son titre de noblesse, il est loin d’en être un membre à part entière, et encore moins le chef. Notre protagoniste sera conscient rapidement de ce statut particulier. La mission est confiée à Veneur, un naturaliste qui présente la particularité d’être également l’unique survivant d’une précédente expédition dans le nord du territoire. Il est accompagné de Marie, une métis, redoutable chasseuse, et de … Gabriel.
Leur aventure débute sous de mauvais auspices : leur bâtiment fait naufrage lors d’une violente tempête. Les 4 recrues s’en sortent – si l’on peut dire – ainsi qu’une poignée d’étrangers.
Perdus sur cette plage inhospitalière, sans ressources ou presque, à la merci des éléments, le groupe doit rejoindre un village de l’autre côté de l’île et traverser la forêt s’étendant entre eux et leur salut. L’hostilité se déclare rapidement dans leur rang, et chaque nuit, une disparition est à déplorer – ou pas.
Jean Verdier écoute donc ce récit empli de sang, d’effroi et de meurtres. Or, il apparaît aux lecteurs que la situation en Bretagne, et par extension en France n’a rien à envier à ce que connurent les rescapés du naufrage à Terre-Neuve, la même folie furieuse sanguinaire et aveugle. Tout au moins, en France.
Chaque matin, au large de l’Acadie, une disparition est constatée. Après chacune d’elle, Estelle Faye invite les lecteurs auprès de l’étrange duo; peu à peu, Jean Verdier se prend au récit, et sa mission lui devient de plus en plus difficile. Le lieutenant écoute, et découvre sa propre culpabilité, il s’apprête par son acte à condamner un homme, non pas innocent, mais coupable de porter un titre de noblesse et peu importe les bienfaits dont il a fait preuve jusque là. Ici, personne n’est épargné.
Et le Widjigo tranche.
Cette créature est le fruit d’un mythe du peuple Algonquin dont est originaire Marie. La faim transforme l’homme en monstre, dit-on. Les légendes de ce dernier l’affirment aussi, tout homme qui en dévore un autre devient un Widjigo. Monstre malveillant pour les uns, instrument de Justice pour les autres, dont Estelle Faye.
Les intrigues sont menées avec habileté et subtilité, et si l’une des révélations peut éventuellement s’anticiper, la dernière est parfaitement maîtrisée. J’adore être surprise ainsi.
L’ambiance désolée, marine, et froide s’avère un personnage à part entière; omniprésente, elle plane, imprègne et renforce le récit, elle pousse les personnages dans leurs retranchements, elle arrache les tripes des lecteurs et surtout renforce les propos d’Estelle Faye. Au final, le Widjogo tranche. Glaçant, émouvant, prenant, ce récit est une belle réussite.
Ce livre est pour vous si :
- vous voulez lire un bon roman d’une plume française
- vous souhaitez une histoire à tiroir
- vous aimez les romans angoissants
je vous le déconseille si
- vous êtes frileux
- vous n’aimez pas les histoires de monstres
- vous vérifiez le dessous de votre lit et les placards avant de vous couchez
Autres critiques :
Orion – Au Pays des Cave-trolls – Just a word –Yuyine – Lullaby – Outrelivres – Fantasy à la carte –
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Il faudra que je tente mais j’enchaîne les déceptions avec cette autrice 😅
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Je n’avais pas été convaincue par ma précédente lecture, mais là, si.
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[…] D’autres avis : Outrelivres, Au Pays des Cave Trolls, l’Albédo, […]
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Il est dans ma PAL numérique et ton avis ainsi que d’autres me permettent de penser que je vais l’apprécier, notamment pour son ambiance !
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Je pense effectivement que tu vas l’apprécier.
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J’ai beau être une trouillarde, ou justement peut-être à cause de ça, j’ai adoré.
J’ai trouvé la plume d’Estelle Faye très immersive et inquiétante, limite étouffante.
J’ai adoré le décor et l’utilisation du mythe.
Que dire du final tellement bien amené.
Un coup de coeur ❤
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Le final est vraiment chouette. Elle a été très habile sur la construction. L’ambiance est une très belle réussite.
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Je ne sais pas pourquoi, mais depuis le début, en combinant l’effet historique et la couverture, et ce livre me fait penser au Pacte des Loups, le film xD
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Il y a un peu de cette ambiance.
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J’ai tellement aimé ce livre! Quel talent que celui d’Estelle Faye pour créer une atmosphère, pour parler de nous, de notre monstruosité intérieure. Un roman très réussi en effet.
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J’avais noté sa capacité à créer d’excellente ambiances et atmosphères dans ces textes précédents. Dans Widjigo, elle réalise une belle prouesse tant les sensations deviennent physiques.
Oui, très réussi!
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Lu, mais pas encore chroniqué, j’ai beaucoup aimé aussi 😀
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Ah! j’attends de lire ton avis! 🙂
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Tu me donnes envie de me jeter dessus dès maintenant! Mais patience patience petit widjigo, on se rencontrera très bientôt 😊
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Ha j’aurais bien voulu le lire celui-là mais il y avait décidément trop de livres qui sortaient en octobre. A rattraper plus tard ^^
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Il est dans ma PàL… Je ne sais pas ce que j’attends en fait 🤣.
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[…] Widjigo d’Estelle Faye […]
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[…] D’autres lectures : Outrelivres, Au Pays des Cave Trolls, Mélie et les livres, L’épaule d’Orion, Just a word, Fantasy à la carte, Lullaby, Yuyine, Bulle de livre, Lady Butterfly, Carolivre, Un bouquin sinon rien, Book en stock, Sometimes a book, Café Powell, L’ours inculte, Tachan, La Geekosophe, 233°C, L’imaginarium électrique, Souvenirs de lecture, La grande parade, Les pipelettes, Boudicca (Le Bibliocosme), Albedo, […]
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Je partage l’essentiel de ton avis, même si, comme d’autres, j’avais été déçu par certains titres de cette autrice. Widjigo est une belle réussite, angoissante à souhait.
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Il est définitivement encensé de partout ce livre ^^ (et dans ma wish-list !)
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Il est vraiment chouette!
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J’ai beaucoup aimé ce livre, on est vraiment plongé avec les personnages dans le froid et l’humidité, avec cette menace… comme tu le soulignes, si on est sensible à ce genre d’atmosphère, ça fait son effet ! ^^ (il y a eu une nuit d’orage quand je l’ai terminé, je n’ai pas particulièrement bien dormi du coup ^^ » et j’ai lu un truc léger pour me remettre derrière XD)
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