Prix Planète SF – La 5° saison de NK Jemisin

Pour un combo de l’espace!

La 5° Saison de N.K. Jemsin vient de remporter le prix Planète-SF, à la suite de la délibération du 10 septembre 2018 (annonce officielle). Une reconnaissance qui vient récompenser le premier tome de La Terre Fracturée, un roman de science-fiction très prenant. Il faut souligner que la trilogie dont la publication s’est achevé cette année a réussi le tour de force de remporter TROIS prix Hugo CONSÉCUTIFS!

Personnellement, j’aurai eu du mal à choisir entre ce titre et Dans la toile du Temps d’Adrian Tchaïkovsky, tout en étant vraiment ravie de ce choix.

La Cinquiéme saison est un roman captivant, proposant un univers torturé et une lutte pour exister savoureuse. L’auteur nous offre un récit alliant divertissement, frissons, et fond. Un prix Hugo et Planète SF mérités. L’envie de lire la suite est impérieuse…et la chronique arrive sous peu.

Pour les curieux qui ne connaitraient pas l’histoire contée, c’est par ici…

L’histoire se déroule sur un continent unique, le Fixe, avec au Nord et au Sud, l’Arctique et l’Antarctique, quelques îles aux pourtours et Lumen en « capitale » de cette unique Terre émergée. L’auteur ne délivre pas davantage d’informations, il est donc difficile d’établir – ou pas – s’il s’agit de notre planète dans un futur lointain, très lointain ou d’un autre univers. Quelques éléments disséminés ici et là, n’écartent pas la piste de la Terre, mais rien n’est moins sûr…

En effet, le Fixe connaît une activité sismique et volcanique très importante, la tectonique des plaques travaille la planète dans ses tréfonds engendrant raz de marée, tsunamis, tremblements de terre, explosions des volcans. Enfin tout le tintouin apocalyptique d’une terre en pleine fureur, massacrant sa population à coup de roches, de gaz, de nuages de cendres, de crevasses et d’autres cataclysmes météorologiques.

Le Fixe n’est pas une lande paradisiaque et si Dante imaginait un purgatoire, ce continent serait un candidat potentiel sérieux.

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Pourtant, la vie existe. Hélas, le terrible Dieu local, Le Père Terre est régulièrement d’humeur massacrante, et déclenche une Cinquième Saison : un hiver apocalyptique – généralement lié à une tenace couverture nuageuse provoquée par les cendres – qui menace de rayer la vie sur le continent ou tout au moins les plus gros et les plus fragiles.

Ces 5° saisons portent toutes un nom en fonction de leurs effets les plus marquants; un appendice joint en fin de roman précise l’époque, les conditions, l’amplitude et la durée de celles-ci. Ce bref récapitulatif historique est excellent pour l’immersion et la cohérence.

Malgré les forces dévastatrices à l’œuvre les humains survivent d’épreuve en épreuve (ils sont coriaces ces bougres!). Proches de l’éradication lors des épisodes les plus durables, ils survivent en se regroupant en comm (pour communauté). D’ailleurs toutes ne survivent pas en raison d’une mauvaise gestion, de l’épuisement des vivres, des pillages ou des attaquent de seigneurs de guerre. L’ambiance a quelque chose de Mad Max ou du Facteur de David Brin dans ces affrontements meurtriers et ces attitudes dénuées de la moindre compassion.

Aucun système central digne de ce nom, Lumen se pose en capitale de fait par sa stabilité sismique et l’étendue de sa comm, mais elle ne gère en aucun cas les autres, ni en prélevant un tribu ni en aidant dans les moments difficiles. C’est chacun pour soi, et Dieu pour tous!

Les seules structures centralisées et continentales sont des lieux de savoir ou de maîtrise technique telle la 7° Université ou Le Fulcrum (pendant un instant je me suis demandé ce que Blacklist venait faire dans l’histoire… puis, cela passe en poursuivant le récit). Ces deux centres accueillent des étudiants afin de les former. Si l’université a un périmètre classique, ce n’est pas le cas du Fulcrum.

En effet, les personnes portent des noms liés à leur utilité ; Costaud, Innovateur, Dirigeant, Reproducteur,… Sachant qu’être un Costaud n’est pas forcément la panacée contrairement à ce que l’on pourrait croire, surtout lorsque survient une 5° Saison…

Cependant, il existe une catégorie méprisée, tenue à l’écart, et souvent tuée en bas-âge : les orogénes. Leur tort : ils vivent en symbiose avec la terre.

Ce système de magie, à défaut de meilleur terme, est tout à fait original et captivant.

Les orogénes ressentent secousses, mouvements de terrain et points chauds. Rien d’extraordinaire en cela; non seulement ils y sont sensibles mais ils possèdent la capacité de puiser cette énergie pour la transformer. Quand un orogène adulte maîtrise son talent si particulier, il peut l’utiliser pour atténuer voire gommer des secousses, ou geler le carreau d’une arbalète; après tout, ce n’est qu’une transformation de l’énergie par la voie calorique…

Le revers de la médaille est plus pernicieux, s’ils puisent l’énergie de la terre, ils peuvent transmettre aussi leurs vagues à l’âme et transférer au sol, aux plaques tectoniques ou aux volcans leur humeur les plus sombres et les plus colériques, transformant leur don en calamité – ou les personnes proches en glaçon authentique.

L’enfance est bruit, joie et chamaillerie. Une période pour se découvrir. Un jeu un peu brutal, une raillerie ou une contrariété peut révéler un don caché, et mettre au ban de la comm les enfants ainsi découverts. Dans le meilleur des cas, ils sont recueillis par le Fulcrum, dans le pire abattus sur place. Cette institution ne ressemble pas à un internat ou un orphelinat, le camp de redressement s’apparente davantage à la vie millimétrée et calibrée des élevés orogénes.

Ces artificiers de la terre ne sont pas les seuls possédant des aptitudes particulières. Ils sont encadrés par des Gardiens dotés d’un champ de nullité. Leur affectation à leurs pupilles s’opère dès le « recrutement » et pour la vie. Ils exercent un contrôle sur eux dès cet instant, et cette emprise tient à la fois de la manipulation que de la maltraitance psychologique (et physique).

Enfin il y a les mystérieux mangeurs de pierre, totalement énigmatiques et source de légendes… Nous les découvrons à peine dans ce tome, et il est délicat pour le bien de la trame que les quelques éléments se dévoilent à la lecture.

Cette association entre une description sérieuse des phénomènes de tectonique des plaques ainsi que leurs conséquences et le système magique qui en découle est inusitée et particulièrement savoureuse. L’ensemble est cohérent, et s’appuie sur une base scientifique très solide. N.K. Jemisin classe son roman comme de la Fantasy, c’est tout à fait approprié tant le système thaumaturgique est élaboré, potentiellement spectaculaire, allié à la présence d’êtres hors du commun. Cependant, les assises sont si bien travaillées et documentées (sans être le moins du monde pesantes) que cela flirte parfois avec la SF. Apophis le classe parmi la science-fantasy, et cette approche reflète également les deux aspects de ce récit. Haroun Tazieff aurait conseillé N.K. Jemisin, ce ne serait pas une surprise…

La 5° Saison ne se résume pas à un univers post-apocalyptique, une lutte pour la survie, ou aux orogènes.

L’auteur nous propose de suivre la vie de divers personnages. Une enfant, deux femmes, et un homme, pour l’essentiel. C’est surtout l’occasion de brosser les conditions de vie à différents stades et dans différentes conditions de l’orogéinité. L’enfant Damaya voit son secret découvert lors d’une chamaillerie, un Gardien la « recueille », commence son apprentissage entre douceur, prévenance et cruauté, et l’escorte jusqu’au Fulcrum où elle va poursuivre sa formation.

Si cette jeune fille, douée et solitaire nous évoque d’autres figures de la littérature (Hermione, par exemple), ce n’est pas le cas de Syénite, une jeune femme, 4 anneaux (hiérarchie propre au Fulcrum) entêtée, tout aussi solitaire, avec un potentiel très intéressant.

Son caractére est affirmé et acerbe, et bien qu’elle fasse profil bas au sein de cette institution, le lecteur sent un volcan qui couve sous les cendres. Une mission d’importance lui est confiée, doublée d’une requête précise. A son grand déplaisir, un mentor supervisera sa tâche, un 10 anneaux du nom d’Albâtre, et l’étalon qui doit lui donner un enfant…  La double mission ne sera pas de tout repos (et pour cause), alors que tous deux se détestent au premier regard.

La dernière femme centrale du récit est Essun « vous« , qui vivez à Tirimo avec deux enfants et un mari, dissimulant votre différence… jusqu’au jour ou votre conjoint s’en aperçoit et massacre votre fils sous vos yeux…

Le récit alterne entre ces trois personnages principaux. La procédé narratif est habile, peu courant et peut surprendre initialement. Une fois plongé dans la lecture, et s’appropriant Essun, « vous« , l’immersion est totale; l’histoire est vécue avec les entrailles, les vôtres et celle de la terre.  Il est évident que les trames possèdent une résonance entre elles, et qu’elles sont destinées à se rejoindre, mais le voyage en compagnie de ces tranches de vie éclaire le cas des orogéne avec précision et compassion.

S’associent à vous Hoa et Tonkee, et à Syénite Albâtre. Hoa, est un jeune garçon recueilli sur le bord d’une route, malgré votre drame, votre cœur de mère n’a pas pu le laisser en plan (une sorte de transfert ?). Qaunt à Tonkee, elle s’est invitée sans vous demandez l’autorisation, elle vous casse les pieds, mais s’avère pleine de ressources, donc utile.

Syénite et Albâtre, c’est une autre histoire. Ce mentor, 10 anneaux, respire l’orogénéité, mais agace la jeune femme avec ses penchants dramatiques, ses silences et ses secrets. Elle est avide d’apprendre et d’évoluer, il ne semble que s’ennuyer auprès d’elle, parfois hautain, parfois cinglé, parfois mélancolique. Entre eux, le Fulcrum semble un sujet délicat, et à plus d’un titre.

Malgré leurs défauts, leurs caprices parfois, ils sont globalement attachants, voire très attachants, bien travaillés pour avoir de la consistance. Même les personnages secondaire gardent des traits de personnalité propres qui leur permettent de ne pas se fondre dans la masse des stéréotypes habituels.

Un trio amoureux pourra peut-être agacé quelques lecteurs, cependant, l’auteur parvient à rendre cette relation digeste et non pesante (dixit une lectrice qui n’apprécie pas les romances appuyées, et les triangles amoureux courants et tout pourris). Seul le/la transsexuel présent dans le récit m’a fait tiquer. Non pas en raison de sa nature, mais de l’absence d’utilité à la trame ou à la construction du personnage. J’ai l’impression que l’utilité est calculée pour l’effet de mode ou la caution morale… je suis de l’avis de Gromovar en ce qui concerne ce « penchant » à  surfer sur le sujet pour faire bien.

Les thématiques exposées sont chères à l’auteur :  secte/dogme, discrimination, intolérance, génocide, l’utilisation d’enfant dans la guerre.

La lecture s’achève sur une fin un poil attendue, mais tout à fait satisfaisante et surtout sans gros chiff-hanger pesant.

Autres critiques :

ApophisBlackwolfCunéipageun papillon dans la LuneXapurLe chien critique

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20 réflexions sur “Prix Planète SF – La 5° saison de NK Jemisin

  1. C’est une bonne chose que la trilogie soit complètement parue car j’ai bien envie de la découvrir 🙂 Les avis des blogopotes m’auraient-ils influencée ? Oh ? 😉
    Waouh, quelle chronique ! Tu me rassures sur le trio amoureux (parce que j’y suis aussi allergique).

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  2. Encore un immanquable, avec une telle collection de prix engrangés,, il force le respect à l’avance ! Et maintenant ton aiguillonnant billet de rappel, qui ne saurait tolérer un oubli éventuel… Nous voilà cernés 🙂

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