Vision Aveugle – Peter Watts

Le Bélial

«La Terre a été prise en photo depuis l’espace. Les mystérieux visiteurs sont-ils sur cet artefact découvert dans notre système solaire? Le vaisseau Thésée par en mission. A son bord, cinq membres d’équipage recrutés avec soin : une linguiste aux personnalités multiples, un biologiste qui s’interface aux machines, un observateur, Siri Keeton (…). Leur commandant est lui aussi un homme étrange : un homo vampiris.»

La Terre et quelques parsec, 2082

La Terre a été prise en photo. Présentée ainsi, mon accroche peinera à attirer votre attention. Quelques précisions quant au contexte mérite de s’y attarder.

Un « cliché » global et en 3 dimension de la Terre a été réalisé en une fraction de seconde. Cet instantané géant, cette prouesse technique se démarque par son origine inconnue, non terrestre. Les recherches pour en déterminer la nature et la localisation débutent très rapidement; et une fois le signal détecté et la source d’émission localisée, provenant d’une comète, les terriens envoient quelques années plus tard, une mission spatiale pour prendre un premier contact avec cette espèce supposée extra-terrestre. 

L’équipage du Theseus– composé d’un vampire commandant de bord, d’humains technologiquement modifiés et d’un observateur très particulier – possède théoriquement toutes les compétences requises pour remplir sa mission : identifier ami ou ennemi, puis suivant le cas prendre l’initiative du contact ou les mesures nécessaires.

La première partie du roman s’attache à décrire les circonstances de leur voyage au sein du système solaire, dans des conditions vraisemblables et dont l’assise scientifique apporte cette cohérence que l’on apprécie tant en hard-sf. Ne vous attendez pas à un saut de puce gonflée aux particules gamma… Il faut plusieurs mois au vaisseau pour atteindre sa destination. Je précise que ce même vaisseau ne bénéficie pas de la gravité artificielle. En revanche, celle produite par la rotation de la zone d’habitation nous offre des scènes mémorables tout au long du roman.

Parvenu à destination, le Theseus et son équipage découvre une entité mystérieuse, épineuse et certainement étrangère à notre monde : Rorschach.

La Chose, si nous faisions de l’anthropomorphisme aurait une attitude flirtant avec le passif-agressif, avant d’adopter une attitude plus… résolue. Dans cette deuxième partie du récit, l’action se concentre sur la découverte de l’artefact et de son exploration, plutôt périlleuse. Bénéficiant d’un point de vue plus omniscient, nous assistons aussi à celle des aliens, plus subtile, plus effacée.

Le roman manquerait d’un brin de peps, si les événements se contentaient d’un glacial statut-quo. Aussi, vous ne serez pas étonnée d’apprendre que la rencontre « s’emballe »!

Le Transhumanisme au coeur du Theseus

Siri Keeton est notre narrateur, alors qu’il n’est que l’observateur au sein de cet équipage, un observateur particulier à plusieurs titres. Enfant, déjà son comportement détaché le distinguait des autres gamins. Puis, une chirurgie consécutive à la maladie l’a privé d’une partie du cerveau, le siège même de l’empathie et de l’émotion. L’espace vacant ne fut pas perdu, puisque celui-ci fut comblé par des appareils cybernétiques. Kiri devenant un observateur froid et analytique, parfait en somme, car il personnifie l’objectivité réelle.

Jukka Sarasti est le fameux vampire, commandant le Theseus. Ce personnage a conduit à mon premier achat du roman, et il ne m’a pas déçue. Ce vampire s’avère totalement fascinant, néanmoins il n’apparaît que trop peu dans le roman. Ce prédateur fin, instinctif et viscéral ne dévore pas son équipage grâce à des pulsions contenues, « programmées » par ses propres proies lorsqu’elles le ressuscitèrent. Il est si étranger aux humains que ses subordonnés sont incapables de le comprendre, et même Siri.

Le Gang est un agglomérat d’identités occupant le corps de Susan, qui participe également aux conversations, mais surtout en charge des communications et des dialogues avec l’entité… Pour l’aspect militaire et sécurité, l’honneur revient à Amanda Bates, un personnage subtil, nuancé et attachant. Elle s’avère le protagoniste le plus « proche » de nous, servant d’accroche pour les lecteurs.

Spzindell le plus émotif du groupe, sans être l’opposé de Siri, est le biologiste tandis que Cunningham vous réservera quelques surprises…

Cet équipage si varié compose un groupe qui théoriquement se complète, en vue d’une mission périlleuse, aux potentialités incalculables. Sa liberté d’action est vaste, la gageure des plus relevées, et nul doute qu’il faudra des qualités, des modes de pensées tout aussi larges.

Ces personnage nous offre également tout un champ de réflexion sur la conscience. Le cadre de cette réflexion dépassant la présence de l’entité extra-terrestre et de ses représentants. La sentience de la chose est entendue depuis le fameux flash de 2082… Peter Watts se concentre davantage sur le concept de conscience lui-même grâce à des personnages aussi différents, et parfois étrangers à notre réalité (ou nos standards). Nous pouvons le noter avec la présence de Siri, coupé de l’émotion et de l’empathie, être fonctionnel et intellectuel, une conscience « non-animale ». A l’opposé, Watts nous propose le vampire, purement animal et viscéral, à l’intelligence supérieure et tout autant mystérieuse pour nous. Que dire du Gang protéiforme? Une seule perception analysée par plusieurs regards ?

La compréhension dans son sens large – de soi, de l’autre ou de son environnement – est l’essence de ce roman. Finalement, c’est à travers «l’épreuve initiatique» de Sirri Keaton que nous découvrons le point de vue que nous propose Peter Watts. Cet observateur – dénué d’empathie – va devoir faire face aux difficultés, et trouver des ressources autres que sa froide intelligence pour finalement comprendre la nature des aliens, ce que seront incapables d’effectuer d’autres membres de l’équipage.

Dans cette unique proposition, Vision Aveugle est un excellent roman. Or, l’auteur canadien ne se contente pas tant.

Vision Aveugle

«Les individus dotés d’une « vision aveugle », due à une lésion cérébrale, déduisent correctement les caractéristiques visuelles d’objets qu’ils ne peuvent pas voir consciemment. Cette « vision intuitive » est parfois plus performante que la vision normale.» Dixit le dico.

Là, nous rentrons dans des jeux qui font pétiller les neurones comme rarement. Tout sera une question de point de vue.

Effectivement, tout est une question de perception dans ce roman. En premier lieu le concept de conscience lui-même décortiqué, exposé, trituré par Peter Watts par l’entremise de ses personnages et de l’entité extra-terrestre, considérée un temps comme une chambre chinoise (qui réussirait le test de Turing). En second lieu, nous pouvons y rattacher le courant philosophique lié à l’aveugle, à la faculté de dépassement, et de discernement absent dans le cas des voyants, bernés par leur propre sens. Et c’est le défi proposé aux hommes et femmes de Jukka Sarasti qui nous en donne quelques clefs.

Le tout avec la question de l’utilité de la conscience pour l’intelligence.Vous associez à l’ensemble un petit test de …. Rorschach, dirons-nous et vos neurones font de la corde à sauter! A vous de choisir quoi discerner dans tout cela

Un Roman, un Rorschach

Le premier contact pourra être… épineux, ardu, une épreuve en soi.

L’ambiance est sombre, et la nature pessimiste de l’auteur transparaît dans l’histoire qu’il nous conte. Nous sommes dans un roman de Hard-SF, et plus que le style d’écriture, c’est l’abondance des informations scientifiques qui rompt la fluidité de lecture. Vision Aveugle présente des passages verbeux, ce qui en fait sa richesse, mais pourra exaspérer quelques lecteurs.

De plus, le récit s’accompagne de nombreux flashbacks, notamment sur la passé de Siri, que ce soi en compagnie de ses parents, de son ex-petite amie, ou de la mémoire maternelle. Ceux qui apprécient les trames linéaires seront prévenus. Une fois les premiers obstacles fanchis, je vous garantis que vous découvrirez une véritable pépite, un chef d’oeuvre du Premier Contact.

Nonobstant ces quelques difficultés, la lecture de Vision Aveugle se révèle passionnante avec un récit de grande envergure, allié à une réflexion poussée. L’invention d’une espèce d’extraterrestre novatrice et brillante, participe à un sense of wonder bien présent. Ce roman sombre, ambitieux ne prend pas le lecteur pour un imbécile.

Un must.

Ce livre est pour vous si :
  • Vous aimez les Premiers Contacts
  • Vous adorez les romans particulièrement riches
  • Vous rêvez de partir dans l’espace et de rencontrer un ET
je vous le déconseille si :
  • Des vaisseaux ? Encore!!!
  • La Hard SF et vous cela fait plus que 2!

Autre critique :

OrionApophis – un curieuxchroniqueurTachan de Blabla

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Vision Aveugle (22€)

17 réflexions sur “Vision Aveugle – Peter Watts

  1. L’opposition non-animal / hyper-animal (Siri / Jukka) que tu pointes est du génie, franchement. Bravo pour cette analyse comme toujours très fine et cet article au style comme d’habitude virtuose ! C’est un plaisir sans cesse renouvelé de te lire 🙂

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    • Cette opposition m’est apparue comme une evidence à cette seconde lecture, alors que je l’avais occulté lors de mon premier contact avec l’auteur. ET pareil avec les tâches de Roshbach que j’avais zappé, tout comme le registre philosophie de l’aveugle/ perception de la réalité.
      Merci beaucoup Apo.
      J’adore ce roman, je confirme.

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  2. C’est marrant, on dirait qu’il y a quelques similitudes avec « starfish » (un équipage restreint en huis clos, avec des personnalités assez atypiques), je le tenterai bien (puisque c’est son meilleur livre) malgré mes deux précédentes lectures ratées avec l’auteur.
    Peut être lire « au-delà du gouffre » avant pour faciliter mon entrée dans celui-ci, j’aurais d’ailleurs dû commencer par là, avant de me lancer avec Peter Watts.
    Ta chronique m’a donné envie en tout cas !

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    • Je te conseille de commencer par Au delà du Gouffre, avec notamment ses textes de SF. SI cela ne t’enchante pas, Vision Aveugle ne sera peut-être pas une lecture top.
      Lors de ma première lecture du roman, cela remonte à la première édition VF, ce fut une lecture pénible presque jusqu’à la moitié. La seule chose qui me tenait c’était le vampire. ET puis, l’éclair m’a frappée, j’ai adoré.

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  3. J’adore les récits de Premier contact !
    Au fil des Bifrost, ça fait un bon petit nombre de nouvelles de Watts que je lis mais je ne l’ai jamais découvert en format long. Bref, il est en wish depuis sa précédente sortie, c’est dire… Faut que je trouve le temps.

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