Mes vrais enfants – Jo Walton

Mes vrais enfants – Jo Walton

Denoël – Lunes d’encre

Prix

Que dire de Mes vrais enfants qui n’ait déjà été écrit ? Chaque chronique, critique ou avis encense ce roman à tel point que j’en ai ouvert les premières pages avec anxiété. La proposition s’inversait quelque peu : serais-je à la hauteur du chef d’œuvre déclaré ?

Ce n’est pas ma première rencontre avec Jo Walton, nous nous sommes croisées à travers les pages non pas de Morwena, mais lors de son uchronie précédente Le Cercle Farthing. Je n’avais pas été conquise à ce moment là, malgré d’excellents retours, mais la plume de l’auteur et sa subtile uchronie m’avaient séduite, me laissant du coup un petit goût de reviens-y.

C’est chose faite avec Mes vrais enfants,  et je me trouve une fois encore, avec  la même sensation assez mitigée.

L’auteur (oui, j’ai gardé de mon instituteur l’enseignement que ce mot n’était pas genré – et je trouve que l’auteure sonne vraiment moche, surtout avec l’accent du Sud Ouest), donc l’auteur propose de suivre la vie de Patricia, plus exactement les vies de Patricia.

La santé précaire et mentale de cette petite dame permet de jouer sur la sénilité inhérente à sa maladie et d’entrer de manière adroite dans ce qui s’apparente à un récit fantastique où deux univers coexistent. En effet, notre mamie de choc voit son environnement se modifier par  intermittence : l’ascenseur au bout du couloir disparaît pour réapparaître quelques heures après ou le lendemain. La maison de retraite tout entière semble sujette à cette transformation incessante. C’est l’occasion pour Jo Walton de présenter deux pans de vie, deux existences vécues en superposition et indépendantes l’une de l’autre.

Initialement, les événements se déroulent normalement dans la vie de Patricia : son enfance, la guerre, la perte de son frère puis de son père, ses études, la fin du rationnement, son premier boulot et enfin la rencontre avec Mark. Puis, sa vie diverge.

D’un côté, Tricia va poursuivre une existence convenue, avoir des enfants dans le cadre d’un mariage malheureux ou la violence domestique s’installe rapidement, et s’exprime non par les coups mais par les atteintes psychologiques.

De l’autre, Pat va vivre une vie épanouie avec sa partenaire Bee. Elles vont se réaliser pleinement, vivre leurs rêves et  auront également des enfants. Leurs parcours n’est pas qu’un conte de fée, il y aura des difficultés à affronter, mais rien d’insurmontable.

Ainsi, le récit expose-t-il la chronique de deux vies diamétralement opposées. Le contre-pied repose sur un choix crucial : emprunter le chemin où tout le monde l’attend, plier à la pression sociale et familiale; ou suivre sa propre voie avec la machette pour défricher un chemin inexploré et inattendu. C’est une des thématiques les plus fortes abordée par Jo Walton. L’épanouissement personnel dépend surtout de soi, encore faut-il l’arracher avec conviction, se prendre en main.  Être résigné et passif  revient à accepter de subir. Ces décisions sont difficiles à prendre, un brin angoissantes, et la chaussée n’est pas forcément carrossable, mais quelles saveurs incomparables,  et quelle vie pleine et palpitante attend Pat et sa compagne Bee.

Certes, ces deux pans d’une vie tiennent davantage de la littérature blanche, et dans le registre, n’est pas sans rappeler de grands auteurs aussi bien de la littérature française des XIX et XX° siècles que de grands noms d’auteurs britanniques.  Je n’irai pas dire que Walton rivalise avec eux, mais la sensibilité de ce texte évoque ces veines la.

Mes Vrais enfants reste toutefois un roman à classer dans l’imaginaire : de deux existences vécues agrémentées  de vues uchroniques sur leur monde.

Cette capacité à brosser un monde différent de la réalité au détour d’une phrase ou d’un comportement m’avait séduite dans Le Cercle Farthing. Nous découvrons deux Europe qui évoluent de manière opposée; le vieux continent et le reste du monde sont en voie d’apaisement dans une des deux vies ou inversement, la planète est vouée à la violence dans l’autre. Pourtant, Jo Walton n’utilise aucun chapitre descriptif ou de longs paragraphes pour informer le lecteur de la situation géo-politique. Il l’apprend  aux détours des conversations, le découvre par le poste radio, le devine à l’implication de Patricia dans une association ou par l’intermédiaire d’une question d’enfant. Ce ne sont que de subtils changements ( 😉  ) qui s’opèrent dans les deux univers, mais c’est réalisé avec habileté. Une petite réserve sur cet aspect uchronique – très maîtrisé – qui requiert quelques bonnes connaissances de l’histoire contemporaine notamment celles relatives à la construction européenne (adhésion U.K. dès le début et non pas en 1973, certains dirigeants changent notamment des soviétiques, Kennedy est toujours assassiné en Novembre 1963, la crise de Cuba a changé de dimension,…) pour en savourer encore davantage le champ d’action.

Ce pari ainsi que ce parti pris sont plutôt réussis à mon goût. Bien entendu tout cela aura un impact dans le roman, essentiellement sur le dénouement. C’est ici qu’intervient ma déception la plus importante avec un twist trop prévisible.

Questions thématiques, nous voilà servi avec les sujets récurrents de ces derniers temps, traités avec doigté et sensibilité. Outre la question de la violence domestique psychologique et physique – c’est la question de l’épanouissement, à la fois un risque et un choix, qui m’a marquée. Il ne tient pas forcément à la recherche de la satisfaction immédiate et à l’hédonisme. Dans les deux tranches de vie, Jo Walton illustre parfaitement la gratification que retire Patricia dans sa démarche vers autrui, vers des causes. C’est sans doute ce qui « sauve » Tricia de sa misère matrimoniale. Même le personnage de Mark vient étayer la position de Walton, lui qui ne fait jamais face à son échec, ne se tourne que vers sa personne pourrissant la vie de tout son entourage. L’illusion et son égo sont ses seuls moteurs…

Le mariage entre les deux est un poil rocambolesque. Vu la société britannique d’alors, je ne suis pas choquée par une union qui s’est développée à l’issue d’une rencontre envoutante et d’un long échange épistolaire de deux années (je ne parle pas des fiançailles). Les deux parties ont ouvert leur cœur, et les courriers leur ont permis d’apprendre à se connaitre, à dévoiler des pans de leur personnalité, leurs rêves, leurs espoirs, leurs attentes, quelques secrets,… Après deux années d’une correspondance hebdomadaire éclairée de quelques rencontres, je n’arrive pas à croire que le mariage tourne aigre  dès le premier soir, pour s’enfermer dans une spirale infernale dès les premières semaines. Ce n’est pas un mariage forcé, il y a avait une compréhension et une appréciation mutuelle qui s’étaient installées. Pour moi c’est parti trop vite en Bérézina.

Cependant, sur les personnalités de chacun, Jo walton ne nous surprends pas, les personnages sont suffisamment élaborés pour être crédibles, et attachants ou détestables. Il est possible même d’éprouver de la pitié teintée de mépris pour Mark. Ma préférence va à Bee,  sans doute le prénom a-t-il une influence majeure dans cette affection.  Le tout bénéficie d’une écriture fluide, limpide et précise ainsi que d’une traduction soignée.

Malgré mon propos, j’émets quelques  bémols quant au roman.

Le public risque d’être surpris; quitte à avoir des récits de vie plus vrais que nature, le lectorat se tourne vers le mainstream principalement. La lecture de la vie de Tricia est pénible, les traitements subis au long de sa vie seront à peine supportable pour le lecteur ayant vécu des situations similaires, un rappel trop prégnant s’opère alors.

Mes vrais enfants me laisse sur une impression mitigée.  J’ai apprécié l’uchronie proposée, le décalage ainsi construit et la thématique de l’épanouissement parmi les autres. J’ai cependant été déçue par le déséquilibre des deux vies trop prononcé, le dénouement prévisible et quelques passages un peu trop caricaturaux (exemple  p 302 :  l’école privée associée à la tranche d’impôt..) Cela flirte avec le manque  de subtilité surtout pour un auteur de ce calibre et nuit à la portée d’ensemble. Je ne me fais pas de bile pour autant, le roman a suffisamment d’atouts et de critiques enthousiastes pour remporter un vif succès.

Autres critiques :

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Défi Lecture 2017 : •18 livre qui parle de personnes âgées

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Le Livre :

Reçu dans le cadre de Masse Critique de Babélio

  • 352 pages
  • Collection Lunes d’encre
  • Parution : 19-01-2017
  • Prix : 22€50
  • Numérique : 15,50€ + DRM

43 réflexions sur “Mes vrais enfants – Jo Walton

  1. « Morwenna » m’attend sagement dans ma pile, et il est bien possible que je tente « Mes vrais enfants » par la suite. Je dois dire que l’idée me plaît beaucoup, et que ton avis, bien qu’en demi-teinte, me donne envie d’aller voir par moi-même ce que ce livre a à offrir 🙂

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  2. Je me suis achetée Morwenna il y a peu, histoire de pouvoir (enfin) mettre mon grain de sel dans une conversation sur Jo Walton ! Maintenant yapuka, comme on dit 😉
    Ce titre pourrait m’attirer dans un deuxième temps, instinctivement davantage que Le Cercle Farthing…
    Sacrée bonne chronique, merci 🙂

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  3. J’ai beaucoup aimé cette histoire, je trouve que Jo Walton a proposé un récit intéressant. Par contre, je suis passée à côté du coup de coeur 😉
    C’est une bonne dystopie, mais effectivement, elle n’est pas uniquement accrochée aux littératures de l’imaginaire. Ce roman n’est pas de la SFFF à mes yeux.
    (et moi je dis autrice depuis lecture de cet article)

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    • Moi non plus, ce n’est pas un coup de cœur. 😉
      Oui, ce n’est pas que de l’imaginaire, cela peut éventuellement partager le public… surtout que les avis sont plutôt excellents. Tu remarqueras que je ne l’ai classé dans aucune des 3 catégories (SF F ou F)!!
      Mon instit (et mes prof de français) n’avait jamais fait cette distinction et au collège ou lycée non plus, j’ai appris que c’est un mot « neutre », non genré.

      Merci pour l’article, je garde le nom auteur ( autrice est moins moche que auteure), tel que je l’ai appris.

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    • Mais, non. Je dis plein de trucs positifs! Je ne suis pas en dégommage mode puzzle, quand même. Je dis que des trucs vrais.
      Au moins, quelques uns auront des attentes moins importantes et se régaleront.

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  4. Macarel ! Je suis d’accord avec toi ! Walton est l’auteur vraiment la plus surévalué(e) de toute la Galaxie…
    Morwena est chiant à mourir : c’est une compil de ce qu’il faut lire en SFFF pour les ados…
    La trilogie est assez nulle, comme uchronie on fait vraiment mieux…Mais comme c’est plein de « normosessuels », critiquer revient à être homophobe…

    C’est vrai que c’est un récit intéressant, mais, sans plus….ET pas très original…

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    • Chouette, il y avait lontemps que je n’avais pas « entendu » macarel. Quand je le dis, je suis presque un dinosaure!
      Oui, j’ai un peu cette impression de surévaluation. je n’ai pas encore lu Morwenna, mais je n’ai pas eu envie de poursuivre sa trilogie au bout du premier tome. Pas assez d’intérêt.
      Mes vrais enfants est intéressant, mais pas si original que cela ni le chef d’œuvre annoncé. Certains thèmes sont porteurs et vu comme novateurs… J’ai bien conscience qu’il faut poser un avis mitigé ou dissonant avec des pincettes; ce que j’ai tenté de faire ici.
      Heureuse d’avoir un point de vue partagé au moins avec quelqu’un.

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  5. C’est marrant tu dis plein de choses positives et tu es plutôt mitigée. Ce qui a fait que j’ai beaucoup aimé pour ma part, c’est l’attachement aux personnages, j’ai eu les larmes aux yeux à plusieurs reprises et ça ne m’arrive pas souvent. Très bonne chronique 🙂

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    • ha! Mais ce n’est pas parce que j’en ressort globalement mitigée que je ne peux pas reconnaître que le roman a des points positifs. J’essaie d’être critique au sens de Voltaire ;-).
      Mes réserves et bémols sont assez conséquents pour que je demeure insatisfaite. Vu venir la fin dès les demandes en mariage, pas assez sfff, quelques clichés trop faciles, et l’existence de Tricia qui m’a été trop pénible.
      Je ne vais dézinguer le roman gratuitement, et il y a des points positifs, du coup j’essaie de les souligner pour que ce ne soit pas déséquilibré comme chronique, elle perdrait en sus en crédibilité. 😉

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        • Ben parfois, il y a des commentaires qui passent en indésirables ?……
          Parmi la douzaine quotidienne de « pussy » qu’il me faut évacuer journalièrement. What the frak !

          Merci, j’avais vu et je commence à te connaître! 😉
          Parfois j’aime quand même préciser pour ceux qui lisent les commentaires, du coup, mes réponses peuvent « dépasser » le commentaire initial.
          Un grand merci que tu apprécie autant me touche, c’est très gratifiant. 🙂

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      • Là, pour le coup, je ne suis pas du tout d’accord sur le « pas assez SFFF » : entre le côté vertigineux de ce qu’implique la fin, deux uchronies personnelles et deux uchronies historiques, je vois mal comment on peut dire que ce n’est pas assez SFFF. Qu’on dise éventuellement que c’est essentiellement un tremplin pour transmettre un message féministe, humaniste, etc, ok, mais le message existe en parallèle de l’aspect SFFF, il ne le phagocyte pas. Personnellement, je fais la comparaison avec Vandana Singh, où on peut par contre clairement dire que ce n’est pas assez SFFF : Mes vrais enfants est à des années-lumière de ce (très faible) niveau de SFFF là !

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        • Je vois ce que tu veux dire, et je ne peux pas te donner tort. J’aurai même du mal à exprimer exactement pourquoi j’ai cette sensation. Ce n’est pas une impression vraiment augmentable, et c’est profondément subjectif, au niveau du feeeling. Ma raison, ma tête le décryptent de la même façon, mes tripes ne vivent pas comme de la sfff. C’est lié à l’image, à la sfff fantasmée que je me fais avec quelque chose de différent de la réalité. Mes vrais enfants sont trop proches pour moi de la réalité pour je « vive » ce roman comme de la sfff.
          Ce n’est pas le tremplin pour les messages qui sont en cause, la sfff est porteuse de cette vocation aussi.
          Je ne sais pas si je suis assez claire et compréhensible. En bref, je n’ai pas été transporté ailleurs, et le récit avait trop d’accents de réalité.
          J’admets que c’est un point de vue et un ressenti totalement personnel basé uniquement sur les sensations. 0 argument, j’en suis consciente 😉

          Merci d’apporter toutes ces précisions pour les lecteurs du blog! 🙂

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          • Bon, maintenant je comprends mieux ce que tu voulais dire : je viens d’achever L’alchimie de la pierre d’Ekaterina Sedia, et je suis dans le même genre d’interrogation que toi, même si ce n’est pas à un degré aussi important.

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            • Je suis assez partagée. 🙂
              Je suis heureuse que mon ressenti difficilement explicable puisse être compris, notamment par toi. C’est toujours agréable d’être compris.

              Mais dans cette situation là, la lecture s’avère décevante. Je ne peux me réjoui de savoir que tu as sans doute pas eu ton compte ou ce que tu espérais avec L’Alchimie de la Pierre. 😉

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  6. Il est plutôt positif ton avis en demi-teinte je trouve. J’ai pas voulu le lire quand je terminais le livre complètement sous le charme mais finalement les points que tu soulèves sont tout à fait valides. Moi j’ai adoré mais il y a tellement d’éléments qui m’ont évoqué des évènements ou des personnes de mon entourage que le contraire aurait été étonnant.
    Sinon pour la petite anecdote ma première lecture de Morwenna a été très mitigée (trop de louanges entendues avant que je n’ai pas retrouvé dans le texte), j’ai dû le relire loin de tout avis extérieur pour vraiment l’apprécier (mais bon ce n’est pas pour ça que tu dois le relire hein, c’était juste que j’avais envie de raconter ma vie :D).

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    • Disons que mon avis n’est pas au diapason de toutes les louanges qui circulent, je n’estime pas que c’est un chef d’œuvre. Loin de là. Ce n’est pas pour autant que le livre est mauvais à mon avis.

      Je crois qu’effectivement, tous les avis mitigés ont fini pas me préparter le terrain avec beaucoup trop d’attente. Quand j’ai atterri, je ne me suis pas crashée, mais le retour sur le sol a été plus rude que la douceur annoncée…

      (j’aime bien quand on me raconte sa vie littéraire!! 🙂 )

      Merci Vert!

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  7. Le déséquilibre prononcé entre les deux textes ne m’a pas gêné. Par contre, je suis d’accord que ça manque parfois un peu de subtilité, notamment pour la vie de Bee et de Pat que que j’ai trouvée trop parfaite (malgré les malheurs qui s’abattent sur elles). Côté Tricia et Mark, j’ai malheureusement, et tristement, trouvé ça très crédible. Plus ironique : mes propres grands-parents se sont connus via un échange de lettres (mon grand-père était à l’armée, en Algérie, et à « cette époque », dixit mes grands-parents, « cela se fait d’avoir une amie avec qui correspondre »). Ils ont échangé comme cela pendant deux ans avant de se rencontrer pour la première fois. Bref, petit encart sur ma vie familiale ^^, qui fait très écho à ce début de relation entre Pat et Tricia. Je te rassure, ils n’ont pas fini pareille !

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    • Oui, il y a un léger déséquilibre entre les deux perspectives de vie. C’est cool comme anecdote familiale, et bien heureux que le sort ne soit pas identique pour les relations débutées par correspondance. 🙂

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