La Porte de Cristal – N.K. Jemisin

La Terre Fracturée, tome 2

Prix Hugo

Les Nouveaux Millénaires

Il y a quelques semaines, nous avions eu le loisir – et plaisir – de découvrir le lauréat du Prix Hugo 2018, ou plus exactement la lauréate en la personne de N.K. Jemisin pour le dernier tome de sa trilogie de La Terre Fracturée. Elle réussit ainsi le tour de force exceptionnel de remporter cette distinction trois fois consécutives, et par conséquent de marquer l’Histoire des Hugo qui récompense ainsi pour la première fois, toute une trilogie.

Cette annonce a peut-être fait un poil tiquer, le choix s’opérant sur une assiette humaine, des facteurs subjectifs s’immiscent dans la démarche. Personnellement, mon favori ne s’est pas illustré comme je l’aurais souhaité (pas par sentimentalisme, car Children of time possède de nombreuses qualités, indépendantes de mes sensibilités). Cependant, le Hugo récompense une œuvre riche, intelligente et dense.

Revenons, au roman qui nous intéresse, La Porte de Cristal, lauréat du prix Hugo donc.

Retour sur les Terres Fracturées

Le Fixe, est  un continent unique, composé en outre  d’un Arctique et Antarctique, quelques îles aux pourtours. Lumen la « capitale » de cette unique Terre émergée a été détruite par un séisme d’une ampleur gigantesque provoquant un cataclysme écologique. Quelques éléments disséminés ici et là, n’écartent pas la piste de la Terre, mais rien n’est moins sûr…

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Lors du tome précédent, le lecteur découvrait un continent en proie à une activité sismique et volcanique très importante, la tectonique des plaques travaillant la planète dans ses tréfonds engendrant raz de marée, tsunamis, tremblements de terre, explosions de volcans. Enfin, tout le tintouin pyrotechnique d’une terre en pleine fureur, massacrant sa population à coup de roches, de gaz, de nuages de cendres, de crevasses, de lac de magma et d’autres cataclysmes météorologiques. Le paradis pour les volcanologues, pour les autres – faune et flore comprise – une définition précoce de l’Enfer…

Les croyances locales ont personnifié ces terribles colères, en un Dieu local, Le Père Terre régulièrement d’humeur massacrante. Sauf que cette fois-ci, ce n’est point la Terre qui frappe les vivants d’une vengeance implacable et soufrée, mais Albâtre, décidé à détruire le Fulcrum, provoquant dans son ire, une nouvelle saison. Sans doute la plus farouche, la 5° Saison : un hiver apocalyptique qui menace de rayer la vie du Fixe, du moins celle que nous connaissons dans les premières pages, car d’autres êtres s’y trouvent comme des poissons dans l’eau.

La magie sismique, entre science et fantasy

La Porte de Cristal poursuit la trame du tome précédent. Je vais éviter de vous donner les éléments clés du roman précédent (et évidemment de celui-ci). Essun est à la recherche de sa fille, enlevée par son meurtrier de père qui, sous le coup de la surprise, tua leur fils en découvrant sa nature d’orogéne.

Les orogénes sont les sorciers du Fixe, ils ressentent secousses, mouvements de terrain et points chauds. Non seulement ils y sont sensibles mais ils possèdent la capacité de puiser cette énergie pour la transformer :  atténuer, voire gommer, des secousses, ou geler le carreau d’une arbalète mais aussi transférer au sol leurs humeurs les plus sombres et les plus colériques, transformant leur don en calamité – ou les personnes proches en glaçon authentique – ou en diamant brut.

Après tout, ce n’est qu’une transformation de l’énergie par la voie calorique et la pression…

Or, les orogénes sont des êtres qui attirent au mieux l’indifférence, au pire, un haine débordante. Ainsi quand le paternel s’est aperçu que son rejeton faisait partie de cette catégorie honnie, il l’occit en deux coups de poings, puis réalisant que sa compagne en était certainement, il prit la poudre d’escampette… avant d’avoir la confirmation que leur fille était touchée par la même tare.

Essun s’est donc lancée à leur poursuite, avec le double but de protéger sa fille et de punir le père.

Chemin faisant, La 5° Saison étend son empreinte, flétrissant la flore, étouffant le faune. Notre mère déterminée s’associe au garçonnet Hoa et à Tonkee qu’elle rencontre sur le bord de la route. C’est grâce au « jeune mangeur » de pierre (Hoa) qu’elle parvient à suivre la trace de sa fille, jusqu’à la comm de Castrima où la piste s’interrompt.

Cette comm est particulière; alors que les orogénes sont persona non gratta ailleurs lors des Saisons, cette communauté les accueille. Il faut préciser que leur chef, est une orogéne acceptée dans la région. Ce rassemblement est un impératif pour survivre lors de ces hivers apocalyptiques. Toutefois, l’exercice exige expertise et doigté, car il faut parvenir à une gestion optimale des ressources et concilier les égos. Et l’arrivée d’Essun va perturber le fragile équilibre.

Et, périodes délicates obligent, la barbarie refait surface (si nous croyons qu’elle est éliminée de nos jours…), les comm doivent se protéger des pillages ou des attaques de seigneurs de guerre prompt à ravir des esclaves et des ressources. Ainsi,  Castrima se retrouvera-t-elle dans une situation très périlleuse, corsant la tension existante, et renforçant le suspens. L’ambiance a quelque chose de Mad Max ou du Facteur de David Brin dans ces affrontements meurtriers et ces attitudes dénuées de la moindre compassion. Les amateurs de dystopie, de mondes post-apocalyptiques vont se régaler car N.K. Jemisin dresse un tableau tout en cohérence et vraisemblance, avec une impression de danger et d’équilibre précaire de tous les instants.

Les effets du séisme gigantesque et du volcanisme qui s’ensuivent, sont dépeints avec une justesse scientifique. Ce n’est pas TOUT le Fixe qui est brutalement touché de manière uniforme. Les conséquences s’étendent de jour en jour, alors que la destruction totale se concentre bien que sur Lumen. Le séisme a certes détruit toute une zone, mais les dégâts s’amenuisent tandis qu’Essun s’écarte de l’épicentre. A l’extrémité du continent, le climat n’est initialement pas modifié, ce n’est que peu à peu que la cendre vient se déposer, emportée par le vent.

Les plantes meurent, les animaux également, mais d’autres espèces opportunes font leur apparition, et je peux vous dire que cela glace le sang fait bouillir d’impatience…

Une narration propre à chaque trame

« Vous » êtes donc à la recherche de votre fille, mais parvenue à Castrima, la comm des orogénes, la piste s’interrompt brutalement. Votre envie de la retrouver ne s’évanouit pas, mais vers où vous diriger ? Quelle direction prendre ?

Vous vous êtes lancée dans cette folle cavalcade poussée à la fois par un désir meurtrier, et par votre instinct maternel. Sans cela, qu’êtes-vous? A quoi vous résumez-vous? A votre orogénie, une tare, un poids… Mais voilà, Castrima vous offre une identité plus fine, même si cela n’est pas perceptible initialement. Perdue, sans but, cette comm vous donne une utilité, même si vous faites votre forte tête, vous boudez, vous ne voulez pas vous attacher car votre fille vous attend, quelque part…

Et d’ailleurs, là, vous faites une rencontre inattendue, vous retrouvez votre mentor, certes bien diminué, qui vous offre la possibilité de vous ouvrir davantage à votre orogénie…

N.K. Jemisin reprend la structure narrative du tome précédent. Ainsi, lorsque le lecteur suit la trame liée à Essun, l’auteur s’adresse-t-elle directement à celui-ci à la deuxième personne (du pluriel). Si pendant quelques pages cette narration peut apparaître lourde et un peu empruntée, elle devient rapidement très immersive, et permet de faire cœur avec cette mère. Le récit devient dès lors intime, vivant et prenant.

L’auteur change de registre lors des passages dédiés à Albâtre. L’intention étant plus descriptive, une prose plus habituelle marque cette nature différente, puisque le 10 anneaux explique son périple passé et les événements qui l’ont conduit à cette situation. Il s’agit surtout d’enrichir le background et de fournir des éléments clés pour l’aventure à venir. Prenant, car l’auteur est habile, mais un chouïa « brutal » pour vraiment m’éblouir.

En revanche, lorsque nous suivons Nassun (la fille d’Essun), nous nous sentons de suite en empathie avec la jeune fille. Sa situation périlleuse ne tient qu’à un fil. Son père souhaite qu’une institution reculée, une sorte de contre-Fulcrum, efface l’orogénie de sa progéniture afin de retrouver sa petite fille chérie. Il est souvent à deux doigts de la tuer, mais elle parvient à le manipuler via une posture de faiblesse pour le faire fléchir. Une fois parvenus à destination, les attentes paternelles ne vont pas être toutes accomplies… Cette trame qui conduit à l’inévitable, tout aussi intéressante que celle d’Essun, joue un peu moins sur le suspens, mais davantage sur l’émotion. Le lecteur se prend d’affection pour la jeune fille, et sent l’inéluctable monter, l’éveil d’une puissance enfouie. ET la question qui taraude va revenir en boucle dans notre esprit : vont-elles se rejoindre ? Y aura-t-il des étincelles ?

Quelques points de friction

Si Hoa bénéficie d’une mise en lumière avantageuse, et qui permet de découvrir tout un univers sous-terrain de La terre fracturée, Tonkee disparaît presque de l’horizon. C’est un peu dommage car, le potentiel de ce personnage était intéressant. Elle n’est pas raillée du Fixe, mais n’apparaît qu’en fin de roman. Cette impression est d’autant plus forte, que je finis par me demander si sa sexualité abordée précédemment n’était finalement pas qu’un effet de mode (pas une question posée pour faire débat, c’est un véritable questionnement).

L’objectif des mangeurs de pierre pourrait paraître indécis. Il y a bien des factions au sein de ce peuple, mais ils auraient mérité quelques éclaircissements supplémentaires. Par conséquent, quelques événements/dénouements liés à Hoa paraissent un peu gros.

La lecture s’achève sur une fin un poil attendue, mais tout à fait satisfaisante et surtout sans gros chiff-hanger pesant.

J’ai beaucoup apprécié cette lecture, haletante, addictive. Le tome introductif m’avait franchement séduite avec cette science-fantasy qui proposait enfin autre chose dans le domaine de la dystopie et de l’apocalyptique. La Porte de Cristal me frappe sans doute moins, la découverte première passée, mais offre un excellent moment dans le Fixe, notamment avec ce jeu double, les effleurements entre mère et fille.

Les thématiques exposées sont chères à l’auteur :  secte/dogme, discrimination, intolérance, génocide, l’utilisation d’enfant dans la guerre.

Ce livre est pour vous si :
  • vous savourez les romans aux ambiances apocalyptiques
  • vous souhaitez lire une superbe science-fantasy
  • vous aimez les roman à la frontière des genres
je vous le déconseille si :
  • Vous êtes misogyne
  • Vous ne supportez pas les narrations à la deuxième personne
  • La fin du monde, vous en avez votre claque!
Autres critiques :

ApophisBlackwolfLes Pipelettes en ParlentXapurLe chien critique – Au pays des cave-troll

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31 réflexions sur “La Porte de Cristal – N.K. Jemisin

  1. D’accord avec ce que tu en dis, même si je suis passé très à côté de ce roman.
    Quand à l’ambiance apocalyptique, je n’y ai jamais cru, peut être un peu trop clinique comme manière de la décrire. Je n’ai pas eu la sensation que les personnages étaient tant effrayé par cette saison. En même temps, la majorité ne savent pas que cette 5ème saison va être énorme

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