L’Ours et le Rossignol – Katherine Arden

Une contrée entre froid et féérie

Denoël/ Lunes d’encre

 

L’Ours et le Rossignol est le premier roman de Katherine Arden, pour des débuts très prometteurs. L’histoire se déroule dans une Russie couverte de neige, intemporelle à l’ambiance très réussie.

Nous allons suivre les aventures de Vassia, bercée dès sa plus tendre enfance par les contes de Doumia, sa nourrice. Reflets de l’imagination débordante de cet enfant, ou éclats d’une réalité dissimulée aux âmes adultes, elle aperçoit les esprits protecteurs des lieux…

Ambiance

Vassia grandit dans une Russie médiévale dans bien des aspects. Les  habitants vivent de manière autarcique : de leurs cultures estivales, de la chasse et de l’élevage. La broderie et la couture sont les réjouissances des dames le soir au coin du poêle, pendant que ces messieurs aiguisent leurs divers ustensiles (de chasse).

Piotr Vladimirovitch est le seigneur d’une contrée au nord du pays, couverte de neige et de glace huit mois sur douze. Ses terres sont vastes, comprennent des villages et une grande forêt. Ce n’est pas un chef anonyme comme en comptait la Russie à l’époque des tsars. En effet, il est le gendre du souverain, puis à la mort de ce dernier est de venu le beau-frère de l’actuel. Il a épousé Marina, la fille et sœur de cette lignée de tsar; sa mère une parfaite inconnue est apparue un beau matin et s’est rapidement imposée à la cour, avec un charme littéralement envoutant et unique.

L’ambiance est pastorale comme vous pouvez vous y attendre avec ma courte description, la vie s’écoule paisiblement dans cette campagne rustique, emplie de grâce et de rigueurs.

Même après le décès de Marina, le bonheur s’attache aux pas de la petite fille qui baigne dans l’amour de sa fratrie et de celle de sa nourrice, Doumia. La jeune enfant s’avère espiègle, téméraire et très indépendante.

Son père se remarie avec la fille de l’actuel tsar, une femme un peu dérangée, qui voit des démons partout, neurasthénique et angoissée, à l’opposée de la jeune Vassia…. Cependant, même si les contes ont influencé l’écriture de ce roman, nous sommes très loin d’une adaptation de Cendrillon ou de Blanche-Neige, récits dans lesquels  une marâtre voue une haine éternelle à sa belle-fille. Les relations sont compliquées mais la gamine est protégée par les membres de sa famille, et Anna ne la déteste pas franchement.

Outre son caractère bien trempé et sa propension à s’éclipser en pleine nature à la première occasion, tel le lutin des bois…., c’est sa faculté à voir les esprits protecteurs de la maison, des bains, de la forêt qui attire de suite notre attention, et celle d’un autre personnage plus ambigu.

Dans la mythologie russe, le Roi de l’hiver occupe une place primordiale et lutte contre un frère chaotique qui cherche à façonner le monde à son image. Les divers esprits peuvent pencher pour l’un ou pour l’autre, et aisni influencer l’issue de cet affrontement. Une personne dotée de capacités magiques peut donc jouer un rôle prépondérant…. Il faut déjà les apercevoir…

Les contes sont certes présents dans L’Ours et le Rossignol, mais le récit est loin d’être immature et naïf. L’ambiance qui règne dans les pages ne nous est pas habituelle, car l’esprit slave s’est invité à la fête tout comme le froid et la neige presque omniprésents. Ici, il n’y a pas de place pour une dichotomie très enfantine, ou encore un tableau acidulé.

Certains passages pourront en effet paraître cruels. Et effectivement, ils peuvent être âpres pour les âmes sensibles. Pourtant, ce choix ne reflète pas un penchant pour la torture gratuite; les comportements ainsi que la rugosité reflètent un trait slave. Le Borgne, « méchant » de l’histoire ne cherche pas à blesser par pur sadisme. Sa nature vise à imposer sa vision du monde, contre vent et marée ou le désir humain de vivre dans le calme et la prospérité. Et son opposant, Roi de l’hiver adopte des méthodes parfois tout aussi brutales, sans chercher à combler les aspirations humaines… Les créatures de cette mythologie déployée sous nos yeux affichent les mêmes caractéristiques, la Russlaka attire les gens dans les eaux, pas par jeux, mais pour se nourrir et survivre.

Intrigue & Personnages

L’intrigue est somme toute assez simple et linéaire. Malgré, l’absence de sa mère, Vassia est heureuse dans sa famille… jusqu’à l’arrivée de sa belle-mère, ou quelques années après celle-ci. Cependant, ce n’est pas elle qui vient troubler la quiétude du village ou de la famille de Piotr Vladimirovitch. A Moscou, un prêtre des plus charismatiques faisait de l’ombre à l’autorité religieuse la plus élevée. Le voici donc expédié au fin fond de la Russie afin d’apporter paix et réconfort à cette population éloignée de la capitale russe. Pourtant, impossible pour lui de refuser : Anna, la seconde femme de Piotr n’est-elle pas la propre fille du tsar?…

Digérant sa déconvenue, le beau prêtre à la crinière de feu va tenter de faire contre mauvaise fortune bon cœur, surtout que sur place, il s’aperçoit que sa mission évangéliste n’est pas dénuée de sens ni de portée. Il lui faut combattre les superstitions tenaces des villageois qui cherchent à concilier la foi en Dieu avec leurs amour et croyance dans les esprits protecteurs (et vengeurs). De quoi se faire remarquer de Dieu lui-même (pourtant la vanité est un péché…).

Ainsi entreprend-il une croisade locale, utilisant aussi bien le bâton et la carotte, et ce, en dépit des villageois dont la joie de vivre se ternit peu à peu. Et, si les récoltes s’appauvrissent ou la nature se flétrit, c’est sans doute que les villageois n’éradiquent pas assez rapidement les racines des superstitions. Et tant pis, si cette jeune Vassia semble un peu à l’écart de sa réalité.

Le Prêtre, Konstantin, et Vassai sont les deux personnages les plus travaillés. Les autres protagonistes sont bien rendus, mais ne captent autant l’intérêt des lecteurs qui assistent à cet affrontement de volonté.

« C’est une tâche bien cruelle, d’effrayer les gens au nom de Dieu. »

Konstantin n’a pas un mauvais fond, bien au contraire. Il est aveuglé par son ambition et son orgueil. Le mélange s’avère nocif, surtout en occupant une place aussi éminente, et le laisse vulnérable aux influences qui souffleront sur cette braise à peine couverte des cendres de l’humilité. Il est assez édifiant toutefois de le voir inculquer la peur dans le cœur des bougres… Tout en contradiction, même s’il n’échappe pas à quelques traits un peu forcés. Mais après tout, nous sommes dans un « conte ».

Quant à Vassia, le tempérament est tout autre. Nous faisons sa connaissance dès sa naissance et assistons à l’éclosion d’une jeune fille au physique assez ingrat puisqu’elle est comparée à une grenouille… Ces premiers chapitres, rapides, permettent d’éclairer le lecteur à la fois sur son caractère bien trempé et plein de vie, ainsi que sur ses facultés innées tout en  brossant le portrait de la vie pastorale d’une contrée russe. Tout bascule à l’adolescence de la jeune fille; mais au lieu de s’éteindre et de subir, elle va s’épanouir. La mission dont elle se sent investit (il n’y a pas d’élue), va forger et renforcer ses convictions. La jeunesse du personnage donnera sans doute le sentiment à certains lecteurs de friser le roman Young Adult.

Style & influences

En premier lieu, le style d’écriture est à mille lieu d’être gnan-gnan. La prose est précise et accompagne les divers passages du récit poétique et lyrique dans les moments propices à la magie des lieux et à l’ambiance, puis tour à tour nerveuse et affutés dans les combats, émouvante dans les moments intimes.

Katherine Arden parvient à filer la chair de poule avec son ambiance polaire et glaciale, mais aussi à réchauffer le cœur auprès du feu.

Les contes et légendes russes nous sont pour la plupart inconnus, sauf BabaYaga qui joue surtout un rôle de croquemitaine. Ainsi, en ressort-il une impression unique et captivante. Pour un premier roman, l’ensemble est remarquable et semble très prometteur pour cette auteur que je suivrai avec intérêt.

Alors, je ne vais pas cacher que tout n’est pas parfait, notamment au niveau de la trame qui mériterait quelques petits détours, un échiquier politique qui est esquissé et plein de potentiel sans être exploité.

Avec son opposition foi et superstitions, le roman offre en sus une belle réflexion sur la spiritualité, et notre approche des croyances.

L’Ours et le Rossignol de Katherine Arden est un premier roman remarquable et enchanteur. Il propose une immersion au cœur de l’hiver russe, au centre d’une lutte à fendre l’âme ( 🙂 ). Le folklore slave donne une ambiance unique et envoutante. A Suivre!

Ce récit est pour vous si :
  • vous aimez les romans possédant un petit côté envoûtant
  • vous souhaitez découvrir un premier roman de fantasy prometteur
  • vous êtes aimez les contes loin d’être mièvres
je vous le déconseille si :
  • Vous êtes allergique à la fantasy
  • Vous n’aimez les jeunes personnages
  • vous vous ennuyez avec des trames linéaires
Autres critiques :

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63 réflexions sur “L’Ours et le Rossignol – Katherine Arden

  1. Je serais curieux de savoir ce que donne la comparaison de ce bouquin avec Enchantement d’Orson scott Card ou avec la prose d’Olivier Boile, qui opèrent dans des registres connexes. Je ne suis pas assez intéressé pour l’acheter, malgré les bonnes critiques des uns et des autres, mais si je le gagne un jour dans un concours quelconque, pourquoi pas. Merci pour ta critique !

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    • Il faudra que je lise Enchantement. Pour la comparaison avec Oliver Boile, faudra que j’ai également l’occasion de lire sa prose pour me positionner.

      J’espère que tu le gagneras à un concours. C’est un bon premier roman. Il a quelque chose. Je ne suis pas surprise que tu ne l’aies pas coché cependant.

      Je t’en prie 😉

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  2. Je suis justement en pleine lecture et c’est du pain béni pour moi qui aime tant le folklore russe. La plume de l’autrice est vraiment pleine de poésie. J’ai quelques appréhension avec Vassia étant donné que je suis allergique aux personnages jeunes, mais on verra son évolution ☺️

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  3. J’avais évidemment repéré ce roman mais je craignais un peu certains aspects (notamment un éventuel côté Young Adult trop prononcé). J’attendais donc ce genre de critique, de la part de lecteurs que je sais « exigeants », pour me convaincre de le lire ou non… Là je pense que ce sera « Oui ». Bref, merci pour cette critique !

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    • je en vais pas dire que je n’ai pas perçu quelques accents YA, puisque je el dis dans ma chronique. Mais, moi qui suis frileuse de ce côté, cela ne m’a pas du tout gênée ni agacée dans ma lecture.
      Vassia n’est ni mièvre, ni naïve, ni surhumaine. Elle a un côté charmant. 🙂

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  4. Cela me fait légèrement penser à Nadejda d’Olivier Boile que j’avais critiqué sur mon Blog, en tout cas pour le côté slave. Après, dans ce que tu cites, il semblerait que cela entre dans ma palette d’envies. Je vais me pencher sur la bête car ça m’a l’air bien sympa même si le côté petite fille, pas de maman, méchante-belle mère et intrigue un peu simpliste me feraient un peu hésiter. Merci pour cette belle chronique détaillée.

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    • Il faudra que je le lise celui-là. Ce n’est pas la première fois que cette comparaison est faite.

      Comme toi, il y a des points qui me faisaient hésiter, mais l’ambiance slave pas courante et le folklore russe me tentaient trop. Après lecture, la petite fille (qui grandit, hein), l’absence de maman (est un fait, il n’y a aucun appel à la larme), la belle-mère est plus dans le dédain, ne sont pas des points faibles dans le roman. Le tout est bien fait, et c’est la joie de vivre qui s’en dégage essentiellement.

      Je pense que tu peux te lancer dans cette lecture.

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  5. En lisant ton ensorcelante chronique, j’ai tout de suite pensé au magique Déracinée !
    J’ai vu qu’il s’agit d’une trilogie, tu trouveras sans doute l’exploitation de ce potentiel évoqué dans les tomes suivants (qui je l’espère seront traduits ^^).
    Je le note sans hésiter, merci 😉

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