Bienvenue à Sturkeyville – Bob Leman

Bienvenue à Sturkeyville de Bob Leman est un projet de la librairie Scylla, bien connue des amateurs de SFFF. Leur objectif est de financer un recueil (via le crowfunding) comprenant six nouvelles (de belle taille) associées à des illustrations.

Il y a peu de temps, un appel aux blogueurs anglophones est apparu sur le forum du Bélial, invitant ces derniers à découvrir en exclusivité et en avant-première le contenu du recueil.

Ceux qui fréquentent mon blog savent depuis un moment que le format court ne représente pas mon choix de cœur, et que pour le coup, je suis un public difficile en la matière. J’ai toutefois décidé de me porter sur les rangs, histoire de filer un coup de main au projet en question… et bien m’en a pris car je me suis régalée.

Sommaire du recueil :

– Loob (1979)
– Feesters in the Lake (1980)
– The Pilgrimage of Clifford M. (1984), inédit en français
– Olida (1987)
– Come Where My Love Lies Dreaming (1987), inédit en français
– The Time of the Worm (1988)

La nouvelle Feester in the Lake, ou dans sa version française Les créatures du Lac est disponible au téléchargement pour vous donner une première impression sur l’ambiance du recueil, ainsi que sur la plume de l’auteur.

L’ensemble des nouvelles possède un fil rouge, les environs de Sturkeyville. A l’image de ce que nous offre régulièrement nos cousins ricains, il existe des lieux dans ce pays qui s’avèrent l’épicentre d’événements étranges. Il y avait Métropolis, Smallville, ou encore Sunnydalle, mais c’était sans compter Sturkeyville qui se pose en potentiel leader dans le domaine de l’étrangeté. En effet, outre une ville commune, les textes de Bob Leman offrent une tendance au surnaturel, dépeignent des créatures ou des humains vivant des aventures proprement extra-ordinaires. Quant à la gaité de ces dites aventures, ou à leur bonhommie, nous sommes loin de Fantomas et les chenilles troglodytes.

Le recueil navigue allégrement dans des eaux troubles, alternant/mixant les récits purement fantastiques mâtinés d’une once d’angoisse… ne soyons pas farouche – flirtant avec l’horrifique et la fantasy urbaine déconseillée aux boy-scouts ou aux pom-pom girls!

Vous voilà prévenus!

Examinons  ces textes à la lueur malicieuse d’un lutin.

Petit aparté : je ne connais pas l’ordre dans lequel les textes seront publiés dans cette édition française. Dans le document en anglais que j’ai reçu, je ne les ai pas lu dans l’ordre présenté sur le site, ordre que j’ai repris.

 Loob (1979)

Cogito, ergo sum

Le texte est présenté à la première personne, le lecteur sent rapidement une forme de désarroi dans les propos tenu par le narrateur. Son identité ne sera révélée qu’ultérieurement. Ce petit suspens ne cherche pas à créer une surprise particulière ou un momentum dans le récit, mais simplement à participer à l’ambiance et à souligner la situation qu’il vit.

Car, il vit. Il pense, et même il nous raconte son histoire. Donc, il est est bien réel. Pourtant, il y a un détail qui a toute son importance : il n’existe aucune trace de lui, ni au collège, ni à l’armée, ni dans l’administration. Il n’a pas d’ami, de collègue ou de camarade. De quoi douter…

Cette situation est liée à Loob, un être étrange. Il s’agit bien d’un être humain, mal câblé à la naissance, et qui possède des capacités hors du commun. Non seulement son apparence est singulière, mais son comportement interloquerait plus d’un nouveau venu…. dans l’éventualité improbable ou un nouveau se pointerait en ville.

Voyez-vous, Loob agit sur le temps. Rien a voir avec La machine à remonter le temps, de HG Wells. Loob aperçoit des moments du passé, des sortes de projections. Toutefois, par ces visions et sa seule présence, il affecte la trame, impactant ainsi la réalité d’alors.  Il a la capacité de remettre en question l’existence d’un chien qui aurait pu donner une lignée exceptionnelle – ou pas.

Loob est un être bien plus complexe que son immobilisme intellectuel le laisse penser, et c’est sans doute ce qui a perdu la ville…

Ce texte joue avec brio sur la thématique du temps, et de l’identité. Loob, être humain tellement éloigné de nos standards, devient une « créature ». Il affecte profondément son environnement à tel point qu’il ne serait pas difficile de le détester. L’auteur lui brosse une trajectoire si amère, que finalement le drame nous touche dans toute ses dimensions. Le lecteur navigue dans une ville à l’atmosphère suffocante, et même si l’horizon est visible, la sensation de huis-clos fonctionne à plein régime. Glauque à ses heures, le récit chamboule.

The Pilgrimage of Clifford M. (1984)

Une fois encore, le récit nous est délivré à la première personne. La narrateur a réalisé une étude sur un cas des plus particuliers, celui de Clifford M. Son propos promet de remettre en cause les croyances populaires car les faits viennent contredire ce qui n’était jusqu’à présent que du folklore.

Toutes les preuves existent. Le vampire fait bien partie de notre réalité! Et cette dernière est loin de correspondre au mythe (et même aux mythes). Premier avertissement aux groupies, ces vampires-là ne brillent pas au soleil et ne sont pas des amateurs de véget-et-rien. Déjà, ils n’ont qu’une ressemblance à l’apparence humaine. Si vous les dénudez, hypothèse aux probabilités assez minces, vous risquez de vous pâmer…

Mais, je vais vous laisser découvrir ces subtilités par vous-même.

Initialement, le récit s’embarque dans une veine science-naturelle, avec des détails anatomiques, avant de se pencher sur l’histoire même de M. Clifford, jeune homme assez spécial qui cherche du vampire. Sa vie se dévoilera peu à peu sous un jour chaotique, fait de drame, d’attente et d’espoir.

Nous avons tant lu d’histoires de vampires, que surprendre le lecteur est désormais une gageure. Pourtant, j’ai savouré de bout en bout ce texte. Il ne présente pas que des passages d’une originalité splendide et illuminée, cependant, Bob Leman choisit une trame narrative faite d’émotion qui séduira le lecteur. Bien évidement, l’histoire atterrit à Sturkeyville et l’ambiance plonge dans une brume loin d’être rose…

Olida (1987)

Cette nouvelle est forte en émotion. Assez violente même. Il s’agit d’une famille les Selkirk qui vivent en retrait de la ville. Dick vient de faire 60 ans et désire se marier, enfin. Et à la grande surprise de tout le monde, avec une fille Selkirk. Bien entendu, ce choix ne sied pas à sa famille, propriétaire de la fonderie locale – grosse la fonderie.

Inutile de s’étendre sur les tentatives de la dite famille de le faire changer d’avis, et de l’accueil réservée à « l’heureuse » élue. Pourtant, ils ne seront pas au bout de leur surprise.

Une fois encore, ce texte joue sur la corde de l’émotion, et d’une sensation pesante. L’ambiance est toujours dans les temps suspendus, le lecteur en apesanteur, tiraillé par le sentiment d’inéluctable et l’appréhension construite au fil du récit.

Come Where My Love Lies Dreaming (1987)

Nous avant eu des créatures mythiques, des créatures humaines, des êtres malfaisants. Mais des maisons hantées, pas encore.

Oui, une maison hantée. Je ne sais même pas si les récits lus sur le sujet occupent les doigts d’une main. Sans doute pas.

Ne fuyez pas!!!! C’est une gentille maison hantée ( 😉 ). Effectivement, il y a des maisons hantées maléfiques, celles-là sont les plus connues et les plus réputées. Mais si cette catégorie existe, les sympathiques aussi, c’est logique, non ?

Tout se joue dans leur construction. Si l’édifice est bâti par des gens mettant du « coeur » à l’ouvrage, il part sur de bonnes fondations. Ensuite, s’il est occupée par des familles liées par l’amour, et que les cris et rires des enfants résonnent dans les murs, alors il y a de fortes chances que la maison soit hantée gentillement. Enfin, l’histoire nous dira si cette distinction dans la hantise peut être perçu avec tolérance, et sans appréhension par les nouveaux occupants, découvrant peu à peu l’âme de cette demeure… Ou si hantée revient à crier d’effroi.

Celle qui nous occupe ( ;- ) ) est isolée et abandonnée depuis quelques décennies, depuis la mort de l’ancien propriétaire lors de la seconde guerre mondiale. C’est Webster Knapp qui en devient « l’heureux » acquéreur, homme veuf qui élève une jeune fille de 8 ans. Il a perdu son épouse quelques années plus tôt, et a bien du mal à se remettre de sa disparition. Cet achat est une manière de mettre derrière lui ses fantômes personnels, notamment celui de sa Sally disparue brutalement. SI la maison le permet.

Le récit est une nouvelle fois très émouvant et parfaitement construit pour nous surprendre avec la tournure prise. Cette maison vivante à sa façon réserve quelques surprises, et le lecteur savoure une fois encore le texte jouant également sur son ambiance particulière.

The Time of the Worm (1988)

Harvey Lawson est marié. Son épouse n’est pas la femme la plus appréciée à Sturkeyville. Elle est distante, froide, à peine polie, peu communicative et surtout retranchée chez elle. Son époux, lui, est enchaîné comme un  bon toutou à une laisse et ne s’accorde aucun passe-temps ni même aucune amitié.

Il convient alors de préciser que cette femme est un vers. Un énorme vers qui parvient à contrôler les ondes cérébrales de son esclave humain. Harvey vit dans la terreur, dans l’oppression; otage incapable d’appeler à l’aide, torturé par la proximité de potentiel secours, mais éternellement incapable de franchir le pas.

Le lecteur vit son calvaire tant la plume de Bob Leman tourne à l’empathie. L’horreur de cette vie glace le sang, et vous n’en sortirez pas indemne. Nous sommes dans un texte qui franchit la barrière horrifique et sans doute celui-ci plaira énormément aux amateurs de Lovecraft.

Un belle réussite.

L’ensemble des nouvelles forme un recueil cohérent, jouant sur différentes ambiances du registre de l’angoisse. Nous flirtons régulièrement avec le suspense horrifique, mais le tour de force de Bob Leman ne se situe pas dans des descriptions et des tableaux gore, alignant des farandoles de friandises sanguinolentes. Rien de tout cela, ici. L’auteur parvient à vous immiscer dans la psyché de ses personnages, que ce soit les créatures ou les humains, protagonistes involontaires de ces événements.

Car tous ces personnages sont loin d’être des hommes et femmes sandwich, l’auteur prend le soin de nous faire vivre leur parcours, leurs détours et leur fêlures. Un lien se crée entre eux et nous. Il est dès lors impossible d’éprouver de l’indifférence, de s’écarter de leur sort et de ne pas frissonner d’appréhension.

Ainsi, leurs angoisses, leurs faiblesses et leurs espoirs deviennent les vôtres; ses tranches de vie percutent le cœur et les tripes tandis que la plume élégante  séduira vos neurones.

AUtres critiques :

RSF BlogGromovarAlys Just a word Dragon Galactique

Pour l’acquérir, c’est ici :

Pour le papier :

https://www.scylla.fr/bob-leman/bienvenue-a-sturkeyville

Et pour le numérique, c’est en exclusivité vendu là (j’ai vu une question à ce sujet dans les commentaires) :

https://editions.scylla.fr/a/bob-leman/bienvenue-a-sturkeyville_numerique

29 réflexions sur “Bienvenue à Sturkeyville – Bob Leman

  1. Merci pour ce coup de projecteur sur un projet que je soutiens également.
    Xavier, qui porte le projet est un véritable passionné. Si vous habitez en région parisienne, n’hésitez pas à venir échanger avec lui à la librairie Scylla. Il est super sympa et sa culture en littératures de l’imaginaire comme sa capacité de conseil sont vraiment impressionnantes.

    Par contre, moi qui n’ai lu à ce stade que la traduction de la nouvelle Feesters in the Lake, j’aurais aimé en lire ta chronique pour comparer nos ressentis. Est-ce un oubli ?

    Aimé par 1 personne

    • Non, j’habite vraiment pas le coin. Je suis bien plus proche de Toulouse.
      Mais, j’ai bien l’intention de passer à cette librairie à l’occasion.

      L’article est déjà bien long, et la nouvelle étant disponible gratuitement, j’ai décidé de faire une petite impasse. Manque-t-elle au billet, du coup? (tout conseil sera bon à prendre, je peux rajouter un chapitre sur les créatures du lac.)

      J’aime

      • Je voulais juste signaler ce qui me semblait être un oubli. Mais puisque tu poses la question :

        1) Si je me mets dans la peau du curieux qui a lu et apprécié la nouvelle gratuite, la question qui me vient aussitôt à l’esprit c’est : « est-elle représentative de la qualité du recueil ? »
        2) La nouvelle ne restera peut-être pas en ligne une fois la campagne de financement participatif achevée, laissant les lecteurs futurs en face d’une critique incomplète.

        Après tu restes maîtresse de tes choix éditoriaux hein. La chronique en l’état permet de se faire une bonne idée de l’ouvrage comme de ton ressenti et c’est bien ce qu’on en attend.

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  2. J’avais vu passer le crowfunding, ne connaissant pas l’auteur et le fantastique n’étant pas une de mes lectures préférées…
    Puis plus tard j’ai téléchargé la nouyelle pour me faire une opinion, nouvelle qui traine encore sur mon DD.
    Bref, ton billet me donne envie d’y plonger, je déciderai après lecture, il me reste encore quelques jours.

    En tout cas, ils sont forts chez Scylla pour tenter le lecteur

    Aimé par 1 personne

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