Eriophora – Peter Watts

Le Bélial

Nous pourrions considérer Eriophora de Peter Watts au carrefour de la novella et du recueil de nouvelles. Effectivement, Sunday, personnage central de cette épopée gigantesque, nous accompagne d’un bout à l’autre du livre au travers de 6 récits dont l’intrigue initiale paraît lâche initialement. Cependant, les pages s’égrenant, les millénaires aussi, la trame se précise alors que la défiance s’installe.

L’Eri (son petit nom) est un astéroïde de plusieurs kilomètres dont une partie fut évidée pour contenir une singularité propulsant ce vaisseau de pierre à une vitesse proche de celle de la lumière. Il contient également 30 000 résidents, ainsi que des forêts et un écosystème adaptés à ces conditions extra-ordinaires. Leur mission s’avère simple : établir un réseau de portails au sein et au pourtour de notre Galaxie. La mise en œuvre est compliquée, aussi les scientifiques et techniciens du XXII° siècle ont-ils intégré au voyage une IA (limitée) et tout un système d’hibernation. Dans les faits, les humains ne sont réveillés que par poignée pour quelques jours à peine et, seulement si l’IA est confrontée à une difficulté potentielle ou réelle qui bénéficierait de l’intuition animale.

Sunday est ainsi sur la brèche environ tous les 2000 ans. Au fil de la lecture, nous comprenons que cette fréquence est plus élevée, pour elle que pour les autres : elle possède un statut particulier aux « yeux » de Chimp, elle est sa chouchou!

Un Watts plus accessible

Ce qui m’a frappée lors de ma lecture, c’est l’impression d’accessibilité de cette novella. La bibliographie de Peter Watts est réputée pour son exigence, l’auteur ne faisant aucun compromis relatif à ce courant de Hard-SF. Or, tout en restant crédible et fidèle à nos connaissances actuelles, il parvient à « assouplir » le cœur de son intrigue, ouvrant le champ des lecteurs, de ses lecteurs.

La trame repose sans doute un peu moins sur la science, et davantage sur l’humain; nous assistons dans ce vaisseau à un véritable rapport de force. Ces « rapports de force » ont toujours existé dans la production littéraire de Watts; ici, il n’est plus aussi intellectuel, exigeant des prouesses cognitives et des facultés d’analyse exceptionnelles. Il repose davantage sur une intrigue opposant des humains à l’IA, et sur les personnages, notamment Sunday.

En effet, le Chimp a besoin des humains pour remplir sa mission sans fin, et par conséquent veille sur eux. Des « bons » humains, ceux en capacité de remplir la mission, sans état d’âme. Les autres, l’IA en dispose. Or, la logique humaine s’impose et, avec les millénaires défilant, les tranches de vie volées à l’immobilité, l’esprit développe une soif pugnace. Une envie de tangible, d’autonomie, d’indépendance, de vie! Ces gens éprouvent la nécessité de connaître autre chose entre ces temps morts, que ces brèves missions, et veulent des frissons, des émotions.

Toutefois, difficile pour eux de s’émanciper avec cet espion omni-conscient qui veille sur eux à travers leurs implants. En douce, la résistance se développe alors que Sunday se trouve écartelée entre deux loyautés…

Le Sense of Wonder au rendez-vous

Cette « novella » est une excellente porte d’entrée non seulement à la Hard-SF, mais aussi au travail de Peter Watts. Vous vous apercevrez que ce terme ne cache pas de gros-mot, et que lectrices et lecteurs peuvent s’immerger parfaitement dans ce type d’univers. Peu à peu, en enchaînant les lectures, les concepts deviennent plus évidents, plus accessibles.

Il en va de même avec la bibliographie de l’auteur, certains textes sont exigeants, voire très exigeants. Se familiariser avec les plus abordables permettra d’appréhender la gymnastique du canadien, et d’apprécier de plus en plus ses récits, jusqu’à les dévorer avec passion!

Ce texte offre également une qualité fort appréciable, elle met en avant le sens of wonder dans un bel écrin. La tâche dévolue à ces 30 000 âmes est à peine concevable par son gigantisme, l’échelle de temps s’écoulant laisse pantois et enfin, difficile d’appréhender l’idée d’un vaisseau faisant 32 fois le tour de la galaxie. TRENTE DEUX fois!!!!

Et je n’évoque même pas la taille de l’Eri, la forêt au sein de ses entrailles, les gradients,…

Un mot sur le travail éditorial

Eriophora s’apprécie indépendamment de tout autre texte dans cet univers, le talent de Peter Watts permettant aux lecteurs de s’approprier l’histoire avec aisance. Cependant, je ne peux m’empêcher d’avoir quelques regrets quant à l’absence des trois nouvelles contenues dans Au-delà du gouffre (Géante, Éclat et L’île) appartenant à cet univers. Je m’interroge sur la pertinence – ou pas – d’inclure les 3 textes ici, dans Eriophora. En effet, Éclat éclairerait d’une saveur profonde la prise de conscience de Sunday dans Effondrement ainsi que les conséquences qui s’ensuivent. Géante voyait le vaisseau émerger dans un système ou la collision est inévitable, cette nouvelle donne tout son sens au terme « sense of wonder« , même si présentement, nous sommes bien servis par le gigantisme déployé.

Et que dire de L’île qui reste une des nouvelles de space-opéra les plus abouties que j’ai pu lire, où l’immensité, l’émerveillement, l’intrigue servent un fond tout aussi ébouriffant?

J’ai adoré cet Eriphoria (qui est la traduction de The Freeze-frame Revolution), mais il m’apparaît amputé d’une partie de sa substance, s’en trouve quelque peu déséquilibré. Ceux qui suivent mon blog depuis quelques temps connaissent toute mon admiration pour l’auteur, je reconnais donc que ce penchant influence mon point de vue.

Outre, une couverture superbe et qui situe le lecteur, une traduction de Gilles Goulet impeccable, vous aurez le loisir de chercher les petites « coquilles » colorées qui émaillent les textes, et apprécierez la présentation de ceux-ci.

Voici un livre qui doit vous convaincre de lire Peter Watts, cette intrigue foncièrement humaine fera chavirer votre esprit et votre cœur dans des dimensions insoupçonnées. Difficile de ne pas être enivrer par les échelles cosmiques mises en œuvre à moins de faire la fine bouche. Difficile de ne rien éprouver en suivant le périple de Sunday. Il ne manque assurément qu’une Île au bout de cette nuit infinie.

L’écrivain est génial, alors vous n’avez plus qu’à foncer.

Ce livre est pour vous si :
  • vous aimez la SF qui vous embarque vraiment loin
  • vous souhaitez découvrir la Hard-SF en douceur
  • Vous aimez Watts
je vous le déconseille si :
  • Je mords !
  • Sérieux, vous envisagez de dire non?

Autres chroniques :

Apophis, l’autre astéroïde géantOrion, l’autre galaxie XXLLe lémurien cosmiqueGromovar – Le chien qui grogne dans l’espace –

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Eriophora de Peter Watts

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Lundi, c’est Maki

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18 réflexions sur “Eriophora – Peter Watts

  1. Le roman de Watts est absolument excellent mais en ce qui concerne le livre, l’objet papier, j’avoue ne pas avoir vraiment compris l’intérêt des petites « coquilles » colorées.
    Est-ce que quelqu’un peut m’expliquer à quoi ça sert de mettre des lettres en rouge aléatoirement au sein d’un texte ?

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  2. J’aurais craqué si on m’avait dit qu’il faisait 42 fois le tour de la galaxie, mais seulement 32 fois… =P
    (bon, peut-être un jour quand même, il fait tellement l’unanimité que je pourrais faire une incursion en Hard-SF. ^^)

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  3. Bof! En pleine lecture, et je n’ai pas encore accroché, c’est lent, un peu cousu de fil blanc, la copine de l’héroïne qui commence à craquer, ouais, je la comprends, ça ressemble à dodo-métro-boulot et de temps à autre, détente au milieu de bonsaïs traficottés… Bof, même les monstres semblent un peu de pacotille…

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    • Je ne suis guère surprise par ton commentaire. Je reste persuadée que ce recueil doit être lu après les nouvelles telles que l’ïle ou Géante du même univers, car il étoffe les 3 premières, complète et enrichit. J’ai lu plusieurs fois l’ïle donc, ma lecture en était imprégnée.
      Autrement, oui le rythme est lent.

      Pour les monstres, c’est volontaire.

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