Les Maîtres Enlumineurs – Robert Jackson Bennett

Albin Michel Imaginaire

Avec ces Maîtres Enlumineurs, les éditions Albin Michel Imaginaire tapent fort. Vraiment fort. En effet, Robert Jackson Bennett ne se contente pas de nous offrir une histoire passionnante et virevoltante. Il dépoussière tout simplement la fantasy avec un système thaumaturgique qui – sans être entièrement nouveau – pousse une majorité des créations de magie imaginées jusque là dans les carton de Grand Maman!

Mais revenons à l’histoire, car un magnifique système de magie sans une intrigue cohérente et des personnages charnus, n’est guère intéressant.

Un univers toujours aussi rude

Les lecteurs sont invités à suivre les péripéties de Sancia à Tevanne, une cité-état dont la particularité est d’être scindées en cinq parties. Quatre d’entre elles sont occupées par les Maisons Marchandes, que nous pourrions presque envisager comme des principautés tant leur indépendance les unes vis à vis des autres est importante, et que leur site s’étend en surface, en présentant différents quartiers (ateliers, fourneaux, zones commerciales, habitations,….). La cinquième zone porte un nom simple et original : Les Communes, où se retrouvent tous les ratés, rejetés, délaissés, ainsi que les personnages trop indépendants. Cette partie de Tevanne s’avère un coupe gorge de premier ordre, où un luxe de précautions est requis pour ne par achever ses nuits six pieds sous terre.

Quant à la notion de gouvernement, de police ou de justice… nous dirons que ces aspects ne préoccupent guère les Maisons Marchandes, reines de leur propre petit royaume. De même, aucun traité, ni règlement n’existe pour encadrer, ou réguler les rapports entre les parties, l’arbitrage des éventuels litiges étant laissé à l’appréciation (au doigt mouillé), à la coutume et une entente tacite des plus floues de celles-ci… Pour Les Communes, la « justice » est expéditive dès que les Maisons sont impliquées. Autrement, la loi du plus fort a encore de beaux jours dans la « cité » de Tevanne.

Un seul personnage tente d’apporter une unité civilisatrice, il s’agit de Gregor Dandolo, le fils et héritier des fondateurs de la Maison Marchande éponyme. Bien qu’il soit perçu comme un illuminé, au mieux, sa position éminente lui permet de tenter l’expérience. Et, c’est avec implication et sens du devoir qu’il met sur pied une « milice » chargée de surveiller le front de mer.

Une intrigue menée tambour battant

Ce détail n’est pas sans importance, car c’est sur ce même front de mer, que les événements vont exploser. Sancia accepta une mission : voler une petite boîte en bois dans un coffre (de la maison Dandolo) sur le front de mer, objet même de la surveillance de Gregor.

Parvenir jusque là est une gageure, et réussir ce tour de force s’apparente à un exploit de taille. Cependant, Sancia possède un avantage exceptionnel : elle entend les enluminures et sent chaque recoin d’un objet. Notre héroïne parvient ainsi à s’introduire dans la place, ouvrir le coffre, voler la boîte, et …. un accroc dans le plan survient (une histoire de parachute qui s’éventre, 😉 ), ce qui l’oblige à utiliser un dernier atout : faire diversion en mettant le feu à des caisses … qui explosent violemment. Ainsi Gregor, dépité, revanchard va mener une enquête dans les bas-fond à la recherche de cet habile voleur.

De fil en aiguille, la clef du mystère va se dévoiler, la survie de Tevanne est en jeu, nécessitant alliances, voire mésalliances!

Le roman s’étale sur 630 pages, sans qu’elles le paraissent tant l’intrigue principale est prenante. Robert Jackson Bennett la maîtrise parfaitement, avec de rares poses certes bienvenues mais source d’appréhension tant nous sentons nos protagonistes sur le fil du rasoir. Il y a quelques effets de tiroirs bien dissimulés et qui interpellent le lecteurs lorsque ceux-ci se montrent pleinement. Ainsi, rares seront les différents passages sans aucun rapport avec l’intrigue principale. Même des scènes appartenant au vécu des personnages auront un impact sur le déroulement des événements, certains s’avèreront clés : catalyseurs de notre histoire, ou encore capables de renverser le sort de toute une cité.

La minutie de l’auteur est remarquable tant l’ensemble s’agence merveilleusement bien avec une fluidité à la hauteur de son ambition, et une opacité pour les lecteurs qui confine au tour de magie. Et voilà!

Un système de magie novateur

Cette intrigue ciselée participe grandement au plaisir de la lecture de ces Maîtres Enlumineurs, ce qui en fait un superbe écrin pour un système de magie rafraîchissant au possible, et totalement captivant en soi, car il est une histoire – véritablement – en soi. Nous la sentions venir cette révolution et ce renvoi du « ta gueule, c’est magique » aux oubliettes de la littérature. Robert Jackson Bennett nous l’offre.

La thaumaturgie de ce monde se base sur les enluminures, pas celles des moines et ordres religieux du Moyen-Âge (même si un lien ténu existe), il s’agit d’un alphabet complexe à base de définitions et de glyphes. Les mots et les noms des choses sont importants, comme le posait déjà Ursula le Guin dans Terremer. Toutefois, Bennett fait éclore pleinement cette idée. Les enluminures sont capables de distordre la réalité de ces objets pour les convaincre d’être plus forts ou plus faibles, plus lourds ou légers, c’est selon les utilisations escomptées.

La carriole roule sans cheval ? Normal, les roues sont enluminées pour se croire sur une pente descendante. Elle freine, cette carriole ? Évidemment, l’ordre est inversé : la pente monte! La porte est infranchissable car elle se croit composée d’un des aciers les plus résistant. Et des liens qui maintiennent un prisonnier ? Ils sont convaincus d’être inséparables et que toute séparation serait un drame, synonyme de mort affreuse…

Ainsi, ce système est imprégné d’une sensation animiste, qui change réellement des autres univers de fantasy. tout effet ou toute conséquence magique se voit doter dans Les Maîtres Enlumineurs d’une explication rationnelle. Sans exception.

Brandon Sanderson avait marché dans les pas de Le Guin avec Elantris, puis plus tard avait joué avec cette notion pré-animiste dans L’Âme de l’Empereur. Bennett reprend le flambeau avec maestria et fait aboutir toutes ces idées avec au final : un bijou.

Je rapproche ce roman de la trilogie de N.K. Jemisin : La Terre Fracturée dotée de cette dimension SF, des romans de fantasy assortis d’explications qui cherchent la rationalité et un socle réaliste.

Des personnages contrastés

Le roman met Sancia en lumière,une jeune femme anciennement esclave dans une plantation, victime de maltraitance et sujet d’expérience. Elle est parvenue à s’échapper et à trouver refuge dans Les Communes. Son empathie avec les objets est une source de souffrance car elle ne peut mettre son don en dormance, même pour une courte nuit de sommeil. Aussi, porte-t-elle toujours les mêmes vêtements, familiers pour son esprit, et nous pourrions qualifier son tempérament de revêche, renfermé et égoïste, en estimant que vouloir survivre l’est. Disons qu’elle ne participe pas aux différents événements par idéalisme.

A l’opposé, Gregor, tout aussi traumatisé, vit pour mener une révolution et apporter la Justice à Tevanne. Habile combattant, il n’est pas pour autant dénué de compassion, (de corones) et de neurones. Nous nous apercevons rapidement, qu’il est un tantinet en conflit avec sa mère, de là à tirer des conclusions freudiennes, il n’y a qu’un pas…. la chute de l’histoire nous en dira davantage.

Puis, nous trouvons Orso, l’inventeur doué et acariâtre qui finalement a bon cœur. Bérénice est son assistante, tout aussi géniale et bien plus pétillante. Enfin, des antagonistes qui jouent leur partition dans l’ombre et qui s’avèrent assoiffés de pouvoir!

Les personnages sont attachants, bien écrits, avec des personnalités variées et reconnaissables. Toutefois, j’ai 2 regrets, car la qualité remarquable du roman m’a rendue exigeante. Les antagonistes qui se dévoilent dans le dernier quart du roman sont écrits en eaux fortes, sans trop de subtilités. Nos héros ont des personnalités plutôt classiques avec des rôles qui le sont tout autant.

Enfin, je ne vois pas ce qu’apporte la romance, surtout une, née d’un soirée d’infiltration (chercherait-on à cocher quelques cases…). Une amitié était largement suffisante pour l’histoire et la construction des personnages.

En conclusion

Les Maîtres Enlumineurs de Robert Jackson Bennet est un incontournable pour ceux qui aiment la SFF. Le roman dépoussière la fantasy avec une créativité et une intelligence qu’il convient de souligner. L’histoire est prenante, passionnante et jouit de personnages qui vous allez adorer pour certains et détester pour d’autres. Un petit bijou.

A noter :

  • une traduction tout en fluidité de Laurent Philibert-Caillat
  • Magnifique illustration de Didier Graffet
Ce livre est pour vous si :
  • vous êtes fan de Fantasy
  • vous n’aimez que la SF car elle est rationnelle
  • vous voulez des femmes au cœur de l’action
Je vous le déconseille si :
  • 630 pages pour un premier tome… haaaa! je fuis!
  • La magie est magique!!! Point!
  • vous êtes un misogyne reconnu

Autres critiques :

Le Maître Apophis – Orion Le Maki GromovarArtémusLe ChroniqueurLorhkan

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26 réflexions sur “Les Maîtres Enlumineurs – Robert Jackson Bennett

  1. J’ai adoré également… mais j’ai bien ressenti les 630 pages perso. L’intrigue a mis du temps à m’accrocher vraiment (300 pages où j’ai hésité à laisser tomber ^^) mais l’univers magique abouti m’a fait tenir le coup.

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  2. C’est vrai que l’histoire d’amour ne sert pas le propos et d’ailleurs elle est évacuée assez vite, ouf ^^ j’espère qu’elle ne sera pas présente au détriment de l’intrigue dans le T2
    En tout cas c’était très bien

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